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05 / 05 / 2011 | 29 vues
Jean-Claude Delgenes / Abonné
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Leçon de courage d'un cadre dirigeant qui s'est opposé à une décision socialement irresponsable de sa direction générale

« Passant, va dire à Sparte que nous sommes morts ici, pour obéir à ses lois fondamentales ! »

Lorsque l’on parle de courage en entreprise vient aussitôt à l’esprit cette fabuleuse bataille des Thermopyles en 480 avant Jésus-Christ, où Léonidas, chef des Spartiates à la tête de 70 000 hommes, affronta 250 000 Perses sous les ordres de Xerxès, venus assiéger la Grèce centrale.

Pendant plusieurs jours les troupes de Léonidas réussirent à contenir les soldats « immortels » de Xerxès dans cet étroit défilé des Termophyles. Puis, trahi par l'un des siens, le Spartiate Ephialtes, qui indiqua aux Perses comment contourner le défilé, Léonidas se sacrifia avec 1 000 hommes pour retenir les Perses et laisser le temps à la masse de ses soldats de se replier et à ses compatriotes d’organiser la défense de leurs cités.

Le courage jusqu’au sacrifice de sa vie n’a plus vraiment de sens aujourd’hui. Pourtant, dans ce monde parfois aussi cruel que les guerres du Péloponnèse, il faut souvent du courage aux salariés, voire aux cadres dirigeants, pour s’opposer à des choix qu’ils jugent contraire à leur éthique ou simplement à leur humanité.

  • Le dirigeant du magasin LIDL, en grève de la faim pendant plusieurs jours dans son magasin proche d’Avignon afin de protester et de s’opposer aux conditions de travail et au traitement réservé à ses collègues par la chaîne de distribution, a risqué sa vie. Il a d’ailleurs été transféré en soins d’urgence.

Ces nouveaux héros du monde moderne ne manquent pas, même s’ils sont peu reconnus médiatiquement.

Un début de redressement

En voici une illustration car l’exemple vaut souvent plus que la théorie comme effet démonstratif. C’était il y a quelques années. Le directeur américain d’une société d’électronique planétaire a épousé une Française. Il est francophile. Bientôt, il parvient à se faire nommer par la direction centrale américaine, en France, pour y diriger une entreprise en difficulté à l’avenir incertain. Son épouse est très heureuse de ce choix qui lui permet de retrouver sa douce France. Quelques mois après l’arrivée du nouveau directeur, l’entreprise commence à se porter mieux. Le directeur se met à l’écoute des salariés, très anxieux de l’avenir. Il comprend à travers son amour du pays, de cette belle région de France la détresse de ces salariés qui ont beaucoup donné à l’entreprise afin d’éviter sa fermeture..

« Qu’allons-nous faire  si cela ferme ? Et nos familles ? Il n’y a rien. Pas de travail dans la région. Toutes les boîtes industrielles ont fermé ou sont en difficulté ! Vous comprenez notre angoisse ? »

Les semaines passent. Sous sa direction, avec une gestion éclairée, affective et de proximité, un travail profond est déployé par les cadres et tous les salariés. Une dynamique collective est lancée. Des choix judicieux d’organisation sont effectués et portés par tous. Des économies autres que sur la masse salariale sont proposées par chacun et mises en œuvre. Après un an où « tout le monde est sur le pont » l’entreprise est  à nouveau « in boni ». « C’est très  juste mais cela passe pour la première fois depuis 5 ans ! ».

Le groupe décide pourtant de fermer l'entreprise

Le collectif est soudé par l’exploit de ce début de redressement alors que les perspectives semblaient inexorables pour cet établissement perdu dans la ruralité française. C’est alors que le dirigeant est convoqué au siège aux États-Unis. Il est heureux et confiant. Satisfait de son travail, il s’attend à des félicitations.

Mais c’est une autre histoire qui commence. On lui laisse à peine le temps de présenter ses résultats et d’expliquer les perspectives de l’entreprise. Le dirigeant qui le reçoit à peine une demi-heure lui explique qu’en raison de l’organisation de la firme planétaire  « en centre de coûts et de profits au niveau international », il a été décidé de procéder à une fermeture prochaine de l’établissement et qu’il lui revient de prendre ses dispositions. Le dirigeant  est sous le choc. Tellement surpris qu’il ne parvient pas à développer  ses arguments en faveur du maintien de la pérennité de l’entreprise. Il est cloué sur son siège.

On continue comme si de rien n'était

De retour au pays, il se dit, pensant aux salariés et à tous les efforts consentis : « Ce n’est pas possible ! Je ne peux pas leur annoncer cela ! Cela ne peut pas être ! Sans doute si le résultat est plus élevé, les perspectives plus solides, changeront-ils d’avis là-haut ? »

Il décide de taire cette demande du siège, et de poursuivre comme si elle n’existait pas. Six mois passent. Mois après mois, l'entreprise poursuit son redressement et les 300 salariés sont moins inquiets, moins tourmentés par l’angoisse, moins malades du stress chronique. À mi-année, le résultat à venir s’annonce même très prometteur.

Le « marché » de la fermeture

À nouveau, le dirigeant fait l’objet d’une convocation au siège. En dépit de ses préparatifs très argumentés, il ne parvient pas à infléchir la décision. « Des entreprises comme celles-là, nous en avons douze dans le monde et il a été décidé de fermer celle de France ! On ne reviendra pas là-dessus ! »

  • On lui propose alors un marché. « Vous avez bien travaillé ! Nous n’avions pas prévu ce retournement profitable ! On vous donnera 600 000 euros dans six mois après le lancement de la fermeture, puis 600 000 euros dans un an et enfin 600 000 euros à la fermeture dans moins de 2 ans ! Ensuite, vous serez réaffecté à une autre direction. »

Le dirigeant est secoué, il mesure à cette proposition combien la décision est ancrée dans la stratégie de la direction en amont, celle que l’on ne voit que rarement sur le terrain au sein des entreprises multinationales. Cette direction en amont, qui regroupe les vrais dirigeants du monde avec les princes de la finance et les chefs d’État. Ces hommes qui arrêtent les stratégies et les plans d’investissement en liaison avec les ressentis des analystes financiers, la bourse et les grands actionnaires. Ces hommes qui se trouvent  bien loin de la réalité, du lien social et qui échappent à la vision des conséquences humaines de leurs choix stratégiques.

  • Le dirigeant se dit « ils n’ont rien compris ! » Sa demande ne portait pas sur une meilleure reconnaissance pécuniaire de son travail mais sur une reconnaissance du travail du collectif des salariés qui avaient cru en lui et  démontré au cours des deux dernières années que « l’entreprise avait son droit à vivre ».

Refus de mettre en oeuvre la fermeture

De retour au pays, il attend à nouveau sans rien dire. Désabusé et perdu. Que faire ?  Annoncer très vite la fermeture serait se priver d’un atout considérable.

  • Il sera plus difficile d’enclencher cette fermeture et cette délocalisation de l’activité avec un large bénéfice annuel. Car, il le sait, la dynamique retomberait ! Peut-être, se dit-il, « si les résultats sont très bons et si les politiques s’en mêlent reculeront-ils ? »

La stratégie de l’inertie. Plusieurs mois après, les Américains débarquent. Le dirigeant refuse à nouveau devant les deux contrôleurs de gestion de prendre les mesures pour fermer. « Voyez les résultats. Nous avons démontré que cette usine était rentable ! Nous avons gagné plus cette année qu’en 8 ans ! Si elle est bien dirigée cette entreprise peut gagner encore plus ! On ne peut pas licencier des gens avec des résultats pareils ! Les politiques locaux vont s’en mêler ».

Les émissaires demandent une suspension de la réunion. Ils prennent sans doute l’attache de la direction américaine et reviennent avec la confirmation de la décision.

« Alors ce sera sans moi ! Voici la carte de mon avocat ! »

Il entre alors en grave conflit avec la hiérarchie du groupe, à laquelle appartient l’entreprise, en refusant de mettre en œuvre le plan de la maison mère.

  • Le courage ce n’est pas la témérité mais la fidélité à soi, et à ses engagements aux côtés et avec les autres humains qui partagent notre lot existentiel. Le courage c’est de surmonter sa peur pour agir selon ses convictions profondes.

Léonidas s’est sacrifié avec ses hommes, pour la défense de la démocratie naissante en Grèce. Le modèle démocratique s’était affirmé 10 ans auparavant, en 490 avant Jésus-Christ, dans une autre fameuse bataille, celle de Marathon. Cette bataille opposait déjà environ 200 000 perses, malheureux hères mobilisés contre leur gré pour une guerre qui n’était pas la leur, conduits par Darius Ier (le père de Xerxès), aux 11 000 hoplites, citoyens libres de la cité athénienne. Les citoyens libres ont affronté les Perses avec courage pour défendre leur système démocratique

Nul doute que beaucoup de héros modernes, comme le directeur de ce LIDL qui a risqué sa vie ou ce cadre américain, devront encore se lever pour faire évoluer le système de décision économique et social à la lumière des héros de naguère qui ont su préserver la démocratie naissante.

Combien faudra-t-il encore de Léonidas pour faire émerger un autre système plus respectueux des humains et de l’humanité ?

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Merci Jean-Claude pour cette belle histoire de management qu j'espère se finit bien !

J'ai toujours aimé les bonnes fin.

 

Cela m'a rapellé le livre : "Quand les cadres se rebellent" dont on parle ici : http://voila-le-travail.fr/2009/02/01/cadre-et-rebelle/

Et le site Jeresiste.com site de témoignages de salariés qualifiés en désaccord avec des décisions ou des pratiques manageriales