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Mon parcours d'ex-permanent syndical désormais en poste à la direction de l'engagement sociétal et de la transition écologique de la SNCF
Rentré à la SNCF en 1982 à 16 ans, j'ai adhéré au syndicat FO en 1989 puis suis passé à la CFDT en 2009 pour en devenir secrétaire fédéral adjoint. J'ai décidé de rejoindre la direction de l'engagement sociétal et de la transition écologique à temps plein. Les raisons de mon choix.
Quel est votre parcours professionnel au sein du groupe SNCF ?
En mai 1982, âgé de moins de 16 ans, j'ai passé (et réussi) le concours régional d'élève transport-Sernam (Clermont-Ferrand) ouvert à tous les jeunes âgés de 16-17 ans (294 candidats).
J'ai fait le choix (ayant été reçu premier) d'intégrer le service des messageries de la SNCF parce que je voulais un métier commercial dynamique et je considérais que ce service était plus souple (car hors des contraintes techniques de sécurité ferroviaire). Je dois dire que je suis d'une famille 100 % cheminote (père entré apprenti du matériel en 1950, mère dactylographe en siège régional, frère aîné entré comme apprenti à 15 ans et demi à l'école de la SNCF d'électricité de Toulouse et qui a terminé surveillant des installations électriques et second frère ADC, puis CTRA et enfin responsable de qualité TER, à la retraite depuis juin 2020). La famille a quitté Vauzelle (site ferroviaire nivernais) pour rejoindre Clermont-Ferrand lors de la régionalisation de l'entreprise publique en 1973 (fin des arrondissements).
Quid du Sernam ?
La formation d'élève Sernam était d'une qualité théorique et opérationnelle assez exceptionnelle (comme celle d'élève des transports SNCF). Elle durait deux années, chacune étant sanctionnée d'un constat qui marquait une vraie progression. En cas d'échec, l'élève était licencié pour insuffisances de résultats pour raison réglementaire. En cas de réussite, nous étions commissionnés à notre dix-huitième anniversaire. J'étais basé au centre de messagerie de Clermont-Ferrand (dirigé par M. Prost) et, toutes les six semaines, j'allais au centre SNCF de formation de Louvres, en région nord-parisienne (« le château de Louvres ») pour suivre cours théoriques et contrôles de connaissances. La direction nous rappelait souvent que nous devions devenir agents de maîtrise dans les cinq années qui suivaient notre embauche.
Le travail était très diversifié. J'ai « roulé » les colis, vendu du transport, réalisé des opérations d'après-vente, fait de la saisie informatique, deux « campagnes d'huîtres » (décembre) en gare de Châtelaillon-Plage et aussi de l'affrètement routier. J'ai aussi connu les horaires décalés (ce qui était fort pénible).
En 1987, j'ai connu la première grande restructuration du Sernam et, conformément au statut (application du principe « dernier entré = premier sorti »), j'ai quitté le service en ayant inutilement appris 20 kilos de docs. Cela a durablement marqué la suite de mon parcours, avec une déception évidente.
Vous avez alors découvert alors le « vrai » chemin de fer ?
Parce que j'avais des activités associatives et politiques locales et nationales, j'ai décidé de rester « agent sédentaire ». Seulement il n'y avait pas de poste commercial pour moi et, après formation et constat, je suis devenu « AMV » (agent de mouvement).
Pendant cinq ans, j'ai été agent de manœuvre et aiguilleur-agent de circulation au petit triage de Gare Basse et Poste 1 de Clermont-Ferrand (poste détruit avec l'arrivée du PRCI). Cette période a été pénible parce que j'étais en horaires « pénibles » en 3x8 ou très décalés (genre 3h00-11h00 le lundi). Cela m'a fait prendre conscience de la vraie pénibilité des horaires nocturnes et m'a fait défendre l'idée de 32 heures par semaine (payées 39 heures) pour ce type de calendrier. J'ai bien remarqué que les collègues travaillant avec moi depuis des années portaient les stigmates du temps décalé et d'un vieillissement anticipé. C'était une vraie injustice bien concrète.
En 1992, j''ai intégré l'équipe commerciale des voyageurs et j'ai travaillé au centre de ligne directe et fait des remplacements comme vendeur au guichet. J'ai pris beaucoup de plaisir aux actions commerciales physiques, un peu moins avec le téléphone. Mon directeur d'établissement (ancien élève de transport) m'a proposé une accélération de mon déroulement de carrière (passage de B à D en moins d'un an), comme m'occuper de la communication du TER (assistant). J'ai refusé cette proposition professionnellement exceptionnelle pour entrer dans un parcours syndical externe inédit.
1989-1993, années charnières pour vous ?
En 1989, j'ai décidé d'adhérer au syndicat FO qui représentait pour moi des idées social-démocrates que je portais avec mes responsabilités régionales et nationales au M.R.G. (parti politique de Michel Crépeau, RG Schwartzenberg, et, plus tard, Christiane Taubira-Delannon). André Bergeron terminait sa carrière à la tête de la confédération FO. Son langage à la fois combatif et porté sur la négociation me plaisait et il évitait aussi l'usage de trop de démagogie. Cela dit, j'ai fait un choix assumé et loin d'être « confortable » puisque FO représentait moins de 4 % des voix dans la région de Clermont-Fd. Autant dire que c'était un choix délibéré qui n'a pas été de tout repos. J'ai occupé plusieurs responsabilités à la SNCF, comme RS au CER, secrétaire régional syndical, à l'union départementale FO (secrétaire adjoint) et, les années suivantes; dans des thématiques juridiques et politiques diverses (comité départemental de l'emploi et de la formation professionnel, administrateur URSAFF, président et vice-président suppléant de la section commerce CPH Clermont-Ferrand,...).
Avez-vous eu un parcours syndical international étonnant ?
Entre fin 1993 et fin 1999, j'ai travaillé comme assistant confédéral senior au secteur Europe-international auprès de Marc Blondel et Jacques Pé. Mes dossiers ont été l'Europe de l'Est et l'Asie, ainsi que OIT et ONU (avec une activité d'expert en conférences annuelles à l'OIT et une participation à une assemblée générale de l'ONU dans la délégation française. J'ai aussi représenté Marc Blondel à différents congrès d'organisations syndicales étrangères (Canada, États-Unis, Inde, Hong-Kong, ITF, CISL, Japon, Corée du Sud, Cambodge...), rencontré le brillant Chris Patten (dernier gouverneur de Hong-Kong), Sonia Gandhi etc. et des militants syndicalistes remarquables et courageux et réalisé de nombreux voyages d'études dans mon grand secteur géographique.
Retour au pays ?
Entre 2000 et 2008, j'ai assuré des responsabilités régionales puis nationales et européennes à FO cheminots (secrétaire fédéral de la protection sociale; administrateur CPRP, commission supérieure de la santé, retraites, action sociale puis Europe-international, négociations et communication).
En 2009, j'ai quitté FO cheminots pour des divergences importantes d'opinion avec la majorité du bureau fédéral (l'extrême gauche a pris le contrôle politique du syndicat).
J'ai rejoint la FGTE-CFDT et la CFDT cheminots. Puis j'ai été élu SGA de cette organisation durant deux mandats consécutifs (2012-2020) pour les dossiers Europe-international, négociation collective, politique des transports, CCGPF, entreprises privées et monde des voyageurs.
En avril 2020, le conseil national de la CFDT cheminots m'a désigné comme tête de liste pour l'élection des administrateurs salariés pour le CA du groupe SNCF (4 élus représentant les salariés, avec élection prévue en décembre 2020). J'ai terminé mon mandat de dirigeant syndical national cheminot le 1er octobre dernier.
Vous « revenez » dans l'entreprise sous quelles conditions ?
Je trouve l'expression « revenir » inappropriée, voire ridicule. Je n'ai jamais quitté la SNCF. La DRH du groupe SNCF a mis un dispositif d'accompagnement en place pour tous les élus et représentants du personnel. Comme d'autres collègues, j'ai bénéficié de cette aide indispensable et utile.
J'ai toujours fait l'effort de pratiquer un syndicalisme professionnel, interprofessionnel et international combatif mais toujours avec la ferme détermination de bâtir le compromis équilibré et raisonnable conciliant progrès social et efficacité économique. Depuis 2007, je négocie les dispositions conventionnelles de branche ferroviaire (d'abord fret ferroviaire privé puis branche ferroviaire « en grand ») au nom de FO puis de la CFDT. Avec une équipe militante (monde des voyageurs), j'ai contribué à des négociations produisant du « gagnant-gagnant » en tentant d'user d'une méthode proche de la « codétermination » que l'on pratique ailleurs en Europe même si les différences culturelles méritent une analyse attentive.
Je comprend que mon arrivée dans un poste de cadre en direction nationale pose question. Surtout quand j'ai appris que, depuis plus de quarante ans, j'étais peut-être le premier SGA (national) d'un syndicat représentatif qui sollicite de « revenir » à un service « classique ». Je déplore d'être présenté comme un « spécimen » d'exception.
Selon moi, la modernisation indispensable du syndicalisme passe par des parcours professionnels valant « aller-retours » entre permanent syndical et poste de travail dans l'entreprise ou branche. Pour ma part, j'ai vécu une histoire syndicale très riche et un cheminement professionnel passionnant (parfois difficile aussi) et un grand plaisir jamais dissimulé pour des interventions médiatiques régionales et nationales qui m'ont assurément stimulé. Porter haut et fort (parfois avec humour) un avis syndical argumenté dans les grands médias télé et radios a été à la fois un honneur et une position délicate. Je crois avoir respecté le mandat confié en parlant toujours avec le cœur et par ma passion pour défendre les cheminots de la SNCF et des entreprises privées et le transport ferroviaire avec les impératifs du développement durable bien présents.
Que pensez-vous apporter à l'entreprise, notamment à la direction de l'engagement sociétal et de la transition écologique que vous avez récemment intégré ?
J'espère apporter mes expériences de vie, quelques qualités professionnelles et humaines ainsi que des défauts. Devant le dossier de la RSE, il faut aussi reconnaître son humilité individuelle.
Côté développement durable, je suis sensible à cette question depuis plus de 25 ans. Je me souviens très bien des échanges passionnés et motivants avec les membres de la conférence ministérielle du Grenelle de l'environnement, notamment en participant au groupe 1 (transports et changements climatiques) avec Jean Jouzel (expert du GIEC) que j'ai fini par tutoyer par la soif stimulante de nos discussions. Je n'oublie pas les arguments d'une limpidité incroyable de Nic Stern (professeur d'économie à Oxford) et les motivations fallacieuses d'une organisation patronale routière revendiquant la forte augmentation du tonnage à l'essieu. J'ai aussi apprécié l'engagement de Nathalie Kosciusko-Morizet pour dynamiser la parole politique dans cette conférence ouverte initiée par le Président Sarkozy et Jean-Louis Borloo.
J'ai aussi défendu à voix haute, la proposition « d'exonérer des obligations des critères de convergences économiques (dits « de Maastricht ») les investissements publics d'État pour les travaux d'infrastructures de transports répondant aux impératifs du développement durable », auprès de Jacques Barrot (commissaire européen aux transports) lors de la conférence syndicale européenne TRUST en 2007, à Bruxelles.
Selon moi, notre groupe SNCF doit continuer de se saisir des 17 objectifs du développement durable édictés par l'ONU pour parfaire sa grande politique de responsabilité sociétale et environnementale. Sur ce point, le jeu de rôle par cartes récemment développé par La Fonda (avec soutien de la Fondation SNCF) est un outil pédagogique ludique et stimulant.
Côté sociétal, j'ai eu l'honneur d'avoir été élu municipal durant trois mandats successifs (1989-2008) dans une petite commune de 5.000 habitants, avec une délégation à l'environnement durant deux années et demie.
Concernant le monde de l'insertion, j'ai aussi siégé comme élu local dans le bureau d'une mission locale pour l'emploi des jeunes. J'admire les principes et actions développées par Bertrand Schwartz dans son rapport très moderne de septembre 1981, remis au Premier Ministre Pierre Mauroy. Bertrand Schwartz disait s'intéresser aux « Bacs -12 ». Étant Bac-2, j'étais aussi séduit par ce polytechnicien décalé et très humaniste.
Comprendre et appréhender « l'insertion » des jeunes (et des moins jeunes) dans la globalité des défis et des solutions est heureusement devenu une évidence pour concrétiser « l'égalité des chances ».
L'effort de rédiger des jugements « justes » dans la section du commerce du CPH de Clermont-Ferrand m'a appris à faire preuve de mesuré quant aux conséquences des décisions de justice et à comprendre l'intérêt de l'employabilité des gens condamnés à des travaux d'intérêt général (TIG), qui représente bien une justice plus moderne et une entreprise totalement citoyenne qu'est la SNCF comme utilisatrice.
Comment abordez-vous votre nouvelle responsabilité de chargé de mission référent national pilotage réseaux et insertion au sein de la DESTE ?
Malgré une relative fragilisation juridique de l'unité du groupe SNCF, avec la disparition du groupe constitué d'EPICS (première réforme ferroviaire, en 2014) au profit d'un ensemble constitué de SA (deuxième réforme, en 2018) aux capitaux incessibles (100 % État) pour les principales sociétés (réseau, voyageurs et groupe), je suis résolu à porter haut et fort une politique de RSE « de groupe ».
Au niveau du modèle commercial, c'est essentiel dans le cadre législatif et règlementaire de la notation extra-financière. C'est aussi très important pour répondre aux demandes légitimes dans le cadre des appels d'offres pour les transports régionaux et inter-cités et accompagner, autant que faire se peut, les exigences des élus régionaux (AOM) et locaux.
À un niveau plus « sociétal » qui s'intègre parfaitement à l'efficacité économique et sans contradiction avec elle en participant à de meilleurs services de transports publics, en soutenant des associations locales, régionales et nationales dans le cadre de l'éducation populaire, par le recours aux entreprises d'insertion, la « formation » à la mobilité inclusive, les interventions en milieu scolaire (pour apprendre aux plus jeunes le danger et la gravité des circulations ferroviaires), des actions avec le monde associatif pour la prévention de la délinquance en gare, l'emploi de gens condamnés à des peines de TIG, l'objectif est de redynamiser la SNCF comme l'une des premières entreprises de France socialement responsable.
Développer le mécénat de compétences permet aussi de lier l'engagement individuel des cheminots qui offrent leur savoir pour des jeunes et/ou gens en difficultés pour aider à trouver un emploi durable ou apporter un soutien à un moment difficile de leur vie.
Nous devons aussi souligner des actes et initiatives très concrets des cheminots qui, souvent, l'ignorent.
Par exemple, leur participation financière dans des fonds labellisés ISR au sein du plan d'épargne du groupe SNCF permet des solutions d'emploi et de logement pour plusieurs milliers de personnes en France. Cette épargne est efficace humainement et rentable économiquement. C'est de l'argent propre qui prouve aussi l'engagement sociétal individuel de milliers de cheminots.
En tant qu'ancien responsable syndical, je crois que la RSE est aussi un vrai levier de négociation social national et régional. Cela peut être la marque durable de l'unité sociale du groupe formant un caractère « indissociable et solidaire ».
Depuis ma récente arrivée, je m'emploie à écouter nos managers de l'engagement sociétal et correspondants de la Fondation SNCF (MES-CF) qui connaissent bien leurs régions et tous les collègues. Ce sont eux qui « m'animent » jusqu'à ce jour. Viendra bientôt le temps où je participerai encore plus activement à la mise en valeur et en symbiose de toutes les actions concrètes de notre politique RSE.
Je connais les forces et certains irritants de cette grande entreprise publique que j'aime. Je sais qu'il faudra arguments et enthousiasme pour être la première entreprise modèle française en matière de RSE.
Avec mes collègues, je suis convaincu que nous avons le culot pour relever ce défi. Nous gagnerons ensemble sur le mode participatif et coopératif avec tous les cheminots et salariés du groupe SNCF. Et le projet d'entreprise « Tous SNCF » sera un appui déterminant pour réussir.