Participatif
ACCÈS PUBLIC
12 / 03 / 2020 | 118 vues
Frédéric Souillot / Abonné
Articles : 44
Inscrit(e) le 07 / 11 / 2016

Les chauffeurs d'Uber sont fictivement indépendants mais réellement subordonnés juridiquement

Par un arrêt en date du 4 mars 2020, la Cour de cassation a jugé qu’un chauffeur Uber n’est pas un indépendant quand il travaille pour la plate-forme (Cass. soc., 4 mars 2020, n° 19-13316, PBRI).
 

Le chauffeur qui a recours à l’application Uber ne se constitue pas sa propre clientèle, ne fixe pas librement ses tarifs et ne détermine pas les conditions d’exécution de sa prestation de transport. Pour chaque course, la plate-forme fixe le montant, donne des instructions strictes (itinéraire imposé), en contrôle l’exécution et sanctionne le chauffeur en cas de non-respect des règles fixées.
 

La Cour met en lumière l’existence d’un lien de subordination, justifiant la requalification de la relation contractuelle en contrat de travail. Désormais, il ne sera plus possible pour Uber de l’ignorer : peu importe que ses travailleurs disposent de la liberté individuelle de se connecter ou non à la plate-forme sans risquer une sanction disciplinaire.
 

FO a été la seule organisation syndicale partie intervenante dans cette affaire : la lutte contre l’ubérisation de la société a toujours été l’une de nos priorités. Bien que notre intervention volontaire n’ait pu être officiellement retenue pour une simple question procédurale, nous avons, malgré tout, fait entendre nos positions devant la plus haute autorité judiciaire du pays. Cette dernière a abondé dans notre sens : notre mission est donc accomplie.
 

Plus précisément, nous savions que le litige portant sur la reconnaissance d’un contrat de travail, notre intervention volontaire devant la Cour de cassation pourrait être écartée, le syndicat devant démontrer un préjudice qui lui est propre, ce qui n’était pas le cas en l’espèce selon la jurisprudence traditionnelle. Toutefois, il était de notre responsabilité, une question de principe de portée générale étant en jeu, que notre syndicat, en vertu de ses missions statuaires et de notre fonction au sein de la société, défende cette catégorie de travailleurs. Concernant ce genre de question, les syndicats devraient avoir intérêt et qualité pour agir. En effet, lorsqu’un litige soulève une question de principe dont la solution, de nature à avoir des conséquences pour l’ensemble de leurs adhérents, peut porter un préjudice même indirect ou d’ordre moral, à l’intérêt collectif de la profession, l’intervention volontaire du syndicat doit être reconnue, y compris devant la Cour de cassation (Cass. soc., 30 avril 2014, n° 12-35135 ; Cass. soc., 23 mars 2016, n° 14-22250).

 

Comme le relevait la société Uber elle-même, les enjeux du présent litige dépassent très largement le cadre de la relation entre la société Uber BV et le chauffeur M. X.

 

Cette décision est importante mais ne peut être étendue aux autres plates-formes employant notamment des chauffeurs ou livreurs, dans la mesure où l’existence d’une relation salariée a été déduite des spécificités du contrat d'Uber.

 

En dehors de toute action juridique de ses chauffeurs, il appartient donc désormais à Uber d’appliquer cette décision en leur reconnaissant à tous, le statut de salariés et les droits y afférents (congés payés, assurance maladie, prévoyance, obligations en matière de santé et de sécurité, bénéfice d’une convention collective, représentations syndicale et élue…). Pour nous, le choix du statut des travailleurs des plates-formes (salarié ou indépendant) n’a de sens que s’il ne mène pas à une subordination économique de fait.
 

En résumé, les chauffeurs de la plate-forme Uber sont fictivement indépendants mais réellement subordonnés juridiquement !
 

À noter (et c’est loin d’être négligeable) que cette décision est conforme aux jurisprudences constitutionnelle et européenne. Juridiquement, le débat est clos et c’est heureux…
 

Politiquement, nul besoin d’inventer des nouvelles règles qui permettent « la liberté et la protection » pour les travailleurs des plates-formes, comme le préconise le gouvernement à la suite de cet arrêt remarqué et remarquable de modernité, le code du travail actuel se suffisant à lui-même !
 

Le droit a ceci de terrible qu’il nous rattrape toujours, quoi que les parties fassent.

Pas encore de commentaires