Organisations
Monsieur CIF et monsieur DIF dans le bateau de madame formation
Sous prétexte que depuis 2004 ni les employeurs (qui n’aiment guère payer pour la formation), ni les salariés, ni leurs représentants ne se sont massivement investis dans ce dispositif, celui-ci serait mort-né, une contrainte supplémentaire dont le monde professionnel devrait pouvoir se passer par temps de crise (le DIF serait un luxe conçu pour des temps économiques heureux et calmes).
- Au mieux désormais celui-ci aurait pour vocation de rejoindre le CIF en étant versé dans un fourre-tout social : le compte épargne formation.
Ces doctes spécialistes de la formation semblent néanmoins oublier quelques évidences...
En toute chose il faut du temps. En formation plus qu’ailleurs, le temps de l’appropriation et celui du développement sont des temps longs. Comme l’écrivait Michel Godet, on a toujours tendance à minimiser l’inertie des systèmes (notamment en formation),
Après la première réforme, celle de 1971 qui intronisa le plan de formation, de nombreuses entreprises (même de très grandes) ont mis de 7 à 10 ans pour s’en saisir.
Aujourd’hui encore, de nombreux salariés ne bénéficient jamais de formation (y compris dans des sociétés de plusieurs dizaines de milliers de salariés). Doter chaque salarié d’un droit à la formation était un préalable à la généralisation de la formation, mais cela ne suffit pas.
Dans notre pays, seules 10,5 % des entreprises ont une véritable politique de développement des compétences (toutes tailles confondues, études conjointe DARES-CEREQ-INSEE de 2010). Comment imaginer que dans les autres organisations le seul fait de doter les travailleurs d’un droit à la formation serait la baguette magique qui transformerait en quelques années des organisations non formatrices en entreprises apprenantes ?
Le CIF, lui, est un dispositif très utile mais adapté à une société riche où les changements ou reconversions professionnelles se font à la marge. Aujourd’hui, le CIF concerne au mieux 40 000 salariés par an (soit 1 salarié du privé sur 500 environ). La crise que nous vivons (et qui n’en est peut-être qu’à ses prémisses) bouleverse les frontières professionnelles. Un tiers des salariés (32 % exactement) déclarait en 2009 vouloir changer d’emploi, d’employeur ou de statut professionnel. Les besoins sont donc immenses, couverts pour à peine 1 % de ceux qui n’en peuvent plus de leur travail.
Pour ces millions de travailleurs en déshérence (sans compter ceux du secteur public), rien n’est prévu excepté ce malheureux DIF de 20 heures par an (soit tout de même 120 heures pour des millions de travailleurs en CDI parvenus au maximum des compteurs).
- Le droit individuel à la formation mérite-t-il donc d’être rayé d’un trait de plume par le législateur ?
Le DIF ne peut sans doute pas sauver les 4 ou 5 millions de travailleurs peu qualifiés dont l’emploi, l’entreprise et même l’employabilité sont en danger. Il ne peut pas tout faire mais entre n’avoir aucun espoir d’être accompagné à minima vers un nouvel avenir professionnel et de belles promesses (intenables) de remise à niveau pour les millions de travailleurs sous-qualifiés en France, les pouvoirs publics vont devoir choisir.
- Les syndicats qui ont plébiscité le DIF lors de l’ANI de septembre 2003, accepteront-ils ce hold-up social que constituerait la disparition du droit à la formation ?
- A-t-on les moyens financiers, organisationnels, éducatifs en 2012 en France de remettre à niveau des millions de travailleurs tout en les privant de toute autonomie via leur droit à la formation ?
- Notre pays peut-il supporter une énième négociation sociale qui aboutirait dans un ou deux ans à de nouveaux textes qui mettraient encore des années à être appliqués sur le terrain ?
Le temps économique et social s’accélère du fait de la crise et plutôt que se gargariser de grands mots ou de nobles intentions, il serait peut-être utile de changer maintenant sur le terrain, de nous adapter individuellement et collectivement à une économie mondialisée qui ne fera pas de cadeaux aux ex-enfants gâtés européens.
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