Participatif
ACCÈS PUBLIC
01 / 09 / 2009 | 3 vues
Jean-Claude Delgenes / Abonné
Articles : 84
Inscrit(e) le 23 / 10 / 2008

Rétribution et stress en période de crise !

La crise partie du secteur financier touche fortement le secteur industriel et les services. Ses ravages ont été à ce jour jugulés en partie par les plans gouvernementaux de relance et de soutien de l’économie. Plusieurs dispositions ont été mises en place depuis un an. Report de certains impôts. Remboursement plus rapide de la TVA. Déblocage de prêts grâce à l’action des médiateurs du crédit. Maintien des rémunérations pendant plusieurs mois après la mise en œuvre d’un PSE. Facilitation du recours au chômage technique. Ces mesures ont permis de lisser dans le temps les effets sur l’emploi et éviter les ajustements trop brutaux d’effectifs. Elles n’ont pas permis d’éviter de nombreux PSE.

Les salariés sont bien conscients du caractère conjoncturel de ces mesures dont ils comprennent parfaitement l’utilité économique et sociale. Avec la fin des vacances, la tension sociale qui a en quelque sorte été mise entre parenthèses pendant l’été va ressurgir. Ce d’autant plus que le dispositif de soutien arrive en bout de course. Les mois à venir vont en effet être cruciaux  On ne sait encore si la reprise qui frémit sera suffisamment soutenue et longue pour éviter une rechute, phénomène classique décrit par un W. Dans ce scénario, la crise conduit à un premier rebond qui n’annonce pas la fin de la période mais une simple rémission temporaire. L’économie pourrait rechuter pour enfin se rétablir dans plusieurs mois. L’appréhension des salariés va crescendo. Soit la machine repart, soit l’économie s'enlise et le chômage explose, avec un État qui sera de plus en plus impuissant en raison d’une dette qui n’a jamais été aussi énorme en temps de paix. Le poids de la dette conduira les pouvoirs publics à la prudence dans une éventuelle seconde phase de relance sous peine de voir la notation de la dette se dégrader. La France qui emprunte 500 millions d’euros chaque jour ne peut pas se permettre de voir renchérir le coût de ses emprunts.  

On ne maîtrise pas les rythmes et les délais mais bientôt le chômage technique ne permettra plus, si les commandes ne se rapprochent pas de leur niveau d’antan, de préserver les effectifs.

  • Bientôt, des milliers de personnes remerciées dans les mois passés mais conservant leur rémunération vont connaître les premières réductions de leurs allocations de ressources. Le pire n’est jamais sûr dit on ! Certes mais le scénario est bien triste pour une partie du salariat qui représente 80% des actifs

Chez les salariés privés d’emplois, ou encore en sous-activité, l’angoisse liée à l’incertitude est palpable. Les salariés des secteurs les plus exposés, c'est-à-dire ceux du secteur industriel et des services ouverts à la concurrence internationale redoutent la précarité.

  • La récente étude menée par le professeur Michel Debout en avril 2009 a montré que la montée de la précarité et la perte de rémunération favorisaient les passages à l’acte et provoquaient actuellement un pic suicidaire souterrain.


Aussi, il apparaît indispensable de bien appréhender les phénomènes résultant du stress liés à la question des rémunérations. On peut distinguer plusieurs types d’impacts qui frappent surtout le personnel des entreprises.

Agressivité et recul des solidarités

La peur de la perte de la rémunération conduit à une véritable angoisse, à la progression des dépressions et à une forte agressivité. On assiste de plus à un recul des modes de collaboration entre les salariés et à la montée de l’individualisme.

Pour faire face au ralentissement des commandes, un équipementier automobile dans le centre de la France a dû, dans un premier temps, recourir au chômage technique sur plusieurs semaines. Les opérateurs de l’atelier de production ont d’abord posé leurs jours de congés et de RTT. Ensuite ils ont reçu des indemnisations dans le cadre du chômage technique. Pour de nombreux salariés il s’en est ensuivi une baisse de revenus allant jusqu’à 200 €, ce qui constitue une part non négligeable de leur salaire qui se situait en moyenne à 1800 euros mensuels.

Cette situation a duré quelques mois puis l’employeur a dû recourir à la mise en place d’un plan social qui n’a pas touché toutes les lignes de production. Certaines demeurant au contraire sous vive tension.

Cette baisse de revenus a fortement inquiété les opérateurs bien avant l’annonce du PSE. Les plus touchés ont été ceux ayant un emprunt immobilier, des enfants encore à charge, particulièrement les femmes élevant leurs enfants seules et les couples dont les deux conjoints travaillaient dans l’entreprise. Tous les projets de vie ont été mis entre parenthèses. Certains opérateurs ont commencé à souffrir de réveils nocturnes, d’autres ont eu de difficultés à s’endormir et/ou à se rendormir. Une fatigue générale croissante a frappé ces salariés. D’autres ont peu à peu versé dans la dépression et les addictions.

  • Sur le plan de l’ambiance de travail, une baisse de solidarité et des tensions fortes sont aussi apparues dans les équipes. Par exemple, entre les opérateurs qui ont accepté de faire des heures supplémentaires et ceux qui ont refusé. Les premiers pensaient uniquement à combler leur baisse de revenus et acceptaient toutes les heures supplémentaires sans réticence. Les seconds ne voulaient pas  travailler plus, par principe, car leurs collègues sur d’autres lignes étaient au chômage. Selon eux, l’employeur aurait  dû former les salariés sans activité aux lignes demeurées en production et mieux répartir le travail existant.

«  Le mensonge peut il être un mode de management efficace ? » - Les objectifs du variable qui amplifient le stress

Autres incidence de la période, les systèmes de rémunération variable sont fragilisés par le ralentissement économique. Les firmes n’adaptent pas leur définition d’objectifs par crainte d’amplifier le recul de leurs ventes. La pression devient très forte sur les équipes commerciales qui se trouvent disqualifiées et perdent des rémunérations complémentaires importantes. La détermination des objectifs génère un stress d’autant plus fort que les rémunérations sont variables. Le mensonge devient alors un mode de management.


«  Tu es pressé et tu ne peux pas revenir avant six semaines ? Ce n’est pas grave je me fournirai chez ton concurrent parce que je le vaux bien ! » Une entreprise de cosmétiques  a décidé de revoir de manière unilatérale les tournées de ses équipes commerciales auprès de son réseau de clients composés de salons de coiffure et de cabinets d’esthétique. Un nouveau directeur commercial, venu de la concurrence a imposé unilatéralement aux commerciaux régis sous le statut de VRP de rendre visite à leurs principaux clients toutes les six semaines alors qu’auparavant ils le faisaient environ toutes les 4 semaines avec une grande autonomie pour raccourcir ces délais. L’objectif était simple, dégager du temps à effectif constant pour mieux conquérir de nouveaux clients. La réalité contredit souvent les meilleurs pronostics. L’équipe des commerciaux, en concurrence avec celles de très grandes entreprises, a perdu un de ses principaux atouts dans cette évolution, à savoir l’adaptabilité aux contraintes de ses clients. « Tu es pressé et tu ne peux pas revenir avant six semaines ? Ce n’est pas grave je me fournirai chez ton concurrent parce que je le vaux bien ! » Très vite, les commerciaux ont commencé à établir leurs projections et leurs calculs. Le recul de leurs ventes conduirait à la fonte de leur rémunération, à court terme la perte serait faible mais à moyen terme elle serait insoutenable. L’état de nervosité a conduit à une grande fébrilité et a accentué les tensions avec les anciens clients et n’a guère permis de se positionner sur de nouveaux comptes. De plus, les commerciaux ont été plus exposés aux risques routiers en raison de leur stress grandissant. L’état d’anxiété et de fatigues a conduit à un violent conflit entre la direction commerciale et les équipes commerciales.

  • Au-delà de cette erreur de positionnement par rapport à la concurrence, on constate que dans plusieurs firmes les directions commerciales n’ont pas revu le niveau des objectifs à atteindre comme si la crise n’était pas passée par là. Certainement, la peur qu’en touchant à ces indicateurs, elles amplifient le recul de leurs ventes. Cet autisme des dirigeants conduit à des troubles psychologiques chez les commerciaux qui, bien souvent, vivaient déjà mal des objectifs jugés démesurés avant l’ouverture de cette période difficile.

« Ils sont inatteignables ! Et ils le savent bien ! On n'a pas le choix, on les accepte ! Mais on fait avec ! » Ces troubles se manifestent en premier lieu par la perte de repères pour les intéressés tiraillés entre le réel et le possible, si ce n’est le souhaitable. Entre les objectifs assénés et la tolérance de résultats largement en deçà. Aussi, on note la difficulté qu’ont les commerciaux à décliner de manière précise leurs objectifs et la rémunération qui va de pair avec leur atteinte, ainsi que leur niveau d’atteinte des dits objectifs. En revanche, tous les commerciaux profèrent de nombreuses critiques sur la méthode retenue pour fixer ces objectifs ou encore sur leur pertinence qui ne tient pas compte, selon eux, de la réalité économique ou encore de certaines situations spécifiques locales. Les réactions les plus fréquentes nient l’importance de ces objectifs, ce qui traduit aussi certainement une absence d’adhésion au projet de l’entreprise.

« Il faut faire 300 % des objectifs pour atteindre la prime maximum » L’entreprise peut s’installer alors dans une pratique complaisante de jeux de rôle et de mensonges.

Il ne faut pas occulter la grande souffrance chez les commerciaux générée par différents facteurs :

  • Le décalage entre les attentes de l’entreprise et les moyens donnés et qui obligent les individus et les équipes à palier au mieux aux dysfonctionnements  souvent par un surinvestissement personnel qui peut conduire à l’épuisement professionnel. Le «  burn out »  est,  il faut le souligner, un facteur prédictif du suicide.
  • Le sentiment d’échec souvent intériorisé lié à la conscience d’une incapacité à faire face dans les conditions données. Chez un commercial, la réussite de ses ventes contribue fortement à la construction de son identité professionnelle. Cet échec peut déboucher sur une crise identitaire  Surtout si elle s’accompagne d’une reconnaissance inadaptée de la part de la hiérarchie. 
  • Le conflit entre la demande de supérieurs hiérarchiques qui veulent que les objectifs soient déclinés coûte que coûte dans tous les cas et les valeurs personnelles qui répugnent au mensonge. 
  • Le sentiment de ne pas être considéré en tant que personne puisque « ma réalité – celle vécue sur le terrain »  est niée.
  • Le lien avec l’entreprise qui se délite et qui renforce l’isolement. « Je ne rapporte plus assez ! Je ne compte plus pour rien à leurs yeux ! »
  • La montée d’une forte insatisfaction et d’un sentiment d’injustice car la dureté des temps renforce la dureté des actions commerciales. Or, si la contribution des salariés est susceptible de fortement s’accroître parfois en vain, la rétribution de l’effort ne suit pas en cas de résultats en retraits des objectifs. C’est là un point majeur d’insatisfaction.
  • Bien entendu, la baisse du pouvoir d’achat est dénoncée par toutes les catégories de commerciaux mais le recul de la réussite commerciale est aussi doublement pénalisante pour ces populations car il affecte l’avancement de carrière

Les cadres intermédiaires qui font le grand écart entre la haute hiérarchie et les troupes qu’ils encadrent constatent bien les dégâts mais ne peuvent pas vraiment y apporter de solution. Ils regrettent le plus souvent de ne pas avoir les moyens de récompenser leurs collaborateurs.

Ainsi, pour les commerciaux, cette reconnaissance défaillante dans ce contexte, les oblige à s’automotiver pour se protéger. Le service rendu au client et la satisfaction du client  sont les principales sources de reconnaissance.

L’importance de la reconnaissance du travail doit être soulignée. Se sentir utile, avoir le sentiment que l’on effectue un travail de qualité sont essentiels à l’équilibre de l’individu. L’absence de reconnaissance formelle, concrète, mais aussi l’appréciation des supérieurs hiérarchiques, lorsqu’elle est renforcée par des insatisfactions de clients, peut être dévastatrice pour le salarié et conduire à des troubles psychiques.

Les personnels compensent par des investissements à l’extérieur (formations tournées vers des motifs personnels, priorité donnée à la famille, associations) permettent d’avoir un souffle d’air et de compenser la déception causée par le contexte professionnel.

La montée des conflits éthiques

Les conflits éthiques sont nombreux et s'accompagnent des tensions entre salariés liés à la perception d’injustices dans la rétribution.

Au cours d’un entretien, un salarié d’une banque me faisait part de son remords d'avoir placé un produit financier assez coûteux à une personne âgée qui n’en avait pas besoin. « Je me dégoûte ! Jamais je ne me serais cru capable de cela ! » « Ma grand-mère est revenue de Ravensbrück où elle a été déportée ! Un soir, alors que les feux s’éteignaient elle a volé un quignon de pain à une déportée qui se trouvait dans la litière en dessous d’elle ! Elle a mangée le pain aussitôt tellement elle avait faim ! L’autre déportée a cherché le pain ! Elle ne l’a pas trouvé ! Au petit matin, elle était morte ! Ma grand-mère a porté cela toute sa vie !  Jusqu’au bout, elle a regretté son geste ! Elle s’en est voulu ! Elle pensait qu’elle avait tué cette déportée ! Que celle-ci aurait peut-être pu survivre comme elle à cet enfer ! » «Je m'en veux autant qu'elle...!" Jamais je n’aurais dû vendre ce produit... Pour obtenir quoi de plus, au final ? »

  • Cette course à l’échalote des commerciaux dans le secteur bancaire peut en effet constituer une redoutable crise identitaire ravageuse pour les personnes ayant de fortes exigences morales et qui se voit rabaissées dans leur métier.


Autres sources de problème constatées, les injustices dans la rémunération qui aboutissent à la gangrène des équipes. Très souvent, le management répartit les rémunérations sans tenir en compte de la difficulté à atteindre les objectifs. Ainsi, sur une même ville, certains quartiers pauvres sont considérés à l’aune de quartiers riches qui permettent aux commerciaux d’obtenir de bons résultats alors que les premiers sont dans l’impossibilité de tenir ces mêmes résultats. Inévitablement, les tensions deviennent perceptibles et conduisent à un abandon de l’esprit de sacrifice. Une équipe, c’est bien souvent comme une équipe de rugby. Se pose la question : « Comment fait-on avec les autres ? » Les joueurs sont en à la fois en synergie et en concurrence ! Les meilleures équipes sont celles qui permettent à l’esprit de sacrifice de s’exercer, c'est-à-dire au sens du collectif, de l’emporter !

  • Pour cela, il convient de respecter des principes de justice dans la répartition des rémunérations et dans les sanctions des insuffisances. 

Les marges de manœuvre du management

Alors que faire ? Le management n’a-t-il pas d’autre choix que la fuite en avant et le mensonge ?

Si la fiche de paye est le premier élément de reconnaissance, il n’est pas le seul. Loin s’en faut. À plusieurs reprises, il nous est apparu que des rémunérations pouvaient être objectivement très satisfaisantes et cohabiter au cœur d’un mécanisme de reconnaissance, considéré comme défaillant.

Dans une entreprise de l’industrie agroalimentaire française, de graves problématiques liées à une souffrance au travail, des situations de stress, voire d’épuisement pour certains salariés, sont apparues.

  • Sur le terrain, un constat paradoxal. Tous les salariés rencontrés estimaient ne pas être assez payés. Tous estimaient néanmoins avoir un excellent salaire (près de 2000 euros nets par mois pour le plus petit salaire) plus des avantages annexes : un intéressement aux résultats du groupe à hauteur de plusieurs milliers d’euros par an, la participation, elle aussi, à un bon niveau, un CE plus qu’avantageux permettant à une famille de 4 personnes de partir au Mexique pendant 3 semaines pour 1800 euros, une mutuelle jugée très compétitive…).


Néanmoins, les salariés estimaient que pour les efforts fournis, tous ces avantages et cette rémunération n’étaient pas suffisants. Cette cristallisation autour des salariés s’est, en réalité expliquée par des mécanismes de reconnaissance uniquement basés sur une reconnaissance comportementale (travail=salaire).

La reconnaissance des résultats portait ici principalement sur le produit final : rendement, travail accompli.

Selon cette approche, la reconnaissance est une méthode de renforcement positif qui incitera l’individu à produire les actions souhaitables. Il importe de souligner que ce type d’approche est rarement préconisé comme seul mode de reconnaissance du travail des employés.

En effet, les manifestations de reconnaissance spontanées sur un plan relationnel sont tout aussi indispensables et même considérées comme le fondement des pratiques de renforcement du comportement des travailleurs.
 
Il est important d’entendre que la reconnaissance au travail est un élément essentiel pour construire et préserver l’identité des individus, donner un sens à leur travail, favoriser leur développement et contribuer à leur santé et à leur bien-être. Pour de nombreuses personnes, le travail devient le lieu central de la quête de l’identité, de la création de sens et de la réalisation personnelle. En conséquence, leurs attentes en matière de reconnaissance ont tendance à être plus grandes dans cette aire de vie. La reconnaissance au travail, c’est-à-dire la démonstration sans ambiguïté du fait que nos réalisations, nos pratiques de travail et notre personne sont appréciées à leur juste valeur, a pris une importance grandissante au cours des dernières années. Il ne suffit pas que l’individu soit rémunéré, il doit être reconnu de différentes autres manières.
 

  • Dans cette entreprise, la non-prise en compte de l’individu, des efforts fournis de façon quotidienne et invisible et qui ne sont pas quantifiables, conduit à des situations de souffrance, à des situations dans lesquelles l’individu et l’entreprise disposent de deux systèmes de valeurs et de deux cultures qui ne peuvent coexister….

 
« On ne demande pas à être payés des milliers, nous, on sait la chance qu’on a. Eux, ils ne le savent pas. Et c’est ça qui fait mal, c’est ça qui fait souffrir, on n’est rien pour eux. De l’argent, ils en ont.. Allez leur demander comment je m’appelle, si ma fille hospitalisée va mieux, si mon travail me plaît, et même si je suis compétent dans mon travail. Ça, ils ne pourront pas y répondre. Mais ils pensent que comme je suis payé, je suis heureux… »

Établir un dialogue « vrai » basé sur les réalités, la dimension humaine, et le respect de l’individu sont les principes de base à retenir pour construire des actions individuelles et collectives de réponse à la crise. Les entreprises qui réussiront sont celles qui mobiliseront toutes les énergies en leur sein, ce qui suppose de respecter les hommes et de leur permettre d’exprimer ainsi leur créativité.

Afficher les commentaires