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19 / 03 / 2020 | 266 vues
Jean-Claude Delgenes / Abonné
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SOS soignants : faut-il compter les seaux quand la maison brûle ?

La pandémie actuelle de coronavirus éprouve durement le système de soins de la France. Ce dernier, il faut bien l’avouer, a été déjà ébranlé par la restriction des moyens et la réorganisation territoriale. Celle-ci a été engagée par les derniers gouvernements afin de regrouper les hôpitaux en proximité (GHT), afin de réduire sensiblement le nombre d’établissements de soins en mutualisant les moyens humains et techniques. Chacun garde en mémoire la longue grève des services d’urgence où les soignants prenaient malgré tout en charge les malades.   



Ce tsunami viral était-il aussi imprévisible en France que le disent les pouvoirs publics ?  C’est pour l’heure une question secondaire. Sera-t-il suffisamment retardé dans sa propagation par le confinement des français ? C’est là l’enjeu essentiel pour éviter la saturation des établissements hospitaliers et accompagner la communauté des soignants qui s’évertuent tous à sauver des vies.


Malgré les divers signaux contradictoires des pouvoirs publics, la population a compris désormais en liaison avec la situation dramatique que traversent nos cousins italiens, l’urgence absolue sur le plan sanitaire. Avec sens civique la population contribue désormais à réduire le nombre de personnes contaminées et donc les flux d’entrée des malades à l’hôpital en respectant les barrières de distanciation sociale. Cette réduction devrait permettre au mieux dans deux semaines une meilleure prise en charge des malades en évitant, espérons-le, un scénario de débordement massif.


Le ministre du budget a lancé une formule qui a fait mouche auprès du public « Quand il y a un incendie et que la maison brûle on ne compte pas les seaux d’eau pour l’éteindre ! » la formule est juste et montre bien l’urgence vitale qui pousse à mobiliser toutes les forces pour assurer la survie des français contaminés par ce virus.

 

Pas encore de déplafonnement des heures supplémentaires


La maison qui brûle c’est aujourd’hui l’hôpital, premier foyer d’incendie. Or à l’heure de ces lignes les directions des établissements « comptent les seaux ». En effet, il est demandé dans plusieurs hôpitaux aux soignants qui se sont mobilisés massivement et longuement « sans compter leurs efforts et parfois au prix du sacrifice de leur santé » afin de répondre à l’urgence sanitaire de poser des heures de récupération, des RTT, ou des congés. Cette demande repose sur la volonté d’économie afin de ne pas prendre en charge le coût des heures supplémentaires effectuées qui, il faut le souligner, n’ont pas encore fait l’objet d’un déplafonnement par le gouvernement.  


C’est beaucoup demander aux soignants que de leur dire mobilisez-vous ! Y compris parfois avec des moyens inadaptés et nous verrons comment rémunérer votre travail. C’est beaucoup demander à des personnels qui avec une charge de travail harassante sont eux-mêmes en situation d’exposition maximale aux risques d’infection.


Les soignants fortement engagés ont besoin d’un soutien fort et d’une réelle reconnaissance de la part de leur encadrement pour faire face à cette situation extraordinaire…Le président de la république à louer avec sagesse l’engagement de ces héros au quotidien. L’encadrement des hôpitaux doit démontrer en continuité une capacité à saisir ces exigences émotionnelles.


L’inadéquation du matériel, tout le monde en est conscient, n’a pas favorisé et ne permet toujours pas une protection efficiente de ceux qui sont en charge de dispenser les soins. Les blouses, les pantalons, les gels hydroalcooliques, et surtout les masques manquent. Heureusement, ils commencent à être distribués. La tension a été telle que des vols ont été signalés dans les hôpitaux et à l’extérieur des hôpitaux sur la chaine logistique. Les chefs de service ont été contraints de garder ces biens précieux sous clef.
 

Les risques psychosociaux des soignants


L’infirmière, l’aide-soignant, le brancardier, le médecin qui collaborent au mieux dans cette activité débridée et paroxysmique ne peuvent pas se tenir à une distance d’un mètre les uns des autres car le travail réel exige collaboration souvent en proximité, par exemple pour la manipulation des malades, aussi cette prévention ne peut pas être mise en œuvre et respectée de manière continue. Les moyens de protection sont d’autant plus indispensables.


De même ils ne peuvent pas se tenir à distance des malades qu’ils doivent examiner, toucher pour les soigner, les entuber, les piquer etc. Les masques parvenus parfois tardivement (ou n’étant pas arrivés) bon nombre de soignants ont, en toute conscience, agi depuis le début de la crise, ou agissent encore, sans réelle protection en respectant comme ils le peuvent les consignes d’hygiène. La contamination dans ces cas peut être multiple, se faire à plusieurs reprises dans la temporalité des soins et donc exposer les soignants au risque de se voir inoculer plusieurs fois le virus. Cette charge virale plus dense peut les conduire à la mort comme il a été constaté dramatiquement en Chine et en Italie.

 

Le temps n’est pas venu de la recherche de responsabilités éventuelles dans ces dysfonctionnements et dans ce manque d’anticipation en prévention qui n’est pas nouveau en France, mais sans doute y aura-t-il un après car les victimes chercheront à comprendre pourquoi la chaine d’approvisionnement a été rompue ce qui semble ne pas avoir été le cas dans d’autres pays.


Les soignants redoutent qui plus est selon les témoignages recueillis par Technologia de contaminer des personnes saines et y compris leur entourage, leurs parents, leurs enfants. Les enfants des soignants d’un établissement sont gardés parfois tous ensemble et les effets de chaine de contamination sont aussi une source d’inquiétude pour les soignants. La crainte est renforcée par le fait qu’à l’heure de l’écriture de ces lignes le jour de carence en cas d’arrêt maladie pour garder ses enfants n’est toujours pas suspendu en milieu hospitalier.


Enfin le dernier risque psychosocial auquel sont exposés les soignants s’avère le moment redouté des arbitrages à établir dans les soins et la prise en charge des patients. La situation de saturation est telle dans certains établissements qu’ils appréhendent d’en arriver à cette extrémité, en laissant des malades à l’abandon pour diriger leur attention vers d’autres victimes jugées prioritaires. Exemple une victime de 85 ans peut ne pas être installée en réanimation si les matériels ne sont pas disponibles et que le staff médical juge préférable de réserver la rotation de ces derniers pour des patients plus jeunes. Autre choix celui des transferts qui ne sont pas anodins sur l’état de santé des personnes déplacées par l’armée vers d’autres établissements étant donné l’engorgement de plusieurs services. Ainsi, la situation reste très critique et préoccupante dans le grand Est. Les transferts de malade qui ont commencé vont sans doute aider à répartir les victimes vers des centres hospitaliers moins encombrés pour l’instant tout au moins, afin de les prendre en charge.


Ces choix et arbitrages contraints sont très couteux sur le plan éthique pour les soignants ; « être dans une situation de devoir renoncer à sauver une vie au profit d’une autre c’est sans doute ce qui marque le plus les consciences » avoue un médecin ami « On n’en sort pas indemne ! On n’est pas des robots ! Ou cynique à ce point-là ! »


Un soignant se délivre, ou pas, une approbation en regard de la tâche accomplie pour soigner voire sauver une vie. Cette exigence du travail bien fait est une véritable nourriture narcissique. Si la qualité de l’acte fait défaut alors un mal être se manifeste chez lui. Un acte inapproprié ou bâclé peut se ressentir ou s’exprimer aussi collectivement voire disqualifier un praticien aux yeux des autres au sein de l’équipe de soins. Le travail bâclé, la qualité à laquelle on renonce, impactent l’être dans sa dimension psychique et le collectif dans sa vision des standards et des pratiques à respecter.


La culpabilité est à l’œuvre et taraude en raison de ces choix. La satisfaction des patients, la certitude d’avoir agi en matière de soins pour le bien des autres de manière compassionnelle sont essentiels dans ces métiers vocationnels.
Entrer dans un conflit éthique ne se fait pas impunément. Le sens du travail qui étaye cet engagement hors pair des personnels soignants repose sur le respect de ces valeurs, sur la préservation collective des « règles de l’art médical » qui tient toute la communauté. S’en écarter aboutit à une remise en question néfaste et à un profond mal être. Voila pourquoi agir avec du matériel suffisamment adapté en nombre suffisant d’intervenants s’impose car la santé psychique de ceux qui sont les tuteurs de la santé si ce n’est de l’existence des citoyens parait essentiel.


Sont aussi essentiels dans la période actuelle de tensions et d’épreuves le soutien et la reconnaissance de la population. Les soignants affichent une fierté d’appartenance à leur communauté. Ils connaissent le prix et la portée vitale de leur engagement sans retenue aux cotés de ceux qui sont frappés par ce mal contagieux. Ils espèrent qu’une fois la tourmente sanitaire passée, la Nation gardera mémoire de cet engagement qui sera parfois, il faut hélas le redouter sacrificiel…et que les moyens seront enfin octroyés pour garantir ce bien commun qu’est l’hôpital pour toutes et tous. 

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