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15 / 04 / 2010 | 939 vues
Rémi Aufrere-Privel / Membre
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Conflit SNCF: raisons syndicales et solutions...

La grève engagée par les syndicats CGT et SUD à la SNCF est entré dans sa seconde semaine.
 
Rappelons les revendications portées par les deux organisations syndicales.
 
  • La défense et la promotion du service public SNCF
 
Cette thématique défendue par une large partie des syndicats est portée comme arme contre les politiques européennes et nationales de libéralisation des transports ferroviaires, mais aussi contre l'évolution actuelle des structures de l'entreprise publique avec une « gestion par activité », des externalisations croissantes et de fortes réductions d’emplois.
 
Ces évolutions mettent à mal le caractère intégré de la SNCF. Elles facilitent et accélèrent les pertes d'emplois à statut pour les transférer à des entreprises privées, ce qui ne manque pas de heurter frontalement la CGT, mais aussi la CFDT, SUD Rail et l'Unsa (ces quatre organisations sont représentatives nationalement).
 
Faute d'un engagement financier conséquent pour le fret opéré par la SNCF, l'accélération du déclin du transport de marchandises va se poursuivre, la crise actuelle amplifiant l'effet de désertification.
 
L'ouverture des débats sur l'arrivée de la concurrence d'entreprises privées dans le transport régional de voyageurs, inquiète particulièrement les syndicats et de nombreux agents de la société publique. Pas d'information réelle sur le maintien de la règlementation du travail, des conditions contractuelles, de la sauvegarde de l'emploi pour les cheminots qui seraient transféré (en cas de cession d'un marché transport) vers un opérateur privé.
 
La direction de la SNCF poursuit à marche très rapide, l'application de mesures pour décupler la productivité sans tenir compte que les restructurations engagées et projetées sont à la fois d'une ampleur jamais égalées depuis la création de la SNCF en 1938, et dans un timing qui emprunte plus à la précipitation qu'à une action partagée avec l'ensemble de l'encadrement qui a une vision très « court-termiste » de décisions.
 
  • L'emploi à statut
 

Cette question montre les effets de la « modernisation » engagée par la direction de la SNCF.
 
À partir du moment où la SNCF, en toute logique et au vu des évolutions européennes, a compris que son développement passe par des marchés à l'étranger et la réduction des coûts du travail de ces salariés, elle déploie les plus grands efforts pour conquérir de nouveaux territoires.
 
Tout en dynamisant à l'extérieur du territoire national comme à l'intérieur, ses mille filiales et sociétés dans lesquelles elle possède des participations, provoquant de facto une nouvelle période d'accélération des suppressions d'emplois « à statut » qui sont plus coûteux.
 
Cette politique n'est pas sans rappeler celles menées dans d'anciennes entreprises publiques, telles que France Télécom, et autres établissements publics autonomes, comme la Poste, cette dernière ne comportant plus qu'une faible partie d'emplois à statut « public » (« fonctionnaires »). Il n'est donc pas compliqué aux organisations syndicales de montrer les effets particulièrement négatifs en matière de conditions de travail, de flexibilité d'emploi, voire de déroulement de carrière et salariales dans ce grand bouleversement.
 
La CGT a aussi expliqué (exemple à l'appui) avec d'autres organisations syndicales (CFDT, SUD...) que le non-remplacement de postes pour des causes très variées (maladie, congé, accident etc.) provoque une gêne concrète pour une production de qualité, ce que reconnaissent parfois (et à mots couverts) certains cadres dirigeants de la SNCF.
  • Les salaires
La CGT revendique une hausse de 6 % (augmentation générale valable pour tous les personnels) en considérant cette demande comme un début de rattrapage pour des années antérieures et porter à 1 600 euros bruts le salaire d'embauche.
 
On notera aussi la vieille revendication des organisations syndicales cheminotes pour l'obtention d'un véritable 13ème mois de salaire en lieu et place de la prime de fin d'année (correspondant à moins des deux tiers d'un salaire mensuel) ainsi que la revalorisation de divers éléments salariaux (primes de travail, gratifications...). On remarquera une inflexion de la CGT qui ne parle plus d'un rattrapage de près de 20 % depuis des années, ce qui témoigne d'une volonté de coller à la réalité économique et de ne pas apparaitre comme excessifs par rapport aux salariés du secteur privé.
 
  • Deux organisations syndicales (CFDT et UNSA) ont décidé de signer le projet d'accord salarial qui prévoyait (après négociations) une augmentation de 1,44 %, soit au-dessus de l'indice des prix, niveau qui n'est pas courant pour l'entreprise publique.
 
Ces deux syndicats rassemblant moins de 30 % des cheminots, cet accord est donc resté à l'état de projet et la direction a donc pris la décision unilatérale d'une augmentation de 0,9 %. Cette mesure fait perdre à un agent d'exécution « moyen » (position de rémunération 11, 6ème échelon d'ancienneté, code prime de travail 2) 130 euros en année pleine (et 93 euros pour 2010).

  • L'unité syndicale s'est donc brisée sur ce projet d'accord.
  • La retraite
 
La CGT rappelle que pour les cheminots, un nouvel allongement de la durée de cotisations, la modification du calcul sur les 6 derniers mois ou un recul de l'âge de départ auraient des effets catastrophiques. En confirmant (avec d'autres syndicats comme la CFDT) qu'il s'agit d'un « véritable choix de société et que les moyens existent pour assurer aux cheminots une retraite de haut niveau à 50 et 55 ans ».
 
La fédération SUD Rail a édité un préavis de grève le 31 mars qui est un véritable catalogue de revendications catégorielles particulièrement riches pour les métiers de conducteurs et d’ASCT (contrôleurs). C’est un moyen classique  pour mobiliser ces personnels.
 

Début de conflit...

La CGT s'est retrouvée dans une position qu'elle ne souhaitait pas : un tête à tête avec SUD Rail

L'organisation cégétiste dirigée par Didier Le Reste a une confiance (très) limitée dans les positionnements et dans les évolutions très erratiques dans la stratégie du syndicat sudiste. Ce dernier faisant souvent appel au « mouvement social » avec les dérives habituelles liées à l'agitation d'associations diverses plus proches de la gauche radicale et libertaire que de l'action syndicale « classique ».

 

D'où les propos assez violents utilisés par le secrétaire général de la CGT contre d'abord l'Unsa porté par un « réformisme d'acceptation préalable du dialogue » et la CFDT qui muscle son discours devant le conflit à venir des retraites et son pragmatisme (par sa signature pour un accord salarial allant bien au-delà de l'indice des prix).


Un président de la SNCF au verbe (trop) fort et (trop) pressé ?
 
Guillaume Pepy s'est engagé dans une confrontation frontale avec le dirigeant cégétiste et leur détestation réciproque est connue de tous. Mais cela ne doit pas être l'excuse pour deux propos forts discutables car méprisants pour l'organisation cégétiste.
 
Tout d'abord, déclarer que l'on ne négocie plus après le démarrage d'un conflit ne semble pas judicieux dans la mesure où un conflit mal mené peut connaître un processus dangereux pour les deux parties. Il faut donc ne rien présumer de l'avenir.
 
Subsidiairement, indiquer que le conflit débutant, pouvant ne durer que deux jours tout au plus, avive une tension déjà trop importante.
 
L'économie de ces formules aurait (peut-être) permis de créer le climat favorable pour répondre sur quelques points à l'ouverture de négociations avec toutes les organisations syndicales représentatives (CGT, CFDT, SUD et UNSA) en prenant soin, jeu d'équilibriste, de constater l'action de la CGT et de SUD et la ferme volonté de la CFDT de défendre une politique contractuelle permettant l'obtention de revendications bien concrètes (exemple du projet d'accord salarial) en poursuivant les négociations pour améliorer le quotidien des cheminots (obtention d'un code prime augmenté entrant dans le calcul de la pension de retraite etc.).
 
Alors pourquoi ce verbe présidentiel très fort, voire brutal?
 

Nous ne pouvons le résumer à l'opposition des dirigeants. Le président de la SNCF est aujourd'hui soutenu par son autorité de tutelle (le gouvernement et certainement par le Président de la République). Mais jusqu'à quand ?

Ce soutien politique ressemble fort à la corde qui soutient... le pendu !
 
Car devant les perturbations dans certaines régions, nombreux sont les élus de tout bord politique qui devraient monter au créneau devant la colère des usagers.
 
Les principaux atouts du président de la SNCF demeurent sa grande connaissance (avec son expérience) de son entreprise et... l'absence de candidats à son poste. Depuis son arrivée à la présidence de la SNCF, personne (y compris ceux qui ne l'apprécient pas) n'a été capable de prononcer un nom crédible pour la direction de l'entreprise publique, motrice des évolutions sociales dans notre pays.

Un conflit qui se localise et se transforme

La CGT et SUD n'ont pas aujourd'hui réussi leur pari d'entraîner plus de cheminots dans la grève, à l'exception des agents de conduite et des ASCT (contrôleurs) qui connaissent une augmentation de 2 % depuis hier dans la participation qui s'établit dans ces professions à près de 30 % !
 

Mais la participation globale (tous salariés) est inférieure à 15 %, ce qui aurait été présenté comme un résultat « modeste » pour une autre grève.

 
C'est donc pour éviter de reconnaitre la faiblesse de la mobilisation dans tous les autres secteurs de la SNCF que le mouvement se transforme. Des préavis de grève sont à nouveau déposés pour des durées variables allant de 59 minutes à la journée (reconductible ou non), avec des dépôts de préavis différents selon les lieux, unitaires CGT-SUD ou non selon les ententes locales, parfois additionnés de syndicats non représentatifs nationalement mais actifs dans deux ou trois régions (comme FO à Paris Nord, Paris Est, Marseille, Limoges et Montpellier).
 
C'est la voie d'un conflit plutôt localisé qui se dessine (sous réserve d'une évolution contraire) avec des régions très mobilisées particulièrement dans le sud (Marseille, Montpellier, voire Bordeaux, Chambéry).
 
Quant à la forme, elle est multiple et dépend des mobilisations locales.
 
C'est donc plutôt la confusion dans l'organisation de la grève qui semble répondre à la mobilisation de haut niveau du personnel roulant (avec des revendications métiers très fortes et très affirmées) et à la faiblesse des autres métiers et filières.
 
Quid des syndicats « non-représentatifs » nationalement (FO, CFTC, CFE-CGC) ?

 
Ils ont été exclus des discussions et des interfédérales nationales mais ont des contacts avec les syndicats locaux CGT et SUD.
 
Dans une « lettre ouverte à Didier Le Reste, secrétaire de la CGT Cheminots », en date du 13 avril, le secrétaire de FO cheminots (E.Falempin) n'hésite pas dans une dynamique très provocatrice à re-proposer à l'organisation cégétiste la « co-organisation ...d'une mobilisation » (en rappelant son invitation formulée par un courrier en novembre 2009).

 

Force Ouvrière cheminots (7,98 % alliée à la modeste CFE-CGC lors des dernières élections de mars 2009) n'hésite pas à appeler « à l'unité de toutes les organisations syndicales... pour une grève franche, interprofessionnelle, pour bloquer le pays... ». On remarquera le langage habituel emprunté à l'extrême gauche (tendance ex-P.T. lambertiste P.O.I.) utilisé par les dirigeants de la fédération cheminote de FO.

 
Le positionnement très activiste des cheminots FO est un nouveau coup de hache dans l'accord portant désigné comme « historique » entre  FO et CFTC.

 

Car simultanément, la fédération CFTC des cheminots a diffusé un tract pédagogique expliquant dix points pour ne pas participer au mouvement de grève en cours.
 

Les voici (extrait intégral des dix points) :
 

« 1) Le mouvement a été décrété par la seule CGT, sans concertation avec l’ensemble des organisations syndicales. Comme à son habitude, l’organisation majoritaire a exclu CFTC, FO et la CGC des rencontres interfédérales. Fait nouveau, elle vient d’en éjecter Sud-rail.
 

2) L’action n’est pas unitaire. L’Unsa, sollicitée par la CGT, a refusé de s’y associer. La CFDT, qui se présente comme syndicat « réformiste », s’est jointe en partie au mouvement. Et pour ne pas être en reste, Sud a déposé son propre préavis avec des modalités propres…
 

3) Les modalités de la grève sont illisibles et confuses : mobilisation par secteurs d’activités le 7 avril selon des préavis divers et variés, appels à la grève pour le 8 pour les autres métiers. Grève reconductible pour les uns et carrée pour les autres : les cheminots n’y comprennent plus rien.
 

4) L’appel à l’action survient quelques jours seulement après un mouvement plus large et des expressions couronnées de succès. À quoi bon appeler à une nouvelle grève dans un délai aussi court ? L’appel sera-t-il entendu ?  
 

5) Quelles sont les véritables raisons qui ont poussé la CGT à appeler à la grève ? Ses rivalités avec la direction de la SNCF, la concurrence de Sud-rail, l’ultimatum de la SNCF sur les augmentations salariales ? Les intérêts des cheminots ? À chacun de se forger sa propre opinion. Si règlements de comptes il y a, la CFTC ne s’y reconnaît pas.  
 

6) La confusion qui entoure les appels à la mobilisation, la division syndicale organisée par la CGT risquent de compromettre l’efficacité de l’action. Une démonstration de faiblesse ne serait pas très profitable en ce moment.
  

7) D’autres préavis ont été déposés sur des sujets ciblés, dans certaines régions et dans certains chantiers. La multiplication des préavis nationaux et la juxtaposition des revendications ne risquent-elles pas de nuire à l’efficacité des actions locales, ou portant sur des sujets particuliers ?
 

8) Quel intérêt pour les cheminots de se mettre en ce moment l’opinion publique à dos ?
  

9) À la veille d’une réforme des retraites, et de nouvelles attaques contre les régimes spéciaux, est-il judicieux de tirer les cartouches dans tous les sens ? Gardons nos forces pour demain, nous en aurons bien besoin !
 

10) L’avenir de la SNCF s’assombrit. Les inquiétudes des cheminots sont légitimes. Des mouvements successifs désordonnés offrent-ils la meilleure solution au problème ? Aux salariés de juger. »

 

Quelles sorties de crise possibles ? Les dangers ?

Les forces militantes perdues dans ce mouvement seront difficiles à remobiliser dans un conflit social pour les retraites qui s’annonce.

La situation est difficile mais pas désespérée ! Il y a bien sûr les egos des dirigeants qui s’affrontent. On peut souhaiter que leurs équipes respectives leur indiquent les limites entre l’expression des personnalités et la recherche de solutions permettant aux deux parties de ne pas perdre la face. Car cela serait négatif à court ou moyen termes pour tous, le vainqueur du jour devant plus tard connaître le prix de sa « victoire » qui ne pourrait être que courte et relative.
 
Le secrétaire général de la CGT cheminots, Didier Le Reste, qui connait ses derniers mois à la tête de son organisation pour cause de retraite prochaine, ne souhaite sans doute pas quitter l’activité syndicale militante sue ce qui pourrait apparaître comme un échec.
 
Côté milieu syndical, certains dirigeants CFDT, tout en reconnaissant la validité de nombreuses revendications, n’hésitent plus à indiquer que les forces militantes perdues dans ce mouvement seront difficiles à remobiliser dans un conflit social pour les retraites qui s’annonce. C’est aujourd’hui la question de la meilleure stratégie par un calendrier adéquat qui est posée.
 

  • La fermeté du président Pepy (à poursuivre son action de transformation radicale de l’entreprise publique) soutenue par la détermination gouvernementale peut naturellement être la stratégie pour épuiser les cheminots avant l’ouverture de la vraie négociation pour les retraites.

 
Rien que sur ce sujet, il n’est pas certain que le positionnement de la CGT (et de SUD) ne soit pas contraire aux… retraites des salariés.
 
Quand au président de la SNCF, il paraît nécessaire qu’il permette l’ouverture de négociations par quelques gestes concrets permettant dès maintenant de désamorcer le conflit, en accompagnant ces propositions par la reconnaissance appuyée aux deux organisations qui ont signé le projet d’accord salarial positif sur l’année 2010 (CFDT et UNSA).
 
À défaut, la multiplication des arrêts de travail, les recours juridiques contre les grévistes, la dispersion des actions produira un pourrissement augmentant le sentiment de confusion qui prévaut actuellement.
 

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