Ces mutuelles qui reversent de l’argent à leurs adhérents
Plusieurs Mutuelles, (MGEN, Harmonie Mutuelle, Malakoff Humanis …) ont décidé de redistribuer des millions d’euros à leurs adhérents cette année. Alors que les pouvoirs publics s’apprêtent à prélever 3 milliards sur les complémentaires, cela surprend. Une maladresse, un contre-sens, une erreur stratégique, en tout cas, cela fait débat.
Pierre Marini, Directeur général ENIO, sur Linkedin
Non, non non ! Une mutuelle ne verse pas de dividendes !
Certaines mutuelles s’en félicitent : elles vont “rendre” à leurs adhérents plusieurs dizaines de millions d’euros, soit en moyenne 40 € par tête. Et pourquoi ? Parce qu’elles ont fait “trop” d’excédents. Ce geste, présenté comme une marque de vertu, est en réalité une erreur stratégique, une faute politique, et une trahison de l’esprit mutualiste.
Quand le mutualisme singe la logique actionnariale
Distribuer des excédents comme on verse des dividendes, c’est méconnaître radicalement ce que nous sommes. Le mutualisme n’est pas un capitalisme sans capital. L’adhérent n’est pas un client-actionnaire. Il n’a pas “droit” à une ristourne quand l’année a été bonne. Car ce que nous gérons, ce ne sont pas des profits : ce sont des équilibres solidaires.
Un modèle de gestion… ou un modèle de sur-cotisation ?
Il faut avoir l’honnêteté de le dire : ces excédents vertigineux n’apparaissent pas par miracle. Ils sont le fruit de cotisations appelées en trop. Et cela pose une question éthique : ceux qui font sur-cotiser les adhérents peuvent ensuite se faire passer pour généreux… en leur rendant une part du trop-perçu.
C’est facile. C’est même indécent.
Pendant ce temps, les petites et moyennes mutuelles, elles, font chaque année l’effort rigoureux de tarifer au plus juste. Elles n’ont pas besoin de faire des effets de manche, car elles s’interdisent structurellement de prélever au-delà du nécessaire.
Nous croyons que le rôle d’une mutuelle n’est pas de “rendre”, mais de ne pas prendre plus qu’il ne faut. Alors oui, voir les plus vertueux faire profil bas pendant que les autres paradent, c’est moralement écœurant.
Une aubaine politique pour ceux qui veulent nous taxer
Cerise sur le gâteau empoisonné : cette pratique offre un alibi rêvé au gouvernement. Car si les mutuelles ont les moyens de “reverser” de l’argent, c’est donc qu’elles ont trop encaissé. C’est donc qu’elles peuvent contribuer davantage au financement du système. CQFD. On a tendu le bâton pour se faire battre.
La notion de dividende mutualiste est une absurdité idéologique
Une bonne gestion mutualiste ne se mesure ni au montant de l’excédent, ni à celui de la redistribution. Elle se mesure :
– à la qualité des prestations,
– à la justesse des cotisations,
– à la capacité à tenir bon face aux tempêtes du système de santé.
Le seul dividende mutualiste consiste à réinvestir dans l’intérêt collectif :
– innovation sociale,
– amélioration des garanties,
– accompagnement des plus vulnérables.
En conclusion : gardons la boussole, pas le tiroir-caisse
La gestion mutualiste n’est pas un jeu de casino, où l’on se réjouit d’avoir misé large et d’avoir “du rab” à redistribuer.
Ce n’est pas un coup de com’. C’est un engagement moral. Un équilibre entre prudence, exigence, et responsabilité.
Et s’il y a une chose que nous devons refuser avec force, c’est que le mutualisme devienne un commerce de la bonne conscience.
Pour Christian Oyarbide, Président de Mutlog, Vice-Président ESS
L’une des difficultés majeures du mutualisme sur ces sujets vient du fait, à mon sens, que les fondements originels du modèle (une solidarité de proximité engagée et assumée démocratiquement) sont profondément remis en question par la taille des groupes, la concurrence, les contrats collectifs, les règlementations.
Il devient urgent voire vital pour le mutualisme de repenser ses cadres conceptuels non pas pour se sauver lui-même (s’il a perdu son sens alors sa survie n’est d’aucune utilité) mais pour faire la démonstration qu’il est en mesure de proposer un idéal type à l’horizon duquel on change le monde vs ceux qui veulent réformer le capitalisme (pour reprendre l’expression de N. Théry).
A mon sens le clivage est là.