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Changement d’employeur et procédure collective : la complexe articulation des règles
Par un arrêt du 20 décembre (Cass. soc., 20-12-23, n°21-18146), la Cour de cassation s’est aventurée sur les chemins tortueux du changement d’employeur, d’une procédure collective concomitante, et pour couronner le tout, en présence d’employeur de nationalité étrangère.
Les faits étaient les suivants : une société italienne détenait une succursale en France. La société est placée sous une procédure collective italienne dénommée « administration extraordinaire ». Une autre société italienne se porte acquéreur de certains actifs de la société placée en procédure collective. Toutefois, aucun engagement de reprise du personnel n’avait été formulé. Un mois après que l’acte de cession est conclu, les salariés français sont licenciés, par le repreneur, pour motif économique.
Les salariés contestent leur licenciement. Un des arguments tenait à la violation de l’article L 1224-1 qui organise le transfert des contrats de travail en cas de changement d’employeur. En appel, le nouvel employeur est condamné à verser aux salariés des dommages-intérêts pour rupture abusive de leurs contrats. Il forme alors un pourvoi en cassation.
Les questions posées à la Cour de cassation étaient les suivantes :
1) Quelle loi s’applique au contrat de travail exécuté en France en cas d’ouverture d’une procédure d’insolvabilité dans un autre État-membre de l’Union Européenne ?
2) Les règles relatives au transfert des contrats de travail trouvent-elles à s’appliquer dans le cadre d’une cession d’actifs isolés y compris au cours d’une procédure collective ?
3) L’abandon d’une partie des activités et la conservation de certaines, la reprise partielle de moyens corporels et un effectif de personnel réduit, permettent-ils de caractériser une entité économique autonome, condition sine qua non, de l’application de l’article L 1224-1 ?
Pour répondre à la première question relative au conflit des lois, la Cour de cassation applique les textes européens d’une part, et a laissé, aux juges du fond, la faculté d’apprécier souverainement, si les contrats étaient régis par le droit français ou italien.
Il en ressort que, bien que la procédure collective ait été ouverte en Italie, les salariés de la succursale française exerçaient exclusivement en France, et que l’action des salariés ne concernait pas la procédure collective, mais tendait à régler la question du maintien des contrats. Etant donné que les contrats étaient régis par le droit français, la question de leur transfert relevait de ce même droit, y compris dans la présente hypothèse, lorsqu’une procédure collective est ouverte dans un autre État de l’UE.
La deuxième question était plus complexe à appréhender. Le repreneur contestait sa condamnation pour non-respect des règles de maintien des transferts de contrats de travail en cas de changement d’employeur.
La législation française prévoit que lorsqu’un changement d’employeur intervient pour une des causes énumérées à l’article L 1224-1 les contrats de travail sont transférés au nouvel employeur. Ce dernier est alors tenu aux obligations de l’ancien employeur, sauf si le changement intervient dans le cadre d’une procédure collective (article L 1224-2).
Il faut comprendre, que lorsqu’une procédure collective est ouverte à l’encontre d’une société et qu’une nouvelle se porte acquéreur, en principe, le transfert des contrats se fait quand même, toutefois, à la différence d’une cession « ordinaire » l’acquéreur ne sera pas débiteur des créances salariales de la société qui fait l’objet de la procédure. Cette règle de l’absence de transfert des créances a été réaffirmée dans un arrêt du 19 avril 2023 (Cass. soc., 19-4-23, n°20-12808).
Dans la présente affaire, la Cour de cassation juge donc que le transfert des contrats avait bien lieu d’être, même si la cession ne concernait que des actifs isolés et non une cession totale ou partielle de l’entreprise.
Enfin le dernier problème de droit exposé à la Haute juridiction portait sur la caractérisation de l’entité économique autonome.
Il faut rappeler que pour le maintien des contrats prévu à l’article L 1224-1 puisse opérer, il faut un transfert d’une entité économique autonome. Cette entité consiste en un ensemble organisé de personnes et de moyens corporels et incorporels permettant l’exercice d’une activité économique qui poursuit un objectif propre (Cass. soc., 28-6-00, n°98-43692)
Dans l’affaire, objet du présent arrêt, les juges ont souverainement estimé que l’entité autonome était caractérisée, et la Cour de cassation leur a donné raison.
Les juges avaient relevé, que le repreneur avait acquis du matériel appartenant au cédant, mais également des droits de propriété intellectuelle, ainsi que des compétences techniques et industrielles, et enfin il avait repris le personnel. Par ailleurs, l’activité s’était poursuivie postérieurement aux licenciements avec le recrutement de nouvelles personnes.
L’acquéreur avait donc repris un ensemble de moyens corporels et incorporels significatifs et nécessaires à la poursuite de l’activité.
Ainsi, été caractérisé le transfert d’une entité économique autonome, et par voie de conséquence, l’acquéreur était tenu de reprendre les contrats.
Le licenciement des salariés dont le contrat n’a pas été maintenu, a, par conséquent, été jugé sans cause réelle et sérieuse.