Organisations
Les personnels de France Télécom veulent retrouver le goût de travailler
Le 14 décembre dernier, Technologia soumettait la première partie de son rapport d’enquête.
Le rapport final, de plus de 700 pages, a été présenté vendredi dernier.
Il apporte un éclairage sur la crise sociale que traverse France Télécom et élabore des pistes de réflexions pour permettre la reconstruction de l’entreprise.
Le rapport Technologia met en lumière la violence des pratiques sociales
Le rapport Technologia décrit la taylorisation des activités de service mise en œuvre par France Télécom. Les processus sont devenus centraux, au détriment des hommes, tant les clients que les personnels de l’entreprise, en totale contradiction avec ce qui était affiché par ailleurs (« le client au cœur, le personnel au centre »). De plus en plus contraignants, ces processus vont jusqu’à empêcher « le travail bien fait », et engendrent un profond découragement.
Le rapport évoque une « effraction identitaire et symbolique » ressentie par les personnels après la privatisation du 31 décembre 2003, qui a coïncidé avec la mise en place de la politique de financiarisation.
L’organisation n'est certes pas entièrement pathogène, mais elle a institutionnalisé la précarité et les surcharges de travail : 70 % des salariés se plaignent des sous-effectifs, 58 % du manque de formation, beaucoup mettent en cause les dysfonctionnements du système d'information, pendant que la pression sur les objectifs s’intensifiait.
La virtualisation des RH a été mal vécue, en particulier par l’encadrement, sommé d’en encapsuler la mission pendant que l’ensemble des personnels vivait une forte pression pour quitter l’entreprise : 41 % des salariés pensent que leur sécurité d'emploi est menacée, et 50 % considèrent que leur statut (de fonctionnaire) ne constitue pas un avantage. On peut ici utilement rappeler que 30 000 emplois ont été supprimés en 5 ans, sans plan social.
Plus largement, le manque de reconnaissance, des compétences et de l’engagement, et la brutalité des pratiques, qu’il s’agisse des mobilités forcées et non accompagnées, ou de la prééminence du quantitatif sur le qualitatif, en particulier pour les personnels en contact avec les clients, rendent l’entreprise menaçante pour ceux qui y travaillent.
Le départ de la vieille équipe s’impose !
Alors que ce dernier volet d’enquête vient confirmer et approfondir les éléments d’un diagnostic accablant déjà établi par les premiers rapports Technologia, les personnels de l’entreprise éprouvent des difficultés à se reconstruire avec le maintien en poste des responsables de la crise sociale.
Comment peuvent-ils accepter la présidence de Didier Lombard et sa proposition indécente de distribuer 26 millions de stocks-options (résolution n° 13 à la prochaine assemblée générale) ?
Comment peuvent-ils croire au changement, alors que les responsables RH à l’origine de la suppression des 30 000 emplois continuent à orchestrer le dialogue social ?
Il appartient à l’État de laisser Stéphane Richard se séparer de ceux qui ont fait tant de mal à l’entreprise.
7 accords signés, pourquoi pas 18 ?
La direction de France Télécom se félicite d’avoir signé 7 accords avec les différentes organisations syndicales. Que faut-il en conclure ? Les 7 accords auxquels la direction fait référence sont de nature très diverses et peu porteurs de sens :
- la NAO (négociation annuelle sur les salaires) est signée presque chaque année,
- l’avenant à l’accord sur la participation est une obligation légale suite à des modifications de la loi française,
- l’accord sur l’intéressement exceptionnel est une obligation si l’entreprise veut avoir la possibilité de verser ces sommes aux personnels,
- l’accord sur le stress est une simple déclinaison d’un ANI (accord national interprofessionnel) que les 5 syndicats avaient signé au niveau national,
- l’accord sur vie personnelle/vie professionnelle a peu de portée réelle,
- l’accord sur la mobilité est un prélude à la négociation GPEC (qui a déjà échoué par deux fois),
- l’accord senior était une obligation légale sous peine de pénalité de 1 % de la masse salariale.
- La négociation sur les deux principaux accords, susceptibles d’entraîner un réel changement dans le quotidien des équipes, à savoir organisation du travail et conditions de travail, est actuellement bloquée.
Un projet industriel pour reconstruire l’entreprise
Si l’on veut que les prochains accords d’entreprise soient porteurs de sens, ils doivent également reposer sur un projet d’entreprise, consistant et rénové.
La CFE-CGC/UNSA rappelle qu’elle milite pour le déploiement d’une stratégie autour de trois axes :
- investir dans l’accès : la fibre, le déploiement de la 4G… nécessitent la reprise d’une politique offensive d’investissement (que la réglementation et le dogme de la concurrence ne doivent pas entraver) ;
- s’imposer « enfin » sur la médiation : France Télécom et Orange, comme la plupart des opérateurs, ont raté leur entrée dans le monde internet. Moteurs de recherche, portails, réseaux sociaux, plates-formes de services etc. sont aujourd’hui de véritables mines d’or. La publicité sur internet représente actuellement le quart du chiffre d’affaire de l’accès internet ! Pire encore, ce sont Apple et e-Bay qui donnent à celui qui a pourtant inventé le premier kiosque électronique une magistrale leçon sur l’intermédiation financière ;
- favoriser le développement du contenu sans pour autant devenir un producteur à part entière : le débat sur la neutralité du net et la modestie doivent rappeler à France Télécom qu’il lui incombe de favoriser la diversité des contenus et non de se comporter comme un prédateur.
Reconstruire France Télécom prendra du temps.
Les personnels, foncièrement attachés à leur entreprise dont ils souhaitent le succès, veulent pouvoir redonner leur confiance. Ils attendent une sanction des responsables et un nouveau projet industriel.