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Plan de santé au travail dans la fonction publique et dynamisation du dialogue social
Depuis 2009, la santé et la sécurité au travail sont devenues dans la fonction publique française des sujets et des objets de débats et d’accords. En 2015, la qualité de vie au travail n’a pas eu ce succès et n’a pu faire l’objet d’un consensus, interrompant de ce fait un phénomène sans précédent. Aujourd’hui, les partenaires sociaux contribuent à travailler de concert mais, d’une certaine manière, limitent leurs ambitions à une planification d’actions techniques (mais nécessaires).
Il est acquis aujourd’hui qu’il n’existe qu’une seule fonction publique en France mais le principe de réalité autorise à penser qu’elle se décline en trois versants (État, territoriale et hospitalière) possédant chacun ses singularités. Les réorganisations actuelles des services de l’État, de l’administration territoriale, des collectivités locales et des groupements hospitaliers territoriaux visent notamment à faciliter la mobilité professionnelle et organisent, en quelque sorte, la porosité des frontières entre chaque versant. Ces évolutions affectent les conditions de travail des fonctionnaires et agents de la fonction publique.
Dans cet article, voyons en quoi une nouvelle occasion se présente aujourd’hui dans un projet d’élaboration d’un PST-FP qui intégrerait de manière structurelle les incidences de ces évolutions sur les conditions de travail des agents en les rendant parties prenantes de ce plan dans l’action. Le constat sera effectué qu’en matière de santé et de sécurité au travail dans la fonction publique, les évolutions en cours et les processus en jeu en matière de dialogue social et de négociations se sont construits dans et par des actions au sein desquelles la recherche de sens en vue de l’action et le pragmatisme pour l’action se sont inter-fertilisés. Dans ce sens, des compétences individuelles et collectives se sont développées de façon structurelle dans le processus de négociation lui-même.
Accélération sans précédent dans la fonction publique
L’accord majoritaire du 20 novembre 2009 relatif à la SST (santé et sécurité au travail) dans la fonction publique s’est notamment fixé pour objectif d’assurer la transition d’un dispositif relatif à l’hygiène et à la sécurité à un dispositif de promotion et de développement d’une culture de la santé et de la sécurité au travail et en situant les gens au travail au cœur de ces processus. Un autre accord majoritaire a été signé en 2013 pour assurer la mise en œuvre des démarches de prévention des risques psychosociaux dans la fonction publique. Les signataires ont affirmé un engagement, des ambitions mais se sont surtout placés dans une action durable, considérant qu’il constituait la première étape d’une réflexion plus large et plus approfondie portant sur l’amélioration des conditions de travail et la qualité de vie au travail, la prévention de l’ensemble des risques professionnels.Interruption du processus de négociation
Le projet d’accord-cadre élaboré en matière de qualité de vie au travail n’a pas été signé. Globalement, ce n’est pas son contenu qui a posé problème. Les non-signataires ont considéré que les conditions nécessaires à son développement n’étaient pas favorables (1). L’absence de signature de cet accord a eu pour effet d’interrompre le processus de négociation (au sens strict du terme) qui s’engage dans la perspective d’un accord. On peut le regretter au regard de la qualité des travaux des négociateurs des accords qui ont été de véritables précurseurs pour :- définir le cadre général de la santé et la sécurité au travail (2009),
- proposer des axes concrets d’action (2009),
- investir une approche globale des problématiques de prévention (risques psychosociaux, 2013),
- bâtir les fondations d’un système de santé et de sécurité au travail (2013),
- placer le travail et sa qualité au centre des débats (2015),
- valoriser la place essentielle de l’encadrement (2015),
- rappeler les enjeux de gouvernance de la santé au travail : leurs instances et leurs espaces de discussion.
À travers les accords SST et RPS, les rôles et missions de la direction et du CHSCT se sont redéfinis grâce à l’intégration des conditions de travail. Ce nouvel espace a fait évoluer les relations de travail pour devenir un espace apprenant (en tout cas il évolue dans ce sens à petit pas).
Autrement dit, pris par une dynamique de la réussite, des savoir-faire se sont construits par essais et erreurs c’est-à-dire sans mode d’emploi et connaissances des clefs de réussite préalables et par les mises en situation (négociation). Les négociateurs ont, en quelque sorte, appris par la découverte collective des solutions à partager :
- suppression des causes d'échec (détecter les événements menant à l'élimination),
- recherche des facteurs de succès (détecter les événements caractéristiques du succès).
La SST, une nouvelle catégorie sociale de l’action publique
Il est dans tous les cas acquis aujourd’hui que la SST se comprend sur plusieurs registres et s’exprime :
- à différents niveaux de pensée (politique, institutionnelle, culturelle, sociale, juridique et linguistique) ;
- à travers des concepts ou des notions (gouvernance, subsidiarité, prescription, travail réel, pouvoir d’agir…) ;
- au moyen d’une appropriation du terrain et de la mise en œuvre d’actions, d’élaboration de méthode et de création d’outils ;
- aux niveaux de l’ensemble des parties prenantes (instances, encadrement, agents).
Ainsi et seulement depuis 2009, une véritable gouvernance d’un système de santé et de sécurité au travail existe dans la fonction publique française et que la SST est devenue une nouvelle catégorie de l’action publique (3). Mais n‘oublions pas que la gouvernance de la SST doit être assurée au-delà de la constitution d’un cabinet ministériel ou d’un mandat syndical. Une gouvernance durable dépend donc d’un contrat sinon universel au moins pluriannuel (et pluridisciplinaire) au-delà de toute contingence politique, administrative ou de mandature.
Plan de santé au travail pour la fonction publique (PSTFP)
C’est vraisemblablement dans cette perspective et dans le cadre de la négociation du nouveau projet de plan de santé au travail intitulé « STT2 » que la direction générale de l’administration et de la fonction publique (DGAFP) a dévoilé sa feuille de route pour la médecine de prévention, nous informe B. Scordia (4).
Trois autres groupes de travail sont prévus sur les thèmes suivants : reclassement des agents déclarés inaptes pour raisons de santé, instances médicales et prévention et prise en compte de la pénibilité.
Mais s’agit-il d’une véritable négociation puisqu’aucun accord n’est recherché ? Est-il plutôt question d’un processus de travail en commun à court terme sur des thèmes techniques considérés comme prioritaires par tous mais dont les décisions finales seront prises par l’administration ? Cette nouvelle modalité d’action en matière de SSTFP mène de fait l’État-employeur à assumer ses responsabilités sociales en matière de santé et de sécurité au travail pour ses agents (5). Comment alors assurer leur durabilité ?
Vers un PSTFP-cadre ?
La SST trouve donc toujours une place essentielle pour les partenaires sociaux de la fonction publique. On peut alors se demander si le plan SST2 « technique » n’offre pas l’opportunité de s‘engager dans une nouvelle étape d’une gouvernance durable du système SSTFP : une déclinaison structurée et planifiée de l’accord-cadre de 2009 pour actualiser les objectifs de construction de la SST aux évolutions recueillies sur le terrain par les parties prenantes.
Des interlocuteurs de tous horizons de la fonction publique ont régulièrement été entendus, exprimant leurs difficultés à « absorber » dans leur quotidien les préconisations des accords et les prescriptions réglementaires. L’enjeu d’un PSTFP efficace pose donc d’entrée la question de la manière dont il sera déployé et incarné sur le terrain au risque et, dans le cas contraire, de rester en apesanteur aux dessus des agents.
La première difficulté vient de la nécessité de prendre en compte les enjeux propres à chaque versant de la fonction publique. La qualité des accords nationaux de 2009 et 2013 montrent que le croisement des revendications des fédérations syndicales de fonctionnaires a été largement bénéficiaire aux agents. Les représentants nationaux ont justement montré par l’action et les débats (parfois vifs) qu’il était possible de « produire » une négociation et des accords de qualité (6).
Au risque de choquer, la seconde difficulté réside dans le fait que l’on ne retrouve pas globalement sur le terrain le niveau de compétences et la qualité des relations entre les représentants des employeurs publics et des fédérations syndicales des fonctionnaires et des agents au niveau national. Cette état des relations provient de rapports de forces qui s’instaurent en cas d’échec du dialogue et qui alimentent une boucle pathogène qui crée des réserves, de la peur de négocier et bloque le système ? On pourrait supposer que les débats locaux puissent être plus concrets pour produire des transformations visibles et mesurables pour les agents. Or, ces mêmes représentants prennent des positions « hors sol » sans connaissance du réel ou oublient de s’appuyer sur le travail réel et quotidien pour affiner leurs arguments. Dans les deux cas, ils sont, par voie de conséquence, incapables de conduire cette forme de négociation-collaboration pragmatiste.
Alors, pourquoi ne pas étudier l’élaboration d’un « PSTFP-cadre » durable pour l’ensemble de la fonction publique qui fixerait, d’une part, des grands principes et des orientations stratégiques (le sens de l’action) et, d’autre part, des axes opérationnels (les outils et les leviers de l’action) ? Il permettrait de renforcer en amont « le mouvement global qui tend à renforcer les convergences entre les trois versants de la fonction publique » (7).
Ce texte fondateur serait ensuite à décliner pour prendre en compte la singularité et les spécificités des finalités, des organisations et des activités de chaque versant de la fonction publique. Ainsi, avec ses trois PST spécifiques une extension de ses effets sur l’ensemble du territoire pourrait être assurée par la mobilisation de parties prenantes directement impliquées (8).
Les habitués de ces questions pourront faire remarquer que, d’une certaine manière, il n'y a là rien de nouveau. Certes puisqu'il ne s'agit ici que de revisiter les préconisations du projet d’accord-cadre sur la qualité de vie au travail dans la fonction publique…
Grâce à un projet approprié, partagé et durable
Ce processus permettrait une adaptation concrète aux réalités de chacun. Il favoriserait le développement du dialogue social dans l’ensemble de la fonction publique en mobilisant l’ensemble des parties prenantes : dirigeants, élus, chefs d’établissement, chaîne d’encadrement, agents, représentants du personnel grâce à la production d’actions concrètes et co-construites à partir du travail réel.
Autrement dit, l’opportunité d’engager un tel processus devrait permettre autour de la responsabilité sociétale de l’État-employeur, l’émergence puis l’affirmation d’une gouvernance sociale où le travail est considéré comme un opérateur de santé. Ce processus serait agile dès lors qu’il repose sur le dialogue social à plusieurs niveaux, permettant ainsi de faire évoluer les modes de faire en développant la culture de prévention.
Dans la perspective des prochaines élections présidentielles (mais considérant que la santé au travail des agents n’est pas dépendante des mandats électoraux), l’élaboration au-delà des partis d’un PST-cadre et de 3 PST (un par versant de la fonction publique) n’en revêt qu’une plus grande importance pour maintenir l’objectif global d’efficacité, d’exemplarité et de qualité de la fonction publique pour le bien commun et pour les usagers, sans diminuer les garanties fondamentales des agents publics (9).
Au cœur de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, dite « loi sur le travail », l’article L. 2212-1 du Code du travail stipule notamment que « les salariés et les employeurs ou leurs représentants peuvent bénéficier de formations communes visant à améliorer les pratiques du dialogue social dans les entreprises ». Bien loin des problématiques du secteur privé, c’est exactement ce qui se passe aujourd’hui dans la fonction publique française en matière de santé et de sécurité au travail et qui peut perdurer grâce à l’élaboration d’un PSTFP cadre et de sa déclinaison dans et par les trois versants de la fonction publique.
Au-delà, cette démarche d’appropriation collective de la SST sur le terrain favorise un dialogue social de qualité qui ne dépend pas de formations mais d’une construction dans l’action et dans le débat pour produire un projet partagé parce qu’approprié (et inversement).
Espérons que d’autres thématiques que la SST bénéficient de cette expérience singulière.
(1) Masse, M. Pracros, P. (2016). « La négociation de la QVT dans la fonction publique : état des lieux et avancées possibles ». Revue des conditions de travail. n° 4, mai, pp. 123-131. http://www.anact.fr/centre-de-ressources/revue-des-conditions-de-travail.
(2) Pour s’en convaincre, il suffirait de retrouver quelques versions successives de l’accord de 2013.
(3) Garnier, D. Masse, M. (2015). Santé au travail dans la fonction publique en France : une nouvelle catégorie sociale de l’action publique ? in colloque RT 18 - LEST. « Comment le travail se négocie-t-il ? ». Aix en Provence. 28 et 29 mai. https://rt18-2015.sciencesconf.org/.
(4) Un plan d’action pour relancer la médecine de prévention dans la fonction publique. B. Scordia. Acteurs publics. 7 septembre 2016.
(5) Boras, K. Masse, M. (2016). Santé-travail, une porte d’entrée vers la responsabilité sociale de l’État-employeur ? http://fr.calameo.com/books/00293055812d6517ee673.
(6) À différentes titres, je suis intervenu dans certaines réunions où j’ai constaté cette volonté et cette qualité.
(7) Lévêque, M.–A. (2016). Trois fonctions publiques ou trois versants de la fonction publique. Les cahiers de la fonction publique. n° 366, mai 216, p. 29.
(8) La DGAFP, en sa qualité de DRH de l’État et la formation spécialisée n° 4 du Conseil commun de la fonction publique auraient tout à fait pour vocation de (ré)investir ce projet dans la continuité des premiers débats sur le sujet initiés en début d’année à l’occasion de la présentation du PST 3 (secteur privé) aux membres du CCFP.
(9) Levêque, 2016. P. 31.
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