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23 / 09 / 2014 | 3 vues
Rodolphe Helderlé / Journaliste
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Chercheurs, directions, syndicats : coopération obligatoire pour mieux agir sur le travail

« Dans un contexte de crise, les sciences humaines et sociales devraient occuper une position centrale ». C’est ce que disait Laurent Wauquiez en novembre 2011 dans une interview qu’il avait accordée à Miroir Social alors qu’il était ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche. Cet agrégé d'histoire poursuivait : « les entreprises méconnaissent trop ce que peuvent leur apporter les sciences humaines et sociales. Elles sont encore réticentes à collaborer avec les chercheurs ». Encore faut-il que les chercheurs parviennent à coopérer car entre la sociologie, la psychologie, l’ergonomie, l’ergologie, la statistique et les sciences de gestion, nombreuses sont les disciplines qui se penchent sur le travail. Chacune avec son histoire, ses méthodes et son « langage » propre… La recherche sur le travail ratisse large, à l’instar de ce dossier sur l’humour au travail coordonné par Marc Loriol, chargé de recherche au CNRS, pour la revue de sciences sociales, Les Mondes du Travail. Si le thème est largement investi par le management, qui cherche à faire de l’humour un outil à visées utilitaristes, de telles stratégies seraient, selon le sociologue, généralement inefficaces. L’humour spontané au travail serait lui aussi en crise…Un éclairage pour le moins intéressant.

Co-construction


Une fois dans l’entreprise, les équipes pluridisciplinaires de chercheurs doivent privilégier l’action en intervenant pour co-construire des méthodes utilisables au quotidien par l’encadrement et les représentants des salariés. « Tout ne doit pas s’arrêter quand on s’en va. Les acteurs de l’entreprise doivent s’approprier leurs propres méthodes. Peu importe qu’elles soient impures sur un plan académique, le plus important est qu’elles produisent du lien social et renouvellent les conditions du débat social », souligne ainsi Philippe Davezies, chercheur en médecine et santé du travail à l’Université Claude Bernard Lyon I. Même souci de l’opérationnalité chez Yves Clos, titulaire de la chaire de psychologie du travail du CNAM et dont l’équipe intervient depuis deux ans chez Renault pour créer les conditions d'une « coopération conflictuelle » sur l’analyse du travail réel.  « Un verrou institutionnel est indispensable pour que le réel ne passe pas à la trappe de l’analyse du travail », souligne-t-il, soucieux d’une rigueur méthodologique, source d’appropriation. C’est ainsi que Renault est en passe d’inventer un nouveau rôle que celui de salarié référent du travail, élu par son équipe. En 2012, dix représentants du personnel de Michelin se sont ainsi engagés dans une formation-action, accompagnés par des ergonomes de l’Université Blaise Pascal de Clermont-Ferrand et de l’École d’Ergonomie de Bordeaux pour s’approprier une méthode d’analyse des conditions de travail. Ils l’ont mise en pratique sur la population des achats du siège sans sous-traiter à un cabinet d'expertise…

Entre enjeux partagés et censure


« Au moment du protocole, les chercheurs doivent annoncer clairement ce qu’ils veulent faire, comment ils veulent le faire et s’assurer que les parties prenantes ont compris les enjeux, sont d’accord et suivront le protocole », souligne Stéphane Lelay, sociologue du travail, lauréat en 2012 du Prix Malakoff Médéric innovation pour la santé au travail avec un projet de recherche visant à mieux comprendre les causes de l’absentéisme des travailleurs des déchets par une analyse croisée entre Veolia Propreté et la Mairie de Paris.

Mais quand la direction ouvre ses portes à des chercheurs en tenant les syndicats à l’écart, le compromis fatal n’est jamais loin. Il y a deux ans, une équipe de 14 chercheurs (dont Philippe Askenazy) ont signé un contrat de recherche pluridisciplinaire de 3 ans avec une grande entreprise française confrontée à un fort taux d’absentéisme. Les chercheurs ont postulé qu’il était possible de réduire le nombre d’absence de 2 jours par salarié et par an mais en démontrant statistiquement que les incitations financières et l’effort de formation ne pesaient pas lourd par rapport aux leviers managériaux. Dès lors, la direction n’a pas souhaité aller plus loin… alors que la convention de recherche prévoyait bien des entretiens qualitatifs. L’occasion d’illustrer à quel point une recherche sur un sujet sensible ne résiste que difficilement au compromis entre le « devoir faire » et le « pouvoir faire ». C’était pourtant l’occasion de dépasser le face-à-face réglementaire convenu qui existe entre les partenaires sociaux de cette entreprise.

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