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Oscar du gaspillage à la fermeture de Fessenheim
Ces dernières semaines, le gouvernement s’est félicité d’avoir quasi-unanimement fait voter une loi pour lutter contre le gaspillage. Simultanément, il oblige EDF à ferrailler une usine qui fonctionne. D’où vient une telle incohérence ? Cette opération aurait pu répondre à d'autres objectifs mais quand on examine les priorités de l’État, on ne trouve que des effets défavorables.
La lutte contre le changement climatique est souvent présentée comme la première priorité, avec pour objectif la neutralité carbone en 2050. Or, la fermeture de Fessenheim va supprimer la production de 11 milliards de kWh d’électricité non carbonée, ce qui correspond à des émissions évitées représentant 2 % des émissions nationales. Ces kWh ne seront pas remplacés que par des énergies décarbonées.
L’Agence internationale de l’énergie a encore récemment indiqué que le nucléaire était indispensable si l’on voulait atteindre les objectifs de réduction des émissions. En juillet dernier, présentant sa publication Technologies for a Clean Energy Future: The Hydrogen and Nuclear Cases, l’Agence précisait : « La prolongation de la durée de vie des centrales nucléaires est compétitive par rapport aux nouvelles centrales solaires et éoliennes et offre une solution de remplacement rapide ».
Le gouvernement est soucieux de la continuité de la fourniture électrique et de la sécurité d’approvisionnement et il se prive là d’une production non aléatoire alors que solaire ou éolien, qui devraient voir leur production augmenter, sont à la merci du soleil et du vent.
Il affiche la diminution du chômage comme objectif. Or cette opération supprime près d’un millier d’emplois ; elle fait localement perdre la principale richesse, ce qui semble ne pas aller non plus avec les orientations de l’aménagement du territoire.
Le déficit de la balance commerciale est une faiblesse permanente de l’économie française, l’électricité représente un poste notable des exportations et il va forcément diminuer avec la disparition de la production de Fessenheim.
Les conséquences financières sont aussi très défavorables : pertes des recettes, coût du démantèlement anticipé, indemnisation des actionnaires, investissements nécessaires dans la production et le transport, reconversion de la région etc. Le chiffre de plusieurs milliards est l’ordre de grandeur (à titre de comparaison, le budget des opérations extérieures des armées est inférieur à 1 milliard…).
La seule raison de cette opération se trouve dans les équilibres politiques qui veulent faire gouverner ensemble des partis pour lesquels la position antinucléaire a un caractère quasi religieux et est surtout un marqueur politique et d’autres qui admettent le nucléaire avec plus ou moins d’enthousiasme.
Le résultat traduit une fausse sagesse : entre les pour et les contre, on fait moitié-moitié et, pour compléter le tableau, on ferme la plus vieille centrale. Le problème est que cette vieille usine tourne parfaitement avec la bénédiction des autorités de sûreté. Il n’y avait donc aucune urgence à la fermer.
Le problème est aussi que le « 50 % de nucléaire » n’a, même s’il a été voté, aucun fondement rationnel. On aurait pu concevoir cette proportion dans un nouveau programme mais fermer une usine pour respecter une limite arbitraire qu’on s’est soi-même fixée n’a pas de sens.
Certes, le nucléaire fait peur même si, statistiquement, il a plutôt un bon dossier. Il paraît notamment beaucoup moins dangereux que le charbon mais il inquiète davantage car il est mystérieux alors qu’une explosion ou un éboulement sont « naturels », que l’accident minier est limité dans le temps et l’espace alors que le nucléaire a des conséquences mal limitées et qu’enfin les victimes ne sont que des professionnels, alors que le nucléaire peut toucher les populations environnantes.
Quant au faible volume des déchets nucléaires, souvent mis en avant, fait que, même si le problème est complexe, il trouvera une solution pour nous et les générations futures.
De toute façon, fermer une centrale ne modifie pratiquement pas le problème : soit on estime que le danger est insupportable et c’est la sortie totale du nucléaire qu’il faut engager, soit on l’estime maîtrisable et il faut revenir à l’optimum économique.
On va donc assister à un triste spectacle appauvrissant une région, obligeant du personnel techniquement très pointu à changer de métiers ou à se déplacer ailleurs, une dépense de plusieurs milliards d’euros va être générée, laquelle aurait pu être utilisée de façon plus judicieuse, on va à l’encontre de la lutte contre le changement climatique etc. Où sont les avantages ? S’il y avait un concours, on pourrait donner à la fermeture de Fessenheim « l’oscar du gaspillage ».