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Le très mauvais bilan des autres lois sur le travail en Europe
Depuis des semaines, de nombreuses voix s'expriment pour fermement s'opposer au projet de loi sur le travail. C’est un texte régressif qui épouse en fait une philosophie libérale qui fragilise les droits des salariés, en sécurisant ceux des employeurs.
Ce texte joue sur plusieurs tableaux : remise en cause des limitations du temps de travail, assouplissement des modalités de licenciement, contournement du rôle des syndicats, décentralisation de la négociation collective et inversion de la hiérarchie des normes.
Il s’inscrit ainsi dans la continuité des réformes menées ces dernières années (sécurisation de l’emploi, Macron, Rebsamen), qui n’ont pas eu d’effets sur la reprise de l'emploi.
Mais ce projet répond également à une dynamique européenne au travers des recommandations proposées chaque année par la Commission européenne dans le cadre du semestre européen.
Facilitation des licenciements notamment pour motif économique
Dans la plupart des États membres, les « réformes » engagées sont similaires au projet de loi sur le travail.
L’Espagne et le Portugal ont assoupli les conditions de licenciement mais aussi le Royaume Uni et la Grèce.
- La réforme espagnole de 2012 (dont l’UGT réclame aujourd’hui l’abrogation) a élargi le motif économique du licenciement et affaibli les procédures en termes de délais à respecter ou de consultation des représentants des salariés ou l’obligation de procéder à un plan social.
- L’Espagne et le Portugal ont réduit les indemnités dues en cas de licenciement.
- L’Italie a abandonné l’obligation de la réintégration dans l’emploi en cas de licenciement injustifié.
Cette facilitation des licenciements s’accompagne souvent d’une mise à l’écart du juge.
- Au Royaume Uni, les procédures auprès des tribunaux de travail sont même devenues payantes !
Décomposition du temps de travail et de ses limites
La République tchèque et la Hongrie ont accru le nombre maximal d’heures supplémentaires autorisées, le Portugal a réduit de moitié le paiement des heures supplémentaires et supprimé le repos compensateur.
Décentralisation de la négociation collective pour flexibiliser les conditions de travail
- La réforme du travail en Espagne a donné la priorité aux accords d’entreprise sur les niveaux conventionnels supérieurs. L’Espagne a également accru les possibilités de dérogation pour les entreprises à l’accord de branche en cas de difficultés économiques, notamment en leur donnant la possibilité de sortir de la convention collective de branche, sur décision unilatérale de l’employeur.
- La Grèce a introduit un nouveau genre de convention collective d’entreprise, dite spéciale, dont le contenu peut être défavorable pour les travailleurs par rapport à celui de la convention sectorielle.
- Au Portugal, à l’introduction dans les accords de branche de clauses permettant des dérogations par accord d’entreprise s’est ajouté le quasi-abandon de la procédure d’extension des accords de branche. Résultat, le nombre de salariés couverts par un accord déjà affaibli par les réformes précédentes s’est effondré de 1,9 million de travailleurs couverts en 2008 à seulement 250 000 en 2013.
- En Roumanie, les conventions collectives nationales qui fixaient des normes minimales pour l’ensemble des salariés ont été supprimées.
Ces réformes ont également entraîné un affaiblissement des procédures gouvernant la législation sociale, que ce soit par la mise à l’écart du processus normal de consultation-concertation avec les partenaires sociaux nationaux ou du contournement des parlements nationaux (Grèce, Italie, Irlande).
Job Act et paupérisation
Après le « modèle allemand » de paupérisation, le « modèle italien » de flexibilité sans croissance, le Job Act est largement promu pour appuyer le projet de loi El Khomri.
Pourtant, la France est l’un des pays où l’emploi s’est le mieux tenu pendant la crise
(malgré son droit « rigide ») alors que l’Italie a perdu près de 900 000 emplois entre 2008 et 2013. Comme en Espagne, l’embellie récente sur le front de l’emploi en Italie ne correspond qu’à un maigre effacement des destructions passées. Dans le cas italien, les récentes créations de postes résultent quasi exclusivement de généreuses incitations financières versées aux employeurs !
Enfin, la plupart des emplois « créés » sont des contrats courts : seuls 20 % de ceux créés au premier trimestre 2015 étaient des CDI… En Espagne, une étude de l’UGT montre que 93 % des nouveaux contrats sont à durée déterminée et qu’un nouveau contrat sur quatre est d’une durée inférieure ou égale à une semaine !
Nulle part la « reprise » de l’emploi ne se traduit par des emplois de qualité…
Surtout, dans l’ensemble de l’UE, si la « croissance » semble reprendre peu à peu, c’est essentiellement grâce à des causes conjoncturelles (baisse du prix du pétrole et du cours de l’euro).
Les réformes n’y changent rien : avec une demande interne aussi faible, les pressions déflationnistes s’intensifient.
Au-delà de la médiocrité des performances économiques, ces réformes ont fragilisé (voire violé) les droits fondamentaux, ce que reconnaît le Parlement européen dans un rapport
de mars 2015 : droit à la santé, accès à l’emploi, droit à la retraite, droit à l’éducation…
Le projet de loi sur le travail, comme les réformes conduites en Espagne, en Italie, en Grèce, au Portugal mais aussi au Royaume-Uni ou en Europe de l’est, s’appuie sur un discours
idéologique : le coût dévorant du travail qui plomberait la compétitivité, la complexité du droit du travail qui nuirait aux entreprises et le caractère trop protecteur du droit du travail qui briderait l’emploi.
Pourtant, le droit du travail, en France comme en Europe, s’est construit comme un outil de pacification économique et sociale, demandée tant par les salariés que par les employeurs (contre une concurrence sauvage, un dumping social au niveau local et des relations conflictuelles sur le lieu de travail).
Le déconstruire ne résoudra ni le problème du chômage, ni celui de l’absence de reprise économique en Europe.
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