Projet de loi sur le travail : les réactions de Stéphane Béal (Fidal) et de Jean-Paul Charlez (ANDRH)
Propos recueillis par Jean-François Rio et David Giraud (Liaisons Sociales)
Stéphane Béal (directeur du département droit social du cabinet Fidal) et Jean-Paul Charlez (président de l’ANDRH et DGRH d’Etam) réagissent aux principales modifications apportées, le 14 mars, par le gouvernement au projet de loi sur le travail porté Myriam El Khomri.
Liaisons Sociales : Quel regard portez-vous sur les corrections apportées par l'exécutif au projet de loi sur le travail (1) ?
Stéphane Béal : Globalement, peu de choses ont changé. Fondamentalement, le texte reste le même. Sauf pour le dispositif permettant aux entreprises de moins de 50 salariés de recourir aux forfaits annuels (jours ou heures) en l’absence d’accord collectif (entreprise/branche), sur lequel le gouvernement est revenu, ce qui est dommage. Une partie des salariés réclament cette souplesse et, pour les abus, il faut rappeler que des garde-fous demeurent. L'accord du salarié est toujours obligatoire. Cependant, il n'est pas exclu que le sujet revienne sur le devant de la scène, notamment après le passage au Sénat. J'y suis favorable.
Jean-Paul Charlez : J'attends de la version définitive mais nous sommes globalement en présence d'un texte intelligent et courageux. Les grands principes ont été sauvegardés, notamment celui de donner davantage de poids à la négociation collective afin de favoriser le dialogue social. Mieux, j'estime que le projet de loi a été hier enrichi par des mesures importantes (sur le CPA, la garantie jeunes…) et débarrassé de ses « irritants » inutiles.
LS : Le gouvernement a tout de même modifié le plafonnement des indemnités prudhomales...
S. B. : Il y a effectivement un vrai recul là-dessus, certainement pour des raisons politiques. Dire que la « barémisation » des indemnités prudhomales serait indicative peut revenir à dire que cela ne servira à rien. C'était pourtant l'une des mesures emblématiques du projet de loi. On aurait pu envisager plusieurs façons de faire même si cela aboutissait à la même chose : on aurait pu augmenter les plafonds, on aurait pu laisser un barème indicatif et demander une explication motivée, lorsque l'on demande une somme supérieure au barème, par exemple. Si cela contente des syndicats comme la CFDT et la CFTC, ce retrait va mécontenter les patrons de TPE/PME, pour lesquels il restera donc un frein psychologique à l'embauche. Ce renoncement ne va pas être bien compris et risque même d'avoir un effet négatif sur tout le reste du texte de loi.
J.-P. C. : Oui, tant mieux. Voilà ce que j'appelle un « irritant » inutile. Nous avions avec cette histoire de plafonnement des indemnités prudhomales un non-sujet en capacité de polluer un texte équilibré. Si les entreprises n'embauchent pas, ce n'est pas par peur de licencier. De plus, dans de nombreuses entreprises, comme dans la mienne (Etam), le nombre de dossiers prudhomaux est ridiculement bas. En revanche, la « barémisation » incitative a du sens.
LS : Le texte de loi a été légèrement modifié sur le licenciement économique...
S. B. : Le gouvernement a tenu bon. Ce n'est pas un problème de licenciement boursier, comme je l'entends dire ici et là. En cas d'abus, la jurisprudence de la Cour de cassation suffit. C'est ce que cette dernière a appelé la légèreté blâmable dans des arrêts rendus en 2011 (notamment l'arrêt n° 334 du 1er février 2011). Pour cause de quelques abus, il n'était pas utile d'édicter des règles pour les autres. On ne légifère pas par l'exception. La France est le seul pays où l'on va au-delà de l'entreprise pour apprécier les difficultés économiques. Dans certains pays, le motif n'est pas apprécié par le juge. Dans les pays où c'est le cas, le périmètre n'est même pas national mais la structure de l'entreprise. Un groupe gagne de l'argent ailleurs mais la filiale française en perd, notamment parce qu'elle ne veut pas s'adapter. Il est difficile de justifier les sacrifices de tous, notamment en termes d'investissements, sous prétexte qu'une entité refuse de faire des efforts. Les différences de compétitivité existent, de même que la concurrence entre les différentes filiales, qui peuvent parfois être très acérées.
J.-P. C. : Le fait d'accorder un rôle accru au juge, tout en maintenant les critères des difficultés que peuvent rencontrer les entreprises, est une bonne chose.
LS : Que pensez-vous des nouvelles règles de validation des accords ?
S. B. : Le recours à la ratification, terme que je préfère au mot référendum, qui rappelle les tribuns qui étaient appuyés par la foule, est positif. Il s'agissait d'ailleurs d'une suggestion issue du rapport Combrexelle. Je n'étais pas favorable au début aux accords majoritaires. Pour moi, il fallait encore attendre quelques années avec l'ancien système, avec les accords minoritaires et le droit d'opposition parce que le moment n'était pas encore propice au changement. Le risque, c'est de voir baisser le nombre d'accords signés dans les entreprises. Parce qu'il est rare d'avoir des accords majoritaires, les employeurs pourraient se dire que ce n'est pas la peine de dépenser trop d'énergie dans les négociations.
Néanmoins, le projet de loi va dans le bon sens, parce qu'il pousse les syndicats à s'exprimer et à s'engager. Le texte favorise en effet le dialogue social et suit en ce sens les différentes évolutions, entamées en 1982 et poursuivies en 2004, 2008 et 2015. Il sera désormais difficile ne pas se positionner puisqu'il n'y aurait plus de droit à l'opposition. Mais il fallait une mesure de sauvegarde, à savoir le référendum. Le projet de loi est satisfaisant même si j'aurais aimé que les organisations syndicales minoritaires recueillant moins de 30 % des suffrages puissent aussi demander un référendum. Il est vrai que c'était peut-être la porte ouverte au vote à tout crin. En tout cas, je ne comprends pas les organisations syndicales qui en ont peur.
J.-P. C. : Il me semble important que la démocratie participative entre enfin dans l'entreprise. En outre, si je suis très attaché au dialogue social, il faut parfois sortir de l'impasse. Sur certains sujets, comme sur celui du travail dominical dans les grands magasins parisiens, les entreprises doivent composer avec des syndicats qui sont sur le registre de l'idéologie, en opposition avec ce que souhaitent les salariés. Dans ce cas, le recours au référendum peut être un moyen de lever les obstacles. Je regrette seulement que la consultation ne soit pas déclenchée par l'employeur avec l'accord des organisations minoritaires.
LS : Pensez-vous que cette loi répondra à l'objectif fixé, à savoir la baisse du chômage ?
S. B. : Je n'en sais rien. Une chose est sûre : on n'obtient pas de résultats en créant de la contrainte. Ce qui reste fondamental, comme le rappellent les chefs d'entreprise, c'est le carnet de commandes. La loi doit permettre de faire franchir le pas à des employeurs, pour embaucher en CDI, si possible. Il n'est pas parfait mais ce texte va dans le bon sens. Je suis sceptique en revanche sur l'idée d'une taxation accrue des CDD, qui relève des partenaires sociaux dans le cadre de la négociation sur l'assurance chômage. J'aurais préféré que l'on libéralise davantage les CDD de projet, entre 3 et 6 ans, contre 18 et 36 mois aujourd'hui.
J.-P. C. : C'est fondamentalement la croissance économique qui fera baisser le chômage, et non cette loi. Toutefois, en modernisant le Code du travail, en plaçant l'entreprise au cœur de la négociation collective, elle met de l'huile dans les rouages. En tant que praticien RH, elle va dans le bon sens. N'oublions pas non plus des dispositions cruciales comme celle sur le CPA, le CPF ou la garantie jeunes, qui vont permettre d'améliorer l'accès des jeunes au marché du travail.