Malheur aux pauvres ! .....Le talon d’Achille du Trumpisme ?
Découvrant il y a plus d’un demi-siècle les villes moyennes de l’Amérique profonde, je fus marqué par la pauvreté d’une partie notable de la population, celle qui vit dans des maisons délabrées ou dans des caravanes en piteux état.
Cette misère apparut au grand jour durant l’inondation de la Nouvelle-Orléans quand l’on voyait des êtres humains errant sans ressource, les pieds dans l’eau, chercher un abri, c’étaient les plus pauvres qui n’avaient pas encore pu quitter la ville.
Rappelons qu’aux Etats-Unis, la misère n’est pas seulement matérielle, elle est aussi physique (30% d’obèses) et culturelle : 14% de la population est illettrée, soit le double du taux français. Mais, en Amérique, cela ne provoque pas de révolte car l’idéologie dominante fait croire que si vous n’avez pas fait fortune, c’est tout simplement parce que vous manquez de talent ; aussi, par dissonance, faute d’être fiers de vous-même, vous vous valorisez en l’étant des Etats-Unis. Vous adhérez donc sans nuance au slogan trumpiste : « Faire de nouveau de l’Amérique un grand pays ».
L’actuel Président a compris que la fierté, faute d’être individuelle, pouvait être collective, d’où son succès qui ne faiblit pas. Plus encore : ses électeurs les plus pauvres ne rechignent pas à l’effort tant que Donald Trump s’attaque à ceux qui les ont - pensent-ils - humiliés ou qui, comme les immigrés, leur font concurrence. Néanmoins, on peut estimer que la limite de ce soutien populaire pourrait être atteinte quand beaucoup d’entre eux seront personnellement touchés par les décisions budgétaires déjà prises ce printemps à la chambre des représentants, d’autant qu’elles vont être encore alourdies après leur passage au Sénat.
La ligne directrice est simple : d’un côté le parlement vote la baisse sensible des impôts des plus aisés ce qui entraine un accroissement des déficits publics, de l’autre les mécanismes de solidarité se réduisent et notamment les aides sanitaires et sociales aux plus pauvres pourtant déjà peu généreuses quand on les compare aux largesses françaises.
Nombreuses et souvent cruelles, ces mesures n’auront d’effet tangible qu’à la fin de l’année quand elles seront mises en œuvre après un passage par chaque état de l’Union. En effet, in fine c’est chacun de 50 états qui va précisément définir les conditions d’accès aux aides, en compensant ou en ne compensant pas la baisse des subventions fédérales.
Ces mesures concernent avant tout la santé des plus pauvres dont les soins sont remboursés par le programme Medicaid. 70 millions d’Américains bénéficient ainsi d’une assurance « santé » ou d’une prise en charge de leur hébergement dans des maisons de retraites médicalisées (Nursing-home). Non seulement ce programme est très apprécié par la population des Etats qui ont voté républicains, mais deux tiers de ceux-ci souhaiteraient que le champ de ces aides s’étende encore. Medicaid seul représente près de 30% du budget moyen des états, on devine alors qu’ils ne pourront pas compenser les coupes soudaines de subventions fédérales, même si le président Trump prétend que ce programme ne sera pas « touché ».
Ainsi, lors du passage à la chambre des représentants, a été votée une coupe de 880 milliards de dollars des subventions à Medicaid, certes sur une durée de dix ans, mais cela implique une baisse annuelle moyenne de 88 milliards, soit 10% : le coût total du programme est de 900 milliards de dollars par an – gouvernement fédéral et états confondus – Washington en finançant les deux-tiers.
Ainsi, 20% des dépenses de soins médicaux et 60% du long séjour aux Etats-Unis sont financés par Medicaid. Il est donc clair que cette coupe ne va pas toucher que les plus pauvres mais aussi la classe moyenne, car la prise en charge d’un hébergement médicalisé coute au moins 100 000 $ par an.
Pour ce qui est de la mise en œuvre, le gouvernement fédéral propose d’alourdir les conditions administratives d’ouverture des droits et notamment de vérifier les revenus comme le lieu de résidence, il propose en outre de systématiser les tickets modérateurs et d’éliminer le tiers-payant ; or l’on sait, aux Etats-Unis comme en France, que l’avance de cash retarde, voire empêche l’accès aux soins.
Par ailleurs, on pouvait s’y attendre, les états qui financent les soins aux immigrants sans-papiers seront pénalisés. Il sera également interdit de financer toute programmation des naissances si cette politique-là comprend aussi une aide à l’avortement.
A terme (2029) ne pourront bénéficier de Medicaid que ceux qui travaillent au moins 80 heures par mois ce qui est particulièrement cruel car quand, aux Etats-Unis, une personne perd son emploi, elle perd aussi sa couverture maladie ; pourtant les employés ne sont pas responsables de leur licenciement collectif ! On estime aujourd’hui qu’environ 9 millions d’Américains perdront toute couverture pour leur assurance maladie.
Ceci va bien entendu à l’encontre des mesures des Démocrates qui avaient compris qu’alourdir les conditions administratives d’accès étaient une barrière aux plus démunis.
Si, au temps de la présidence Bush, de nombreux ayants-droits remplissaient les conditions d’accès, ils n’arrivaient pas toujours à bien remplir les formulaires ou à déposer les justificatifs requis.
Pour aggraver la situation, sous Trump, non seulement dans beaucoup d’Etats la procédure qui était annuelle devient semestrielle, mais les Etats qui inscriraient à tort des bénéficiaires seront lourdement pénalisés, ils vont donc à leur tour ajouter des procédures. Il est enfin évident que ces mesures auront un impact sur les petits hôpitaux des zones rurales.
Beaucoup devront fermer entrainant en cascade d’autres fermetures et privant ainsi une partie de la population de l’accès aux soins médicaux et notamment celui des enfants. Bien entendu, les Républicains prétendent qu’il s’agit de réduire la fraude, mais ces mesures bureaucratiques sont avant tout politiques !
On pourrait ajouter à cette liste, l’abandon des subventions aux logements mal isolés alors que la Terre se réchauffe ou encore celles qui tentaient de limiter la pollution urbaine dont les plus déshérités sont les premières victimes.
Par ailleurs, sans effet immédiat pour la population, le Ministre de la santé, Robert Kennedy Junior, vient de licencier les dix-sept experts du comité consultatif de la vaccination au CDC (Center for Diseases Control and Prevention), sous prétexte de leurs liens d’intérêt avec l’industrie pharmaceutique. Rappelons que Kennedy, depuis des lustres, contribue à la désinformation sur les vaccins, notamment le vaccin contre la rougeole, alors qu’une épidémie s’est déclenchée au Texas, faisant déjà trois morts. Il a aussi nommé comme « Chirurgien Général » - le conseiller suprême du Gouvernement en matière de politique de santé - son « Médecin-chef », Casey Means, une nutritionniste controversée qui, notamment durant l’épidémie de COVID, pensait qu’il fallait laisser la nature faire sa sélection en la laissant éliminer les plus faibles !
Voici donc au pouvoir une darwiniste sociale chargée d’informer la population en santé publique qui pense que tout doit passer par l’exercice physique et un changement des régimes alimentaires pour stimuler l’immunité « naturelle ».
Les Américains sont seuls capables de mettre fin à ce cauchemar aussi obscurantiste que rétrograde.
Pour l’instant, la majorité n’en prend pas le chemin : les actuelles manifestations des défenseurs des immigrés à Los Angeles les confortent dans leur soutien à Donald Trump. Peut-être, dans quelques mois, quand ils seront directement touchés, se rendront-t-ils compte que l’Amérique n’est grande que pour certains ?
En attendant : malheur aux pauvres et aux handicapés !
Article également paru dans Le Point