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23 / 02 / 2015 | 42 vues

Clauses de désignation et contrats en cours : la Cour de cassation casse la décision du Conseil Constitutionnel du 13 juin 2013

La Cour de cassation n’a bien évidemment aucune autorité sur les décisions prises par le Conseil Constitutionnel. Pourtant, l’un des arrêts qu’elle a rendus et largement publiés le 11 février nous fait nous interroger en ce sens.

Tout le monde se souvient de la célèbre décision du Conseil Constitutionnel du 13 juin 2013 rendu dans le cadre du contrôle de constitutionnalité de la loi de sécurisation de l’emploi. La « cour suprême » avait annihilé l’article L 912-1 du code de sécurité sociale qui, dans sa version de l’époque, autorisait les partenaires sociaux à désigner l’organisme d’assurance chargé de gérer le régime de protection sociale complémentaire de branche et à imposer cet organisme aux entreprises de la branche.

Le Conseil Constitutionnel avait alors considéré que le fait d’obliger une entreprise à souscrire un contrat au contenu prédéfini auprès d’un assureur désigné porte une atteinte disproportionnée à la liberté d’entreprendre et à la liberté contractuelle découlant de l’article 4 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, au regard de l’objectif poursuivi de mutualisation des risques.

Dans un souci de préserver les effets de cette décision sur les accords de branche en vigueur, le Conseil Constitutionnel avait précisé que sa déclaration d’inconstitutionnalité de l’article L.912-1 du code de la sécurité sociale « n’est toutefois pas applicable aux contrats pris sur ce fondement en cours lors de cette publication (16 juin 2013) et liant les entreprises aux organismes d’assurance.

Les termes sont on ne peut plus clairs. Les contrats qui échappent à la censure sont ceux qui ont été conclus, dans le cadre d’une désignation, entre l’entreprise et l’organisme d’assurance. Autrement dit, ce sont les contrats d’assurance collective en cours qui échappent à la censure.

  • Cette exception a vraisemblablement pour objectif d’éviter une démutualisation massive des régimes de branche et de préserver une forme de stabilité des engagements, la décision d’inconstitutionnalité étant susceptible d’encourager les entreprises ayant adhéré à un organisme désigné de radier leur adhésion au régime de branche.


La majorité des acteurs de la protection sociale la trouvait donc assez juste, entreprises, syndicats et organismes d’assurance confondus. La place avait ainsi trouvé un certain consensus et une certaine stabilité considérant que seules les entreprises qui n’avaient pas, à la date du 16 juin 2013, conclu de contrat auprès d’un organisme d’assurance désigné, étaient libres de leur choix.

Il fallait certainement être magicien pour faire admettre cette interprétation à la Cour de cassation.

C’était sans compter sur ceux qui tentaient de faire admettre l’idée que les contrats en cours n’étaient pas les contrats d’assurance conclus entre les entreprises et les organismes d’assurance mais les accords de branches conclus entre les partenaires sociaux.

Il fallait certainement être magicien pour faire admettre cette interprétation à la Cour de cassation.

Nous espérons que les Cours d’appel de renvoi sauront nous rappeler que nous ne sommes pas au spectacle mais dans un état de droit, considérant notamment que les salariés et les entreprises ont un besoin crucial de stabilité afin de pouvoir se concentrer sur leur développement ou sur les moyens de résoudre les difficultés économiques qui les frappent.

Genèse de l’affaire

En 2006, les partenaires sociaux du secteur de la boulangerie ont désigné AG2R prévoyance pour mettre en œuvre le régime de remboursement de la complémentaire obligatoire des frais de santé obligeant toutes les entreprises de la branche boulangerie/boulangerie-pâtisserie à souscrire aux garanties à partir du 1er janvier 2007. Mais en 2006, des boulangers avaient contracté une complémentaire auprès d’un autre organisme. Dès lors, ils avaient refusé de s’affilier à AG2R prévoyance. Ce dernier a engagé une action contre les boulangers réfractaires, leur réclamant notamment un rappel de cotisations. Ces faits ont entraîné une série de cinq arrêts rendus par la Cour de cassation le 11 février dernier.

Deux portées sont à retenir :

  • d’une part, la chambre sociale de la Cour de cassation a considéré qu’au regard du droit et de la jurisprudence de l’Union européenne, une clause de désignation peut être valide, même en l’absence de mise en concurrence préalable de plusieurs opérateurs économiques par les partenaires sociaux (n° 14-11.409) ;
  • d’autre part, la chambre sociale a donné sa définition des contrats en cours : « (…) sont les actes ayant le caractère de conventions ou d'accords collectifs ayant procédé à la désignation d'organismes assureurs pour les besoins du fonctionnement des dispositifs de mutualisation que les partenaires sociaux ont entendu mettre en place, voire les actes contractuels signés par eux avec les organismes assureurs en vue de lier ces derniers et de préciser les stipulations du texte conventionnel de branche et ses modalités de mise en œuvre effective » (n° 14-13.538).


C’est cette seconde décision qui a retenu toute l’attention d’Exceptio Avocats.

Analyse

Cette définition  des « contrats en cours » est quasiment mot pour mot celle qu’avait retenu le Conseil d’État dans son avis du 26 septembre 2013 (n° 387895) suite à la décision du Conseil Constitutionnel du 13 juin 2013 (n° 2013-672 DC) publiée le 16 juin.

Le quatorzième considérant de la décision des Sages précisait pourtant : « considérant que la déclaration d'inconstitutionnalité de l'article L. 912-1 du code de la sécurité sociale prend effet à compter de la publication de la présente décision ; qu'elle n'est toutefois pas applicable aux contrats pris sur ce fondement, en cours lors de cette publication et liant les entreprises à celles qui sont régies par le code des assurances, aux institutions relevant du titre III du code de la sécurité sociale et aux mutuelles relevant du code de la mutualité », ménageant ainsi la stabilité des relations contractuelles.

Le Conseil constitutionnel avait confirmé sa position le 18 octobre 2013 (n° 2013-349 QPC, rejet de la QPC Allianz IARD et autres) en rappelant que « cette déclaration d'inconstitutionnalité n'est toutefois pas applicable aux contrats pris sur le fondement de l'article L. 912-1 dudit code, en cours à la date de cette publication, et liant les entreprises à celles qui sont régies par le code des assurances, aux institutions relevant du titre III du livre 9 du code de la sécurité sociale et aux mutuelles relevant du code de la mutualité ; qu'ainsi lesdits contrats ne sont pas privés de fondement légal ».

Pour les Sages, en l’absence de lien contractuel entre l’entreprise et l’organisme au 16 juin 2013, il n’est pas possible de contraindre l’entreprise à contracter avec l’organisme désigné et encore moins à la condamner à payer des cotisations. A contrario, les entreprises adhérentes au 16 juin 2013 ne peuvent pas se prévaloir de la décision des Sages pour résilier leur contrat avec l’organisme désigné en application du droit de résiliation annuelle de droit commun. Il s’agit là d’une application stricte des décisions constitutionnelles dans le temps. Par ce biais, la sécurité contractuelle est préservée.

Malgré ces décisions, le débat sur la définition des « contrats en cours » perdurait. Pour certains, il ne pouvait s’agir que du contrat d’assurance liant l’entreprise à un organisme. Pour d’autres, il s’agissait de l’accord collectif.

La Cour d’appel de Chambéry dans un arrêt du 7 janvier 2014 (n° 12/02382) et celle de Paris dans un arrêt du 16 octobre 2014 (n° 12/17007) avaient jugé que les entreprises non adhérentes au 16 juin 2013 n’avaient pas d’obligation de contracter avec l’organisme désigné et que les entreprises adhérentes au 16 juin ne bénéficiaient pas du droit à résiliation annuelle.

Bien que le dispositif et les motifs de ces arrêts fussent en totale adéquation avec la lettre et l’esprit de la décision du Conseil Constitutionnel, la Cour de cassation vient de donner raison aux défenseurs de la thèse selon laquelle les « contrats en cours » sont les accords collectifs de branches révisables tous les cinq ans.

De la sorte, la Haute Juridiction judiciaire fait glisser les clauses de désignation dans le giron du régime de la protection sociale qui poursuit un objectif de solidarité et primerait sur la liberté constitutionnelle de contracter.

  • En effet, le Conseil constitutionnel considère les clauses de désignation comme contraires aux libertés d’entreprendre et de contracter alors que la Cour de cassation les voit comme une incarnation de l’esprit solidaire autorisant une atteinte à ces libertés constitutionnelles.

D’aucuns allèguent que le principe de solidarité figure dans la charte sociale européenne du Conseil de l’Europe et la charte des droits sociaux et la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, lui conférant ainsi une valeur supra-constitutionnelle. Cette position repose également sur l’idée que l’intérêt général (de solidarité) prime sur l’intérêt individuel (de contracter librement). Les entreprises non adhérentes en juin 2013 ne peuvent donc plus invoquer leur liberté contractuelle.

La supra-constitutionnalité du principe de solidarité justifierait pourquoi la Cour de cassation contrevient aux décisions des Sages qui s’imposent normalement aux autorités administratives et juridictionnelles.

  • En conséquence, les accords antérieurs au 16 juin 2013 continuent à produire leurs effets jusqu’à leur terme. De plus, la présence d’une clause de désignation se distingue de la désignation en elle-même. Ainsi, si à l’issue de la période quinquennale aucune décision expresse de désignation n’est prise, cela vaut tacite renouvellement et des accords perdureront après juin 2018.


La position du Conseil constitutionnel, fondée sur la liberté contractuelle, était pourtant claire : l’entreprise et l’organisme désigné sont contractuellement liés par le bulletin d’affiliation alors que la branche n’a pas la personnalité juridique requise pour contracter avec l’organisme.

  • Aujourd’hui, avec l’arrêt de la Cour de cassation, les entreprises non adhérentes en juin 2013 ne peuvent pas invoquer leur liberté contractuelle car le quatorzième considérant ne vise pas le contrat d’assurance et encore moins le contrat de cette entreprise.

Conclusions

L’arrêt de la chambre sociale de la Cour de Cassation du 11 février 2015 met en cause les termes très clairs de la décision du Conseil Constitutionnel. Derrière l’étendard de la solidarité se cache probablement la volonté de préserver les pouvoirs des partenaires sociaux. En pratique, cela prive les organismes non désignés du marché des entreprises non adhérentes ou créées postérieurement et celles-ci se voient contraintes d’adhérer à l’organisme désigné et s’exposent à un rappel de cotisations… Grâce à cet arrêt de la Cour de cassation, les désignations ont encore de beaux jours devant elles.

Grâce à cet arrêt de la Cour de cassation, les désignations ont encore de beaux jours devant elles.L’arrêt de la Cour d’appel de renvoi est désormais très attendu. Il permettra peut-être de confronter la théorie de la formation des contrats et du consentement aux dispositions du Code du travail concernant les relations collectives. Cette question pourrait être le sujet d’une nouvelle QPC.

Jean-Marc Bailly & Amanda Dezalla-Rouger

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