Participatif
ACCÈS PUBLIC
22 / 09 / 2012 | 6 vues
Didier Porte / Membre
Articles : 265
Inscrit(e) le 10 / 02 / 2011

Relation de co-emploi : pour le meilleur et pour le pire

En « filialisant », quand elles n’externalisent pas complètement, beaucoup d’entreprises ont espéré se débarrasser des contraintes législatives leur incombant en cas de procédure de licenciement économique, au détriment de bien des salariés restant sur le carreau. Le législateur a tenté de remédier au problème mais les solutions amenées ont été bien souvent contournées, obligeant les juges, comme en l’espèce, à déterminer qui est le véritable décideur.

Une procédure de licenciement économique est toujours lourde de conséquences pour les salariés d’une entreprise, voire pour tout un bassin d’emploi. Pour cette raison, et afin de limiter ses conséquences, le législateur a encadré ce type de licenciement, notamment grâce à des obligations de reclassement et de mise en place d’un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) en cas de « grand licenciement économique », obligations alors à la charge de l’employeur. Reste encore à déterminer la ou les personnes pouvant revêtir la qualité d’employeur...

  • Par une décision du tribunal de grande instance (TGI) de Lons-le-Saunier en date du 22 août 2012, les juges du fond ont été amenés à se prononcer sur la qualité de co-employeur d’une société mère dans le cas d’une procédure de licenciement économique intervenant au sein d’une filiale, ainsi que sur les conséquences découlant de cette qualité.

En l’espèce, une procédure de redressement judiciaire a été ouverte, puis un plan de cession a été adopté à l’encontre de la fonderie pour le secteur automobile MBF Technologies, filiale du groupe Arche Industries. Après sollicitation de l’administrateur judiciaire, la société mère Arche Industries a refusé de participer au financement du PSE et du reclassement des salariés de la filiale menacés par le licenciement. Le comité d’entreprise de la société MBF Technologies a fait assigner la société Arche Industries devant le TGI de Lons-le-Saunier.
 
Les juges du fond statuent en faveur du comité d’entreprise de la société MBF Technologies en reconnaissant la qualité de co-employeur de la société mère et condamne cette dernière à payer la somme de 8 millions d’euros, qui sera affectée aux mesures du PSE. Pour cela, le TGI fonde sa décision sur le critère établi et plusieurs fois confirmé par la Cour de Cassation, celui de la triple confusion d’intérêts, d’activités et de direction.

La Cour de Cassation s’était auparavant prononcée sur la qualification de co-employeur et avait retenu que le seul fait d’appartenir à un même groupe n’était pas suffisant pour caractériser une relation de co-emploi entre des sociétés. Ce faisant, elle avait alors décidé qu’une société n’était tenue à aucune obligation envers des salariés dont elle n’était pas l’employeur (Cass. soc., 13 janvier 2010, n° 08-15.776, n° 84 FS-PB). La solution aurait donc été différente si la qualité de co-employeurs avait été établie. C’est dans un arrêt du 18 janvier 2011 (Cass. soc., 18 janvier 2011, n° 09-69.199) que la Haute juridiction a précisé la notion et a reconnu que l’existence d’une confusion d’intérêts, d’activités et de direction entre une société mère et sa filiale caractérisait une situation de co-emploi.

Dans notre cas d’espèce, le TGI n’a pas eu de mal à établir la triple confusion. Les magistrats ont constaté que la filiale ne disposait d’aucune autonomie administrative, notamment par la nomination de « plusieurs membres de la direction du groupe [...] à des postes de direction à la tête de MBF ». Les juges du fond ont également conclu à l’absence d’autonomie financière du fait que « les budgets étaient préparés au niveau du groupe », « les commandes étaient centralisées par le groupe, étudiées et validées », « la trésorerie dépendait du groupe », et surtout qu'« Arche Industries supportait [...] les pertes de sa filiale, procédant à des avances en compte courant ». S’agissant de la gestion des ressources humaines et de l’organisation du travail, la filiale ne disposait pas de plus d’indépendance. Dès lors, et cela sans surprise, les magistrats ont décidé que « l’ensemble de ces éléments permet de juger qu’il existait un lien de dépendance et de subordination de la société MBF Technologies à l’égard du groupe Arche Industries, qui la privait de toute autonomie industrielle, commerciale et administrative », et que le groupe « peut donc être considéré comme ayant la qualité de co-employeur avec sa filiale ».
 
  • La reconnaissance de cette qualité n’est pas anodine car cela implique que la société déclarée co-employeur assume les obligations incombant à l’employeur, notamment les conséquences financières en cas d’inexécution de ces mêmes obligations. Pour preuve, dans des affaires de licenciements économiques, la Cour de Cassation a contraint un co-employeur à prendre en charge les conséquences d’un PSE irrégulier (Cass. soc., 22 juin 2011, n° 09-69.021), et également sanctionné un co-employeur, au même titre que l’employeur, pour manquement à l’obligation de reclassement (Cass. soc., 28 septembre 2011, n° 10-12.278). De plus, dans un récent arrêt concernant la société Sodimédical, la Cour d’Appel de Reims a condamné la maison mère allemande de cette société, reconnue co-employeur, à fournir aux salariés « la prestation de travail conformément au contrat de travail liant les parties », et à verser les salaires dus (Cour d’Appel, Reims, 11 juillet 2012).

En l’espèce, le TGI de Lons-le-Saunier se conforme à la jurisprudence de la Cour de Cassation en condamnant la société mère au financement du PSE et en l’astreignant à fournir des « propositions de reclassement clairement identifiées, comprenant a minima la nature du poste proposé, la qualification au regard de la convention collective, la rémunération, le nom de la société d’accueil, les horaires de travail », ou à justifier de son impossibilité de proposer des postes de reclassement. Cette décision mérite d’être saluée, d’autant plus compte tenu du contexte économique et de l’état du marché de l’emploi. Reste à savoir si un appel sera formé, mais il semble peu probable que les juridictions supérieures viennent infirmer une telle décision...
Pas encore de commentaires