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06 / 06 / 2022 | 440 vues
Xavier Burot / Abonné
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 « Le portage salarial n'ubérise pas le droit du travail mais la vigilance est de rigueur » - Benjamin Kantorowicz, avocat co-fondateur de Bianca

Spécialiste du portage salarial (*), Benjamin Kantorowicz, avocat co-fondateur du cabinet Bianca, considère que cette pratique permettant de conjuguer indépendance et statut de salarié doit rester encadrée strictement alors que les tentations sont grandes de la déréguler. Il y aurait dans ce cas selon lui une ubérisation du droit du travail au sens négatif du terme. Entretien avec un avocat qui interviendra le 25 novembre dans le cadre du colloque organisé par la Fédération CGT des Sociétés d'études sur le bilan de la convention collective du portage salarial et l'évolution des droits associés à ce statut.

Qu'est ce recouvre l'ubérisation pour vous ?

L'ubérisation n'est en soi pas bonne ou mauvaise car le néologisme recouvre selon moi simplement la capacité à optimiser une mise en relation sur une courte durée par le biais du digital. Mais force est de constater que l'ubérisation a une connotation négative du fait principalement de la question des droits des travailleurs. Si je considère que le lien numérique qui repose sur la géolocalisation et la notation ne suffit pas à caractériser un lien de subordination telle que l'on retrouve dans le contrat de travail qui s'applique à un salarié, les travailleurs indépendants doivent néanmoins avoir des droits à la formation et à la protection sociale que les plateformes devraient financer. Ils ne peuvent être exclus de certaines garanties attachées au droit du travail. Ce n’est pas contradictoire.

Y a-t-il un risque d'ubérisation du portage salarial ?

Une ubérisation du portage salarial, dans le mauvais sens du terme, serait la conséquence d'un élargissement de la pratique qui s'appliquerait à toutes les activités sans conditions. Or, il ne faut surtout pas oublier que le portage est une exception qui permet de conjuguer l'indépendance de l'activité et le statut de salarié pour des prestations nécessitant une compétence spécifique. Si le niveau de revenu minimum est un bon critère d'éligibilité, celui sur le champ des expertises est plus difficile à borner. 


La tentation d'élargir le périmètre du portage salarial n'est pas nouvelle. La vigilance doit être constante pour que le portage reste une exception. Fin 2020, on a tout de même vu le rapport Frouin préconiser le portage salarial pour les travailleurs des plateformes de mobilité. C'était un contre sens dans la mesure où cela revenait à reconnaître l'éligibilité du portage pour des missions sans valeurs ajoutées.. La « recherche » d’une mission par le porté (obligatoire dans le portage salarial) serait totalement dévoyée si celle-ci était assistée par une plateforme numérique et surtout si elle concernait des prestations liées aux transports de personnes et de marchandises. Les travailleurs des plateformes sont indépendants. La question n’est pas tant qu’ils obtiennent un contrat de travail (la plupart n’en désire pas) mais plutôt qu’ils soient en mesure de travailler décemment en bénéficiant d’un socle de protection.

En quoi la tentation de contourner le CDI n'est pas nouvelle et n'est pas propre au portage salarial ?

Certaines entreprises font effectivement miroiter un hypothétique CDI en proposant le portage salarial comme marche-pied. C'est une réalité mais qu’il ne convient heureusement pas de généraliser. On retrouve exactement les mêmes dérives sur l’utilisation massive de CDD et du travail temporaire afin de répondre à des besoins permanents. Autant d'abus que le droit est en mesure de sanctionner.


Vous contribuez à un prochain ouvrage collectif via le Think tank Planet Social sur les nouvelles formes d'organisation du travail avec une alerte particulière sur les plateformes de mise à disposition de personnel qui flirtent avec la ligne rouge par rapport à l'intérim. N'y a-t-il pas là un risque d'ubérisation du droit du travail ?


On voit en effet des plateformes proposer des profils d'indépendants dans des secteurs comme la restauration, l'hôtellerie, la logistique ou le médico-social sur des métiers peu qualifiés et sur des missions à durée déterminée. On est à la limite du prêt de main d'œuvre illicite dans la mesure ou on « prête  littéralement des pseudos indépendants qui effectuent une prestation dans des conditions proches du salariat.. C'est ainsi que lors d'une prestation événementielle, sur un même métier, la moitié des intervenants seront des intérimaires et l'autre des indépendants qui se feront forts de dire qu'ils gagnent plus mais en occultant le fait que leur droit en matière de protection sociale et de formation sont réduits. Quant aux protections liées aux accidents du travail et aux maladies professionnelles, elles sont malheureusement inexistantes pour eux. Cela n’est pas acceptable et constitue au demeurant une rupture d’égalité avec les entreprises de travail temporaires. Ces dernières doivent toutefois se phygitaliser afin »de rester attrayantes. Je souhaite soutenir l’entreprenariat et offrir un maximum de flexibilité aux entrepreneurs que j’accompagne. Le rôle sociétal des entreprises ne doit pas pas être annihilé pour autant.


(*) Droit et pratique du portage salarial - Lexis Nexis -  2016
 

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