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L'employeur bientôt patron du CHSCT ? Fin des commentaires du rapport Verkindt
Troisième et dernière partie des commentaires sur le rapport de Pierre-Yves Verkindt, remis le 28 février. Vous pouvez consulter le premier volet ici, le deuxième là ainsi que le document officiel de ce coté.
PROPOSITION 21 :
Annexer au procès-verbal de la première réunion de l’instance la copie de la délégation de pouvoirs dont est doté le président. Prévoir la possibilité pour ce dernier d’être assisté par un collaborateur.
La communication du pouvoir est déjà demandée et obtenue dans beaucoup de CHSCT. Cela n’empêche pas de voir des hommes de paille ou des placardisés dûment mandatés à la présidence des CHSCT. La première partie de cette proposition n’apporte rien.
En revanche, modifier la composition du CHSCT en ajoutant un participant de droit aux réunions, pour assister le président (et autoriser souvent la pratique interdite de la double présidence) est certainement une mesure trop coûteuse quand on propose que les suppléants eux ne participent aux réunions qu’en remplacement de leur titulaire. Ici, Pierre-Yves Verkindt alourdit trop les charges de l’entreprise et le coût des réunions de CHSCT.
Plus sérieusement, la législation prévoit déjà la possibilité pour le CHSCT de faire appel à titre consultatif et occasionnel au concours de toute personne de l'établissement qui lui paraîtrait qualifiée. Point n’est besoin de cette proposition, si ce n’est pour faire plaisir aux employeurs et contraindre le CHSCT à prévoir cette participation permanente, même si la personne choisie par le président gêne le fonctionnement régulier du CHSCT.
PROPOSITION 22 :
Transposer au CHSCT la règle applicable au comité d’entreprise consistant à prévoir l’inscription automatique à l’ordre du jour par le président ou par le secrétaire des consultations rendues obligatoires par l’effet de dispositions législatives, réglementaires ou conventionnelles. Prévoir que l’ordre du jour sera communiqué au moins trois jours avant la réunion.
Deux propositions négatives en une !
Deux revendications patronales entendues : l’une destinée à retirer la responsabilité conjointe (président et secrétaire) de l’ordre du jour et donner un pouvoir particulier à l’employeur (en faisant croire que c’est valable pour les deux, alors que c’est l’employeur qui transmet l’ordre du jour).
Prévoir trois jours seulement pour le délai de transmission de l’ordre du jour banalise les points de l’ordre du jour et l’importance des réunions CHSCT qui traite de sujets graves (parfois de vie ou de mort), qui sont de base trimestrielle. Cela pose aussi le problème de la transmission des documents et rend plus difficile la bonne préparation des réunions. Cette double proposition produirait un double et important affaiblissement de l’institution.
PROPOSITION 23 :
Prévoir les conditions de la collecte et de la préservation des procès-verbaux, comptes-rendus, rapports d’expertise et autres pièces ayant servi au travail du CHSCT.
Voilà, une proposition pleine de bon sens et qui ne coûte presque rien !
Classer les documents relatifs au CHSCT ! Bravo pour cette avancée spectaculaire (aucun président, aucun secrétaire n’y avait pensé avant notre professeur).
PROPOSITION 24 :
Prévoir réglementairement la possibilité de mettre en place un règlement intérieur du CHSCT par accord entre le chef d’établissement et la majorité des membres élus de l’instance.
Là, c’est trop fort ! Pierre-Yves Verkindt remet juste en cause l'une des principales avancées de la loi Auroux sur le CHSCT : le pouvoir délibératif du CHSCT sur ses modalités de fonctionnement et l’organisation de ses travaux.
Article L4614-2 :
« Les décisions du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail portant sur ses modalités de fonctionnement et l'organisation de ses travaux sont adoptées à la majorité des membres présents, conformément à la procédure définie au premier alinéa de l'article L. 2325-18.
Il en est de même des résolutions que le comité adopte. »
Avec cette proposition novatrice de Pierre-Yves Verkindt, l’employeur aurait non seulement droit de vote mais sa voix serait de surcroît prépondérante. L’employeur redeviendrait le patron du CHSCT en quelque sorte.
Pierre-Yves Verkindt pourrait aussi proposer cela pour le comité d’entreprise et même revenir à la désignation des membres du CHSCT par les employeurs, comme en 1941 !
En effet, nous reviendrions vite avec des propositions de cet acabit aux CHSCT modèle 1941 (modifié en 1947). À cette époque et jusqu’en 1982, le président était l’employeur et le secrétaire était le responsable de la sécurité. Les employeurs sont toujours nostalgiques de ce temps béni où l’ordre régnait sous le bruit des bottes.
PROPOSITION 25:
Fixer à cinq jours par mandat la formation des élus au CHSCT, quelle que soit la taille de l’établissement et prévoir le fractionnement de cette formation pour en assurer le caractère continu et limiter les possibilités de différer le départ en formation aux seuls cas d’atteinte à la bonne marche de l’entreprise ou de conséquences préjudiciables pour la production.
Là, c’est bien un progrès mais la possibilité de fractionner doit être laissée à l’initiative des représentants du personnel au CHSCT.
PROPOSITION 26 :
Prévoir l’établissement par le secrétaire du CHSCT d’un document annuel récapitulant les formations suivies par les membres élus du CHSCT au cours de l’année écoulée. Ce document est annexé au procès-verbal de la réunion de l’année suivante et il est porté à la connaissance de la collectivité de travail soit par voie d’affichage, soit sur le site intranet consacré au CHSCT (s’il en existe un).
Voilà un grand pouvoir donné au secrétaire du CHSCT.
Normalement et jusqu’à ce rapport, c’est l’employeur qui gérait les formations professionnelles. C’est à ce dernier que les demandes d’autorisation d’absence étaient adressées, tout cela devrait aussi être transféré au secrétaire. Quant à l’affichage, cela a comme un arrière-goût de délation (il faudrait aussi afficher le contenu et les dates des formations CHSCT suivies par le président).
PROPOSITION 27 :
Établir au niveau de chaque branche, le référentiel des compétences attendues d’un élu CHSCT et des délégués du personnel et associer à ce référentiel, un référentiel de formation qui servira de base aux agréments des organismes de formation.
Il n’est plus considéré comme correct pour un employeur de choisir ses « délégués ». Alors, l’idée est de les modeler à l’image attendue par l’employeur. Les employeurs rêvent-ils d’assurer de la formation des syndicalistes ? Cette pratique revient souvent dans les entreprises.
Ils sont si mauvais, ces syndicalistes, que la présidence d’un CHSCT devient une corvée ou une punition. Modelons donc les délégués avec les compétences que nous attendons d’eux. L’imagination au tiroir !
Nous ne sommes plus en 1968… Normalisons les individus.
PROPOSITION 28 :
Prévoir la possibilité pour le secrétaire du CHSCT au cours des six premiers mois de son mandat de bénéficier d’une formation d’une journée spécialement consacrée à sa fonction. Cette formation devrait être organisée soit dans le cadre des branches professionnelles, soit dans un cadre territorial pour permettre une circulation verticale des expériences (hypothèse d’une formation au niveau de la branche), soit une circulation horizontale des expériences (hypothèse d’une formation dans un cadre territorial).
Les formations pour secrétaires existent déjà. C’est une excellente idée. Pour des raisons d’organisation (nombre de participants) elles sont généralement intersyndicales mais si une organisation syndicale organisait une telle formation, ce serait aussi une excellente chose.
Encore une fois, pourquoi ne pas faire confiance aux secrétaires de CHSCT sur le choix de leur propre formation ? Il suffirait d’accorder une journée de formation supplémentaire au secrétaire du CHSCT mais il est vrai que les employeurs préféreront beaucoup avoir la main sur la formation du secrétaire. Souvent, ils la choisissent déjà eux-mêmes (ils pensent avoir légitimement le droit de vote pour désigner le secrétaire avec lequel ils négocieront plus facilement le fonctionnement du CHSCT).
PROPOSITION 29 :
Inciter les syndicats patronaux à mettre en œuvre, à partir de la branche et selon des déclinaisons territoriales et/ou de métiers, cette formation pour les entreprises de taille petite ou moyenne.
Bien sûr, lorsque l’on est syndicaliste, on n’est jamais aussi bien formé que par les patrons eux-mêmes, c’est bien connu. Là, il n’y aura pas besoin de les inciter beaucoup… Ceux qu’il faudra inciter à y aller, ce sont les secrétaires eux-mêmes. S’ils sont un tant soit peu clairvoyants, ils préféreront une bonne vieille formation syndicale.
Encore une proposition sympathique pour les patrons : depuis 1947, ils ne peuvent plus choisir les délégués qu’ils veulent accepter au CHSCT. Ils pourront au moins « former » ceux qu’ils auront…
PROPOSITION 30 :
Maintenir le principe de l’agrément administratif des cabinets d’expertise et prévoir un premier agrément pour deux ans puis des renouvellements tous les quatre ans.
Voilà une bonne proposition. En effet, elle propose de continuer sans rien changer de fondamental.
PROPOSITION 31 :
Renforcer le contrôle du Ministère sur les cabinets d’expertise :
en amont en prenant l’initiative de la mise en place d’un référentiel et d’une charte de l’expertise CHSCT et en favorisant la constitution d’un organisme représentatif des structures d’expertise;
en continu et par sondage aléatoire, réalisé auprès des organismes d’expertise, des CHSCT et des entreprises, en se donnant les moyens de suivre les pratiques d’expertise et de capitaliser les expériences;
en incitant les Direccte et leurs services à utiliser leur pouvoir d’alerter146 le Ministère lorsqu’ils seront avertis de faits attentatoires à la déontologie ou à l’éthique professionnelle.
Maintenons les experts sous une menace permanente pour qu’ils s’autocensurent. En effet, ce qui, dans l’expertise, gêne le plus les employeurs, ce n’est pas le coût, ce sont les experts eux-mêmes.
Ce qui est insupportable aux employeurs, c’est que des individus compétents et trop souvent incontrôlables viennent mettre le nez dans les petites affaires de l’entreprise. Ce qui gêne les employeurs, ce sont les conséquences de l’expertise au niveau de leurs responsabilités civile et pénale. Si les experts font « bien » (comme les employeurs le souhaitent) leur travail, les expertises seront payées sans trop de difficultés et l’employeur content ne leur cherchera pas des poux dans la tête.
Dans le cas contraire, comptez plusieurs années avant d’être payés. En fait ici encore, c’est l’indépendance des experts qui fait peur aux patrons, c’est donc à cette indépendance qu’ils s’attaquent en organisant de possibilités de pressions complémentaires aux pressions financières qui existent déjà.
PROPOSITION 32 :
Décider que la réunion ayant conduit à la décision de recourir à l’expertise (hors expertise « restructuration ») sera une réunion continuée comportant deux étapes séparées au plus de deux semaines :
étape 1 : délibération sur le principe du recours à l’expertise et désignation de l’expert
étape 2 : état du contenu de l’information communiquée à l’expert sur sa demande. Cette deuxième étape est le point de départ ultime du délai de remise du rapport.
Cette proposition est sans objet depuis le décret n°2013-1305 du 27 décembre 2013.
« Article R2323-1
Pour l'ensemble des consultations mentionnées au troisième alinéa de l'article L. 2323-3 pour lesquelles la loi n'a pas fixé de délai spécifique, le délai de consultation du comité d'entreprise court à compter de la communication par l'employeur des informations prévues par le code du travail pour la consultation ou de l'information par l'employeur de leur mise à disposition dans la base de données dans les conditions prévues aux articles R. 2323-1-5 et suivants. »
Et
« Article R2323-1-1
Pour les consultations mentionnées à l'article R. 2323-1, à défaut d'accord, le comité d'entreprise est réputé avoir été consulté et avoir rendu un avis négatif à l'expiration d'un délai d'un mois à compter de la date fixée à cet article.
En cas d'intervention d'un expert, le délai mentionné au premier alinéa est porté à deux mois.
Le délai mentionné au premier alinéa est porté à trois mois en cas de saisine d'un ou de plusieurs comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail et à quatre mois si une instance de coordination des comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail est mise en place à cette occasion, que le comité d'entreprise soit assisté ou non d'un expert.
L'avis du ou des comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail est transmis au comité d'entreprise au plus tard sept jours avant l'expiration du délai mentionné au troisième alinéa.
PROPOSITION 32 (Alternative) :
Décider que le CHSCT fixe lors de la réunion décidant de l’expertise, une nouvelle date de réunion dans un délai maximum d’un mois. Cette réunion, destinée à vérifier la complétude du dossier fourni à l’expert sur sa demande, constituera le point de départ du délai de réalisation de l’expertise.
C’était gentil pour les experts, mais c’est réglé par le décret n°2013-1305 du 27 décembre 2013.
PROPOSITION 33 :
Garder l’expertise sous le contrôle du CHSCT et en conséquence, prévoir que tout dépassement du délai d’expertise provoquera une réunion du CHSCT au cours de laquelle l’expert fournira toutes explications utiles sur les raisons du retard.
Le CHSCT rendra un avis formalisé sur le rapport et que l’employeur communiquera par écrit au CHSCT sa propre analyse du rapport. L’avis et l’analyse de l’employeur seront communiqués à la DIRECCTE.
La première partie de cette proposition est réglée par le décret n°2013-1305 du 27 décembre 2013.
La première partie de la deuxième partie est intéressante et peut être, sans autre forme de procès, être mise en œuvre par les CHSCT qui ne le font pas déjà.
Mais pourquoi seuls l’avis et l’analyse de l’employeur seraient transmis à la DIRECCTE ? Pour faire pression sur l’expert (qui préfère des avis positifs et seront enclins à s’autocensurer) ?
L’expert travaille pour la délégation du personnel, l’avis et l’analyse de l’employeur ne sont donc pas pertinents. Les critiques et justification de l’employeur après l’expertise n’ont que peu à voir avec la qualité du rapport d’expertise, mais plutôt avec la défense de ses propres intérêts judiciaires.
Ce qui est important dans le travail de l’expert, ce n’est pas une prétendue équidistance que Monsieur Verkindt ne préconise du reste pas, ce n’est pas non plus la satisfaction ou l’insatisfaction de l’employeur, mais c’est surtout
L’utilité du rapport pour les représentants du personnel en premier lieu (ce sont eux les commanditaires de l’expertise. L’intérêt de l’expertise pour le service sécurité de l’entreprise et pour l’employeur, si elle est effective est toujours un plus, mais pas une obligation. L’expert n’a surtout pas vocation a systématiquement donner des leçons à toutes les acteurs internes de la prévention en entreprise ;
Le caractère « objectif » du rapport d’expertise. Le diagnostic des experts doit s’appuyer sur des constatations, sur des faits, sur des témoignages recoupés. Le rapport doit aussi impérativement être à jour techniquement et non critiquable à ce niveau technique ou scientifique. Les experts doivent proscrire les jugements de valeur et les pétitions de principe. Les experts doivent aussi éviter l’emploi systématique du conditionnel ou des tournures interrogatives. L’expert doit prendre position et se mouiller, même dans des situations conflictuelles (ce qui est en général le cas). C’est ainsi que l’expertise permettra aux parties prenantes de sortir par le haut de la situation qui a entraîné le recours à expertise.
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