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Tuteurs en mal de reconnaissance
Air France n'a pas encore atteint le quota de 3 % d'alternants (contrats d’apprentissage et de professionnalisation) fixé par la loi du 31 mars 2006 sur l'égalité des chances. La compagnie aérienne s'acquitte donc d'une taxe d'apprentissage de 0,6 % au lieu de 0,5 %. Avec un taux d’alternants de 0,97 % en 2007, la CGT rapporte qu'Air France a payé 2 millions d’euros en plus. La barre des 3 % devrait être atteinte en 2009. Air France faisait pourtant partie des 1300 entreprises signataires de la charte de l'apprentissage, lancée en juin 2005 par l'Institut de l'entreprise, qui s'engageaient à augmenter de 20% le nombre de leurs apprentis en 2 ans.
Quantitatif versus qualitatif
« Nous contribuons à former des jeunes que l'entreprise ne se donne plus les moyens de recruter » - Hervé Galichet, tuteur et délégué syndical CFDT chez 3M Augmenter le nombre des alternants est une chose, encore faut-il valoriser les missions des tuteurs chargés de les accompagner. Et le bât blesse sur ce point. « Nous contribuons à former des jeunes que l'entreprise ne se donne plus les moyens de recruter comme c'était le cas dans les années 90. C'est très frustrant de les voir partir. Surtout quand on découvre des talents. Leurs compétences sont nécessaire mais la direction préfère recourir à des prestataires. La mission tutorale ne fait pas partie des objectifs annuels. Je ne revendique pas une contrepartie financière mais une véritable reconnaissance de l'activité», lance Hervé Galichet, tuteur régulier en poste au sein de la direction informatique de 3M qui compte en permanence 10% d'apprentis ingénieurs.
A la Snecma aussi, l'apprentissage n'est plus une filière de recrutement. Et pourtant, jusqu'en 1995, l'entreprise disposait de son propre centre de formation qui a accueilli jusqu'à 150 apprentis par an. Des apprentis qui avaient alors la quasi assurance d'un recrutement. La nouvelle politique est parfois source de tensions comme en août 2008 où une grève a été déclenchée sur le site de Corbeil (78) pour demander le recrutement de cinq apprentis. Ces derniers ont signé des CDD jusqu'en avril 2009.
Reconnaissance financière: plutôt non
L'accord sur le tutorat de Snecma prévoit une prime mensuelle de 120 € euros pour les tuteurs. « Cette reconnaissance financière est automatique. Elle ne dépend pas d'objectifs comme par exemple l'obtention ou non du diplôme par le jeune », souligne Dansou Gbenouvo, délégué syndical CFTC de cette filiale du groupe Safran. Chez Veolia, on se refuse à accorder une prime de tutorat. La reconnaissance est ailleurs. Bernard Masingue (Voir interview), le directeur de la formation corporate de Veolia, plaide pour un engagement sur des objectifs, dont la qualité de la liaison avec le centre de formation, l'obtention ou non du diplôme, font partie des indicateurs. Au sein de la filiale Dalkia de Veolia, le tutorat constitue même un sas pour accéder à l'encadrement.
Une mission tutorale qui se trouve davantage formalisée lorsque l'apprentissage rime avec pré recrutement. A noter qu'Air France s'est engagé à recruter 80% des apprentis. « Il n'y a pas besoin de mettre des indicateurs partout. Bien entendu que l'objectif de la mission est de faire en sorte que l'apprenti obtienne son diplôme. Nous sommes sur la base du volontariat », nuance Denis Pivette, délégué syndical CFE-CGC de Schneider Electric, entreprise porte-drapeau de la charte de l'apprentissage en 2005. En 2008, environ 500 apprentis sont passés chez Schneider et moins d'un tiers ont été recrutés. « Le tutorat est intégré dans l'entretien annuel d'évaluation et chaque tuteur suit un programme de formation. Nous avions demandé une reconnaissance financière pour les tuteurs mais celle-ci a été refusée », précise Hervé Provost, délégué syndical FO et président de la commission emploi formation du comité de groupe qui se déclare néanmoins « fier » de l'accord signé. Si les tuteurs ne perçoivent pas de primes, les apprentis diplômés bénéficient en revanche d'une prime qui représente 5% de la la rémunération perçue tout au long de l'apprentissage...
Voie de garage pour seniors
Dans toutes les entreprises précitées, le tutorat n'est pas « réservé » aux seniors. Ce serait là le meilleur moyen d'assimiler le tutorat à une voie de garage. « Ce n'est pas parce que l'on a 50 ans que l'on est meilleur tuteur qu'à 35 ans », lance Hervé Galichet, délégué syndical CFDT âgé de 52 ans. Alors que l'âge moyen des tuteurs de Veolia se situe entre 30 et 45 ans, le rapport sur le tutorat que va remettre Bernard Masingue à Laurent Wauquiez, le secrétaire d'Etat à l'emploi ne réduira pas le tutorat aux seniors.
« Sur notre site, classé amiante, il n'y a quasiment plus de tuteurs puisque tous les salariés de plus de 55 ans ont déjà quitté l'établissement » - Serge Gonnelaz, délégué CFDT chez Valéo
Un gouvernement qui voit pourtant dans le tutorat un moyen de développer l'employabilité des seniors. Il faut dire que beaucoup d'entreprises n'ont pas attendu de futures éventuelles incitations financières pour mette en place des mesures très ciblées en faveur du tutorat des seniors. « L'accord GPEC prévoyait que les salariés qui étaient à un an d'une retraite à taux plein puissent effectuer un an de tutorat. Mais sur notre site, classé amiante, il n'y a quasiment plus de tuteurs puisque tous les salariés de plus de 55 ans ont déjà quitté l'établissement », explique Serge Gonnelaz, délégué syndical CFDT du site Isérois de Valéo de l'Isle d'Abeau (38).
Le tutorat peut même servir à justifier des formes de préretraites. Ainsi, à la Monnaie de Paris, le Congé Mission Expérience Senior s'adresse aux salariés de plus de 57 ans. Ces derniers pourront se « mettre en congé » en touchant 65 % de leur salaire de référence, en attendant une retraite à taux plein. Au cours de cette période de transition, ils pourront être amenés à effectuer entre 4 et 24 mois de tutorat en étant alors rémunérés à 100 %. Chez ArcelorMittal, le temps des préretraites est bien fini mais les seniors sont éligibles à un temps partiel fin de carrière (travailler à 50% en touchant 80 de son salaire) entièrement dévolu au tutorat.
Ratisser large
« Une personne recrutée est systématiquement encadrée par un tuteur » - Dansou Gbenouvo, délégué CFTC de la SnecmaLe tutorat balaye large au niveau des personnes susceptibles de prendre en charge la mission mais l'éventail de la population tutorée ratisse également de plus en plus large. Pour Bernard Masingue, « il y a toujours un processus d'apprentissage quand on recrute. Dès lors que l'on ne se trouve pas dans le cadre réglementaire de l'apprentissage, celui-ci est informel. Il y aurait un intérêt à élargir une pédagogie de la professionnalisation quels que soient les modes de recrutement. » C'est ce que tente de faire la Snecma où « une personne recrutée est systématiquement encadrée par un tuteur », témoigne Dansou Gbenouvo.
Le tutorat peut aussi servir à accompagner la mobilité interne comme au crédit agricole. Pour Danielle Pouthe, permanente du syndicat Unsa, « nous demandions donc que l’accord prenne en compte 25% du temps de travail pour les tuteurs et, donc, envisage des recrutements supplémentaires. » Une revendication non accordée par l'accord sur les missions et moyens du tutorat. En contrepartie, la direction a accepté le principe d'une gratification financière pour les tuteurs.
La question de la rémunération explique en partie le manque de reconnaissance des compétences acquises par les tuteurs. Selon Jean-Jacques Arrighi, chercheur au Cereq (Centre d’études et de recherches sur les qualifications) « acter qu’il y a une qualification particulière du maître d’apprentissage, et donc que cela peut entraîner une rémunération supplémentaire, les organisations et réseaux patronaux ne veulent pas en entendre parler »
Reste aux tuteurs à se reconvertir dans le coaching. La frontière est mince. Dans les deux cas, il s'agit bien d'un accompagnement individualisé pour atteindre un objectif.