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19 / 04 / 2022 | 171 vues
Jean-Claude Delgenes / Membre
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Comment conjuguer la lutte contre la dérive climatique avec l’exigence d’une indépendance nationale énergétique ?

L’objectif de réduction des émissions de carbone de moitié à l’horizon 2030 doit intégrer la question de l’indépendance nationale en énergie dans un monde bouleversé par la montée des tensions, des risques et des pandémies.

 

Comme si nous pouvions sauter par-dessus notre propre ombre et échapper à notre condition de dépendance naturelle, une coalition d’incapables nous a conduit pendant toutes ces années à amorcer un fléau pour notre patrimoine planétaire. La pandémie Covid 19 dernièrement nous a enseigné la modestie devant la mort. La fureur des éléments vient nous rappeler avec un souffle inédit notre propre vulnérabilité. Les peuples n’auront bientôt plus que le choix de les supporter dans le chaos mais ils ne le savent pas encore. Tout au moins une modalité demeure pour ne pas subir ces changements c’est de ne pas s’y résigner. 

Industrie


Dénoncer certes mais aussi énoncer. Nous avons traité dans les précédents articles publiés sur Miroir Social les innovations, les actions personnelles et collectives à mettre en œuvre sans tarder pour enrayer la dérive du climat et sauvegarder les générations futures et la biodiversité. Pour aider chacun à engager à bon escient des efforts et des actions essentielles dans la lutte contre la dérive climatique. Il convient ici de rappeler avec précision les sources de gaz à effet de serre (GES) et la manière de restreindre celles-ci. L’objectif central étant de réduire ces émissions de moitié à l’horizon 2030.


Cette cible reste en partie atteignable même si le pessimisme règne en maître avec le temps qui passe et l’inaction des femmes et des hommes politiques. Ainsi l’organisation des Nations Unis a dévoilé un rapport en septembre 2021 considérant que les GES vont augmenter de 16% d’ici 2030. Cette trajectoire conduirait à un réchauffement catastrophique de 2,7 degrés d’ici 2100. Le double de l’objectif de 1,5 degré, assigné par l’accord de Paris en décembre 2015. Un emballement pourrait survenir avec des effets en cascade et une forte accélération du réchauffement. Le groupe d’experts intergouvernementaux (GIEC) qui faut-il l’écrire, réunit des centaines d’experts toutes disciplines confondues dans près de 200 pays vient de rappeler qu’un milliard d’humains sur les côtes maritimes seront menacés dès 2050 et que la trajectoire nous dirige plutôt vers un réchauffement de l’ordre de 3,2 degrés à la fin de ce siècle. Ainsi la crise climatique apparaît déjà dans son ampleur et sa certitude angoissantes. Le GIEC précise qu’il y a un point de non-retour dans les 3 ans à venir. Notre capacité à maîtriser la température de la planète dépend donc d’initiatives majeures à prendre maintenant pour conserver l’espoir d’éviter une désintégration. Car la crise climatique engendrera misère, pauvreté, famine, déplacement massif de populations et bien entendu la guerre dans un contexte où les équilibres économiques sont en quasi-rupture permanente depuis des décennies. 


Comme l’écrit Edgar Morin dans la Voie (édition Fayard) le probable est la désintégration du système incapable de traiter ses problèmes vitaux, l’improbable mais encore possible est la métamorphose : le système à partir de ces éléments d’autodestruction serait capable d’une reconstruction… 


Oui cette cible est atteignable. Ne pas se laisser aller au désespoir car il ne tient pas ses promesses. Faire preuve d’un engagement optimiste. Perdurer dans l’effort collectif. Un jour viendra où vous penserez que plus rien n’est possible et c’est là où tout commencera…



Cette cible est atteignable à la condition de combiner les efforts personnels, les actions collectives qui devraient être aussi impulsées par l'État et les collectivités locales et bien entendu celles des entreprises et des associations dans le respect de leur diversité. Cette cible est atteignable à la condition que l’Etat soit exemplaire et donne le la par un engagement déterminé. Faut-il le rappeler l’Etat vient d’être condamné par la justice en raison d’une réduction insuffisante des gaz à effet de serre sur la période de 2015-2018. Il doit en guise de sanction prendre toutes les mesures sectorielles utiles d’ici la fin de l’année 2022 pour réparer un préjudice estimé à 15 millions de tonnes de CO 2 délivrées en trop dans l’atmosphère. 


Ayant épuisé depuis longtemps le répertoire des reproches et considérant que nul n’est suffisamment parfait pour avoir le droit de former les autres à son image, le texte suivant se donne simplement pour objectif de présenter quelques notions utiles car pour agir et prévenir il faut avant tout connaître.
 

GES : de quoi parle-t-on ? 
 

GES

 

Selon le centre interprofessionnel technique d’études et de pollution atmosphérique (CITEPA), la première source de gaz à équivalence C0 2 en France métropolitaine demeurait en 2017 le transport avec 29,7% du total des émissions. La voiture particulière occupait alors la première place de cette catégorie en contribuant à plus de la moitié (15,7%) du changement climatique. C’est-à-dire plus du double des poids lourds (6,3%) et des véhicules utilitaires (5,8%). Les autres modes de transport représentaient à peine 1,1% des émissions. Les vols intérieurs (0,8%) polluaient beaucoup plus que le train (environ 60 fois plus pour une même distance). 


Cette même année, la seconde source de GES restait l’agriculture avec un niveau de 18,9% des émissions dont la moitié résultant de l’élevage de bovins (9%) L’élevage en raison de la fermentation et des déjections est responsable de 68% des émissions nationales de méthane autre gaz à effet de serre. D’ailleurs selon la FAO l’élevage de bétail génère au niveau mondial plus de 14% des GES.  
Les activités domestiques (11,7%) la production d’énergie (10,9 %) et l’élimination des déchets (3%) demeurent beaucoup moins contributrices à la dérive climatique que les activités industrielles 17,8% et tertiaires 8%.


Chacun peut dans ces chiffrages tenter de situer des responsabilités. La France avec environ 1% de la population mondiale représente 1% des émissions de GES. On peut se rassurer à bon compte avec ces indicateurs en comparant ces émissions avec celles des USA car elles sont trois fois plus faibles : 5,5 tonnes équivalent CO 2 par habitant par an, en France contre 16 tonnes pour les USA mais comme le rappelle le journal le Monde cela serait s’exonérer facilement de ses responsabilités car il ne faut pas oublier que les pays occidentaux consomment bon nombre de produits importés d’autres pays. Ainsi la Chine devenue l’atelier du monde représente 30 % des 59,1 milliards de tonnes de GES émis annuellement sur notre planète quand les USA 13% et l’Union Européenne à 27, environ 8% se trouvent en deçà en raison de l’externalisation de leur production.  


En dépit de ces bémols de taille, il faut bien reconnaître que la France s’avère relativement meilleur élève que d’autre pays. Les Français produisent sensiblement moins de GES par habitant que la moyenne européenne en raison d’émissions de CO 2 très limitées dans le secteur de la production électrique. Le contenu carbone d’un KWh est faible car les choix français ont été de favoriser un mix de production électrique à base d’hydroélectricité, de nucléaire et d’énergies renouvelables (éolien terrestre, photovoltaïque).


Le GIEC estime par ailleurs dans son dernier rapport d’avril 2022 qu’une des issues pour atteindre l’objectif de réduction de GES est l’abandon très rapide, si possible dans les trois années à venir, des énergies fossiles en premier lieu le charbon, le gaz et le pétrole. Pour le GIEC l’électrification des usages peut de plus aider fortement à assurer la transition énergétique et permettre de contenir à 2 degrés l’augmentation de la température sur notre Terre.
 

Quel mix énergétique ?

Mix

La question centrale est donc celle de ce mix français d’une production électrique basée en grande partie sur le nucléaire. Ce débat n’a pas été vraiment mené lors des dernières élections et sans doute faut-il examiner les alternatives en regard des choix faits par d’autres pays.  
Ainsi en ce qui concerne l’énergie du vent issue des éoliennes, il convient de demeurer prudent. Un site anglais consacré à l’énergie précisait qu’en septembre 2021 l’énergie éolienne britannique (11.000 éoliennes) n’avait produit, à cause du calme plat de la météo, que 6% de la production de ce pays, alors qu’il en était attendu 25%. En conséquence, il avait fallu recourir d’une façon imprévue au charbon et surtout au gaz, avec comme conséquence une hausse considérable de son prix. Et ceci, bien avant la guerre en Ukraine. Ce recours ayant pour conséquences d’alimenter fortement les émissions de gaz à effet de serre. 
 

Une même situation a eu lieu durant le 4ème trimestre 2021 en Allemagne, avec un calme plat de longue durée jusqu’à Noël, qui a frappé ses 33.000 éoliennes (le quart de la puissance installée dans ce pays), entraînant une hausse considérable de la consommation de gaz russe et donc du prix spot du mégawattheure (MWH) jusqu’à un retournement brutal de la situation après Noël, avec un coup de vent qui changea d’un coup la pénurie en électricité éolienne en situation de surabondance, et fit alors dégringoler le prix du MWH. 


L’abandon du nucléaire en Allemagne a été décidé en 2002 et amplifié après le drame japonais de Fukushima en 2011- Cet abandon fait l’objet actuellement d’un large débat dans ce pays. Débat qui n’a pas vraiment eu lieu en France lors de ces élections présidentielles. Ce débat est critique car les menaces sur l’approvisionnement en énergie (Gaz Russe pour l’industrie et dans une moindre mesure le pétrole) qui résultent de la guerre en Ukraine pourraient si elles devaient être mise en œuvre paralyser la production industrielle et dumper l’économie allemande. Les arguments avancés sont de divers ordres. Ceux qui critiquent les anciens dirigeants politiques responsables d’un abandon précipité rappellent que le nucléaire à puissance installée égale produit trois fois plus d’électricité que l’éolien, et sans pour cela dépendre du vent. Le parc nucléaire était selon eux, qui plus est, très sûr et entretenu à l’allemande, c'est-à-dire avec une grande rigueur. Les centrales battaient des records mondiaux de disponibilité. D’autant plus qu'elles ne représentaient que 10% de la puissance installée.  Elles fonctionnaient en permanence à leur régime nominal c’est-à-dire à leur régime de base.


Les contempteurs du nucléaire outre la mise en avant des difficultés de traitement des déchets, avancent le drame épouvantable survenu au Japon pour justifier cette réorientation qui est reprochée à l’ex-chancelière Angela Merkel par les pro nucléaires. Les défenseurs de cette énergie nucléaire refusent en effet la référence à Fukushima pour justifier cet abandon. Pour eux, il n’y avait pas de centrales nucléaires allemandes exposées à un tsunami potentiel. Ce risque étant très élevé en bord de mer au Japon. Ils plaident en outre qu’à Fukushima, pour faire des économies sur les fondations antisismiques, les Japonais avaient placé les piscines des déchets au-dessus des réacteurs au lieu de les mettre à côté, ce qui a été un des effets majeurs de la catastrophe.


Quoi qu’il en soit, faute de vent (et de soleil en hiver), pour économiser le gaz russe, les Allemands sont donc contraints à accroître leur dépendance au lignite… et au charbon d’importation, en remettant en service leurs centrales charbonnières mises sous cocon depuis qu’ils ont fermé en décembre 2018 leur dernière houillère dans la Ruhr. A noter au passage que, jusqu’à la guerre d’Ukraine, 45 % du charbon importé par l’Allemagne provenait de Russie. En bref, les choix d’hier ont débouché sur une augmentation en 2021 de la part d’énergie imputable au mix charbon-gaz. Ces choix ont accru la dépendance du pays de Goethe envers le gaz venu de Russie. La guerre en Ukraine menace aujourd’hui les grands équilibres industriels et renforce les émissions de gaz à effet de serre. 


Une dimension de la réflexion à retenir est donc celle de l’exigence d’indépendance nationale en énergie dans un monde bouleversé par la montée des tensions, des risques et des pandémies. 


Une autre leçon à retenir est que dans un mix énergétique, il ne faut pas un pourcentage trop important d’éoliennes. Celles-ci aiment bien le vent, c'est-à-dire les dépressions, mais pas le calme plat, c’est à dire les anticyclones. S’il est vrai que de gros progrès sont en cours pour tenter de mieux réguler par le stockage cette énergie tirée du vent, il faudra encore de nombreuses années avant de parvenir à des résultats significatifs. A ce stade du développement scientifique et technologique, il paraît vain d’escompter un stockage d’énergie, quand les éoliennes, faute de vent, restent plusieurs semaines improductives.


Pour terminer les grands choix énergétiques de la Nation française doivent faire l’objet d’un débat démocratique.  Ces choix seront déterminants dans les années à venir afin d’offrir des marges de manœuvres suffisantes et accompagner les investissements et les évolutions indispensables en faveur d’une transition énergétique dans les entreprises.  Celle-ci est souhaitée par les salariés. Elle est d’ores et déjà rendue obligatoire par une profusion de textes réglementaires (loi climat , loi vigilance etc.). Les dirigeantes et les dirigeants ont commencé à agir mais ils restent encore tant à faire, ils se doivent de prendre avec audace bon nombre d’initiatives pour accélérer le train des mesures et mettre en mouvement une dynamique collective et une forte électrification des usages. Une baisse de 55% des gaz à effet de serre d’ici 2030 reste encore possible si cette mobilisation se réalise tous azimuts sans pour autant attendre la clarification de toutes les parties de l’équation au niveau macroéconomique.


Article de Jean Claude Delgenes, Economiste Fondateur de Technologia avec le concours de Gérard Neyret Ingénieur Ecole Centrale Paris Expert Technologia


 

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