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20 / 11 / 2024 | 255 vues
Jean-Claude Delgenes / Abonné
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Quand le travail ne suffit plus !

Depuis une quinzaine d’années, les conditions de travail en France connaissent une détérioration inquiétante. Les études et chiffres officiels mettent en évidence une réalité alarmante, souvent ignorée ou sous-estimée. Entre pressions psychologiques accrues, précarisation des emplois, pénibilités physique et psychologique,  Flex-office et absence de reconnaissance des pathologies liées au travail, un constat s’impose : le monde du travail devient de plus en plus un espace de souffrance pour de trop nombreux salariés.

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Cette réalité est chiffrée, mais sous-estimée

L’étude CEEE de 2017, ainsi que les rapports d’Eurofound de 2022, montrent une nette dégradation des conditions de travail en France. Les contraintes mentales et physiques s’intensifient, et les répercussions psychologiques explosent. En témoigne un chiffre marquant: plus de 28 000 accidents du travail sont d’origine psychique, une donnée qui révèle la pression psychologique croissante dans les entreprises.


Cependant, ces chiffres ne sont que la partie émergée de l’iceberg. Selon une commission dédiée chargée de la préparation du budget de la Sécurité Sociale, 108 000 cas de pathologies psychiques d’origine professionnelle devraient être reconnus chaque année. Pourtant, à cause des critères très restrictifs imposés par les Comités régionaux de reconnaissance des maladies professionnelles, peu d’entre eux sont officiellement répertoriés (moins de 2000 pathologies psychiques liées au travail reconnues comme maladies professionnelle chaque année). Ce décalage entre la réalité vécue par les travailleurs et sa reconnaissance officielle freine la prévention et limite la prise de conscience collective.
Cette absence de prévention se combine alors avec une responsabilité qui n’est plus questionnée.


Au nom de l’efficience économique censée servir les grands équilibres et le maintien de l’emploi, ces situations sont tues et occultées. Cet évitement, ce manque de reconnaissance engendre alors un cercle vicieux. Les entreprises, en négligeant la prévention, et l’inscription de ces risques dans les Documents Uniques d’Évaluation des Risques Professionnels (DUERP), passent à côté de mesures essentielles de correction et d’anticipation. Elles se privent d’actions concrètes pour améliorer leur productivité et la création de valeur ajoutée. Les discussions avec les représentants du personnel sont entravées. Le dialogue social demeure très pauvre sur le sujet et les dirigeants échappent souvent à leurs obligations légales de garantir la santé et la sécurité des salariés. Mais au-delà s’enclenchent des phénomènes souterrains qui réduisent l’engagement des salariés dans leur travail. Le management assez vertical a la française ne favorisant pas cette mobilisation des énergies.  Sans les salariés pas de création de valeur.  

Dans cette précarité croissant, le travail ne suffit plus

La dégradation des conditions de travail s’accompagne d’une précarisation croissante. Les rémunérations, loin d’assurer une vie décente, ne permettent plus à la majorité de bâtir un avenir stable. Pour rappel en 2022, l'Insee rapporte que le salaire mensuel net moyen à temps plein était de 2520,00 € avec 10% des actifs recevant 4160 €, 1% des actifs près de 10000 € tandis que 10% gagnaient moins de 1440 € mensuels. Un travailleur sur 10 vivait de fait en dessous du seuil de pauvreté. Comme l'a déclaré l'ancien ministre du Travail Xavier Bertrand à l’Express il ne s'agit plus désormais simplement de « plein-emploi » mais de vivre « pleinement de son emploi ».

 

Contrairement à il y a 30 ans, accéder à la propriété ou améliorer sa situation sociale devient de plus en plus difficile. Ce désenchantement se traduit par un chiffre record : 2,5 millions de démissions en CDI ont été enregistrées en 2022. La résignation gagne. Le travail est de plus en plus subi. Cette fuite des emplois stables illustre un choix de plus en plus fréquent, notamment chez les jeunes : entre un travail jugé éreintant à 2 000 € nets par mois et une vie en marge du système pour un revenu moindre, nombreux optent pour la seconde option. Ces arbitrages révèlent une crise de sens profonde dans le rapport au travail.


Ce renoncement est aussi à mettre en parallèle avec une autre tragédie sociale et silencieuse qui frappe les sans-abris et les invisibles
La précarité du travail va de pair avec une autre crise : celle du logement. Aujourd’hui, la France compte 330 000 sans domicile, un chiffre en hausse de 30 000 personnes depuis 2021. Derrière ces statistiques se cachent des réalités humaines dramatiques. Nombre de travailleurs précaires dorment dans leur voiture, tandis que certains jeunes, dépassés par la pression, basculent dans la rue.


La situation des personnes sans domicile fixe (SDF) est une véritable tragédie de santé publique. Leur espérance de vie est réduite à 48 ans, soit plus de 30 ans de moins que la moyenne nationale. Le taux de suicide chez les SDF est quant à lui dix fois supérieur à celui de la population générale, un constat accablant qui témoigne du désespoir de ces populations.


Ce tableau montre une France où les conditions de travail et de vie deviennent insoutenables pour une partie croissante de la population. Les dérives dans le monde du travail, combinées à une précarité généralisée, dessinent une société où le travail, au lieu d’être une source d’épanouissement, devient un facteur de fragilité psychologique et sociale.


Que faire ?

Pour inverser cette tendance, il est urgent d’agir sur plusieurs fronts : tout d’abord favoriser une meilleure reconnaissance des pathologies psychiques liées au travail, avec des critères moins restrictifs pour ne pas rejeter les victimes dans le néant mais surtout afin poser les bases d’une prévention active. Cette prévention doit partir des situations réelles de travail. La prévention est une source de gains considérables pour les employeurs et la recherche de rentabilité n’est en rien antinomique avec cette démarche anticipatrice qui évite les centres de coûts.   


Le décideur, le dirigeant, clé de voute de l’entreprise, pour assurer ses obligations légales en matière de santé et de sécurité se doit de renforcer le dialogue social avec les représentants du personnel qui connaissent en général bien les situations de travail. Le dirigeant quant à lui est isolé des réalités sociales, il se fie aux remontées de son encadrement qui modifient et « euphémisent » les situations de travail à la mode Ray Ventura « Tout va très bien Madame la Marquise ! ». 


Un des problèmes de fond demeure le niveau de rémunération.  La France doit améliorer son positionnement dans la chaine internationale de création de valeur pour aller vers des produits plus sophistiqués et favorable à une élévation des rétributions des actifs, cette évolution vers le haut selon le modèle scandinave ne saurait se mener avec des conditions de travail délétères. En fait, tout se tient la précarité sociale entraine le déclin productif. Il en va de même avec la nécessité d’investir massivement dans le logement social pour lutter contre le mal logement et sans-abrisme. Cet investissement s’avérant profitable à la société car quand le bâtiment va bien l’économie se porte mieux c’est un adage que l’on a oublié ces cinq dernières années.


En bref au-delà des chiffres, il s’agit de replacer l’humain au cœur des préoccupations économiques et sociales. Le défi est immense, mais il en va de la dignité de millions de travailleurs et de citoyens et du maintien de notre économie avancée.
 

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