Organisations
Reconnaissance de l'activité syndicale : une révolution passée inaperçue
Depuis le 20 août 2008, l’article L.2141-5 du Code du travail concernant la répression de la discrimination syndicale a été enrichi par l'intégration la notion de prise en compte pour les militants de leur expérience acquise dans l’exercice de leur mandat.
Jusqu’ici toujours niée et rejetée, voici qu'est écrit dans la loi que l’activité syndicale apporte des savoirs, des connaissances, des compétences… Le mot expérience ne se définit pas autrement.
Ce n’est pas un hasard si cet ajout au Code du travail intègre le texte réprimant la discrimination syndicale tant les deux sujets sont connexes. En quinze années de luttes victorieuses contre la discrimination syndicale, nous avons élaboré et éprouvé les outils qui permettent de la révéler et de réparer intégralement les militants victimes à cette reconnaissance complète de l’activité. Derrière ce texte, il faut comprendre une réaffirmation de la légalité de l’action syndicale, qui doit être encouragée et protégée. La lutte contre la discrimination syndicale nous a appris que protéger les militants, c’est protéger l’activité syndicale.
Le texte montre que cette activité est formatrice, qu’elle apporte des savoirs qui doivent être reconnus (et nous ajoutons rémunérés) à leur juste valeur.
L’activité syndicale n’est pas hors la loi : elle est légale. Y porter atteinte constitue un délit sanctionné pénalement. L’activité syndicale fait partie intégrante de l’entreprise. Tout salarié qui s’engage dans la défense des intérêts matériels et moraux des salariés apporte davantage à la communauté de travail que le meilleur des salariés qui se contente de remplir son contrat de travail, même très bien.
La loi prend désormais en compte cette réalité
C’est l'un des aboutissement de notre long et laborieux combat depuis plus de quinze ans contre la discrimination syndicale. En effet, ce combat aura aussi permis de mettre en avant ces règles de droit toujours bafouées par un patronat soucieux de préserver son pouvoir sans partage.
- Ce que disent les textes
Si nous nous attachons à la première partie de l’article L.2141-5, il est dit : « Un accord détermine les mesures à mettre en œuvre pour concilier la vie professionnelle avec la carrière syndicale… ». Il faut donc passer un accord pour déterminer les mesures à mettre en œuvre. On voit ici toute l’importance des mots, rien n’est véritablement prédéfini. C’est la signature de l’accord et son contenu qui détermineront la suite.
Danger
Risque d’accord proposé par les directions et selon leur interprétation du texte (c’est toujours le cas), vide de contenu, proposé à la signature de militants ignorants. Là, l’irrémédiable peut être commis (combien à ce jour ?).
Le texte nous dit que cet accord à pour vocation de concilier la vie professionnelle avec la carrière syndicale… C’est généralement le seul élément de texte retenu par les patrons.
- Ils enrobent leur raisonnement et leur argumentaire autour de cet axe, ne proposent pas d’évaluation, pas de mesure qualitative de l’activité syndicale qui, prise en compte comme le précise la suite du texte, permettrait une requalification professionnelle.
Le principal argument sous forme de proposition (repris par tous les employeurs, ce qui prouve qu’ils ont réfléchi à la question) consiste à dire qu’en cas d’arrêt de mandat ou d’activité syndicale, il sera tenu compte (comment ?) des connaissances acquises dans la recherche d’un poste… Sans plus de référence ni de proposition… De là à voir dans cette proposition un chantage et une incitation à la cessation d’activité syndicale…
Combien d’accords vides ont-ils été signés à ce jour par des syndicalistes ignorants et de bonne foi ?
La deuxième partie du texte est volontairement occultée par les patrons et, si les syndicalistes ne vont pas plus avant, ne s’en emparent pas ; il passe complètement aux oubliettes : « prendre en compte l’expérience acquise, dans le cadre de l’exercice des mandats… dans leur évolution professionnelle ». C’est cette partie qui doit retenir notre attention et se trouver au cœur de nos travaux à venir.
« Prendre en compte… ». Prendre en compte, il s’agit d’un indicatif mais en grammaire légistique, indicatif vaut impératif. C’est une obligation de faire.
Que prendre en compte ? L’expérience acquise, dans le cadre des mandats (ou liée à l’exercice d’activité syndicale art. L.611-1).
Qu’est-ce que l’expérience ? L’expérience, c’est du savoir, de la connaissance, des compétences acquis dans la durée, ici, par la pratique de l’activité syndicale. Peu importe le temps d’acquisition cette expérience est effective.
Elle est acquise par la personne, c’est sa propriété, elle le qualifie. Ces savoirs acquis appartiennent à celui qui les détient sont de fait qualifiants et doivent-être pris en compte comme une valeur ajoutée aux autres savoirs dans l’évolution professionnelle. Porte également sur le déroulement de carrière des salariés exerçant des responsabilités syndicales et l’exercice de leur fonction.
L’article L.2242-15 ajoute que ces savoirs issus de l’expérience syndicale doivent être pris en compte dans le cadre de l’évolution professionnelle et porter sur le déroulement de carrière dans l’exercice des fonctions occupées.
C’est lorsqu’ils sont interpellés sur cet état de fait qu’en réponse, les patrons, de façon générale, nous disent qu’il sera tenu compte de cette expérience en cas de retour à l’emploi pour trouver un poste correspondant davantage… Quid de ceux qui resteront permanents et pour ceux majoritaires qui occupent un emploi et qui en plus ont une activité syndicale ?
- Là, les patrons n’en parlent pas et soutiennent que le texte de loi ne concerne que les « mandats lourds ». Ce qui est faux. C’est l’activité syndicale qui apporte l’expérience quels que soient le poids et le niveau de celle-ci. Le texte ne fait jamais mention du niveau des mandats.
Si c’est l’activité syndicale qui apporte l’expérience qui doit être prise en compte dans le cadre de l’évolution professionnelle, pourquoi la limiter à un hypothétique retour à l’emploi ? Selon quelle logique ? Selon cette hypothèse comment garantir un niveau correspondant réellement à l’expérience acquise ? Ça sent l’arnaque.
Non, le texte ne précise rien en ce sens. C’est au contraire au cours de la mise en œuvre de cette expérience au quotidien de l’activité du militant qu’elle doit-être reconnue. C’est au quotidien de sa mise en application de façon effective, dans la pratique routinière de l’activité… Elle est qualifiante tout de suite.
Une expérience : (savoirs, compétences, connaissances…) doit–elle être mesurée ? Évaluée pour chacun ? Nous pouvons penser que oui puisqu’ils sont acquis par la personne. Il peut être envisagé qu’avant toute requalification un contrôle, une mesure soit effectuée. Mais par qui ? Selon quels critères, selon quelle grille d’évaluation, sous quel contrôle ?
Un raisonnement simple pourrait permettre une première approche. Quand il s’agit d’élus et mandatés, il est aisé d’évaluer le niveau de compétences utilisé dans une fonction syndicale donnée.
Il est possible d’imaginer un système d’équivalences de compétences avec des métiers de l’entreprise. Ces métiers font l’objet de définition de fonction permettant de classer en niveau de qualité, compétences, technicité correspondant à un coefficient lui-même correspondant du niveau de connaissances nécessaires pour sa tenue.
Exemple : pour quelqu’un qui exerce la fonction de délégué du personnel. Un délégué du personnel dans le cadre de sa mission doit-être élu, collecter les questions mensuelles, rédiger les questions mensuelles, débattre des questions mensuelles, faire le compte-rendu, les tracts, assurer le suivi… Peut-on être payé au SMIC dans ces conditions ? Une équivalence avec un ou des métiers de l’entreprise requérant ce niveau de compétences peut-être retenu ? Est-ce suffisant ? Peut-être pas. Dans ce cas, comment prendre en compte ceux qui ont eu des mandats différents et qui se sont ajoutés au cours de leur parcours en entreprise ?
VAES
La réponse pourrait être trouvée dans le cadre d’une VAES (validation des acquis de l’expérience syndicale) un (ou des) bilan(s) de compétences spécifiques permettant d’évaluer le niveau réel obtenu par l’activité militante. À l’issue de ce bilan de compétences, il serait possible de reclasser la personne au niveau de coefficient correspondant au niveau réellement atteint par l’expérience syndicale.
Ce procédé d’évaluation existe. Un institut spécialisé s’est spécialisé dans ce genre d’évaluation. Des outils de mesure ont été élaborés pour correspondre au plus près des définitions de fonction. Ceci paraît à ce jour l’approche la plus pertinente. Un cabinet proche de la CGT a développé des outils très élaborés dans cette voie. Suite aux accords signés en entreprise ils proposent aux directions et aux syndicats un parcours de mesure adapté à la situation de chacun dans le cadre de VAES, bilan de compétences, validation universitaire de parcours syndical… Cette voie n’est pas à négliger. Toute la question réside dans la reconnaissance effective : que fera l’entreprise de cette VAES ?
Les patrons les plus habiles ont été très rapides dans la proposition d’accords. Ces propositions étaient rédigées par leurs soins et proposées après un semblant de discussion à des organisations syndicales qui, sans beaucoup de réserves, adhéraient au texte proposé. Les rares amendements sur des questions secondaires ne se produisant qu’à la marge.
Peugeot a ouvert la voie, d’autres ont suivi. L’idée patronale était de prendre les devants, de prendre de vitesse tablant sur l’ignorance d’en face. Cela a bien marché.
À titre d’exemple, je n’ai été mandaté par mon syndicat pour participer aux discussions qu’après qu’ils aient signés l’accord. Je suis tout de même parvenu à discuter des suites et notamment de la proposition de VAES en relation avec l’organisme Dialogues et SciencesPo. Je me suis personnellement inscrit dans cette démarche. Mais à ce jour, je suis le seul syndicaliste pour qui il y ait eu une réelle reconnaissance. La raison en est simple. La direction a craint, comme je le lui avais annoncé, une action en justice sur la question de la reconnaissance effective de la VAES.
Les échanges de courriers, les interventions de mon secrétaire fédéral et de syndicat ont pesé lourd dans la balance pour faire céder Peugeot.
Stratégie patronale
Les discussions que j’ai eues avec ma direction lors de mon passage promotionnel sont riches d’enseignements.
À propos de leur stratégie de défense, nous connaissons désormais leurs arguments, ils sont communs à l‘ensemble du patronat et tiennent en deux points déjà évoqués plus haut.
- Pas question de reconnaître comme qualifiante l’activité syndicale en tant que telle et pendant la durée de celle-ci.
- Pas question de reconnaître la plus-value apportée par l’expérience syndicale. Pas question de lui accorder une valeur ajoutée…
Ce sur quoi ils sont d’accord : c’est pour considérer des compétences transversales acquises qui peuvent être prisent en compte dans le cas d’un retour à l’emploi.
Compétences, non définies, non mesurées, non garanties, pas forcément qualifiantes… Nébulosité complète. Donc rien...
L’autre point d’argument tient en un habile glissement sémantique du terme validation.
- Ils le disent sans ambages, ils considèrent qu’il ne s’agit pas d’une validation des acquis de l’expérience mais d’une valorisation des acquis de l’expérience syndicale. Cherchez l’erreur...
Je leur ai fait observer que ce n’était pas gênant, que cela ne s’opposait pas et qu’il convenait de valoriser l’activité syndicale pour ensuite mieux la valider par les moyens exposés plus haut. Que seul le terme valider existe dans VAES et qu’ils seraient très vite rattrapés par l’exactitude des mots si, d’aventure, ils étaient tentés de poursuivre dans cette voie. Qu’il était vain de s’arc-bouter dans la durée sur la seule idée de valorisation.
Cette valorisation, validation peut se faire par étapes et par niveaux. Qu’il n’est pas absurde de recourir à des mesures de niveaux atteints que des organismes spécialisés sont en mesure de traiter ces questions.
La manière de procéder peut être de plusieurs niveaux.
- Une équivalence activité syndicale définition de fonction en vigueur dans l’entreprise peut constituer un premier moyen.
- Plusieurs niveaux de bilans de compétences peuvent être proposés avec le souci de coller au plus près des acquis.
- Une VAES en lien avec l’université constituant le nec plus ultra de cette validation.
Ce sont, à mon sens, ces règles et principes qui, en l’état de la situation, peuvent conduire nos analyses et réflexions…
Me concernant, je me suis complètement impliqué dans cette démarche dans la continuité de notre signature d’accord avec Peugeot. J’ai suivi la formation SciencesPo proposée par l’association Dialogues retenue par mon employeur. J’ai réalisé le mémoire demandé, j’ai soutenu et passé le grand oral de SciencesPo et j’ai obtenu les félicitations.
- En faisant peser dans la balance la menace d’une action judiciaire, Peugeot m’a reclassé cadre 3A de la métallurgie avec augmentation salariale correspondant à ce nouveau statut.
Renseignement pris, les entreprises continuent de dévoyer le principe et proposent des accords vides qui sont très souvent signés. Dans les propositions d’accord, on ne reconnaît rien des obligations légales et pourtant ça marche.
Nous devons investir ce champ sans plus tarder, mettre en garde les camarades à ne pas signer n’importe quoi qui les engagerait en leur défaveur et pour longtemps. Mettre en place une stratégie au profit des salariés… Je ne suis que le premier de cordée mais aussi la démonstration du possible.
Je ne connais pas la position confédérale sur cette question.
J’ai produit une note à destination du bureau confédéral en 2009. Je n’ai pas eu de retour
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VAES ca marche chez PSA