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05 / 10 / 2010 | 118 vues
Franck Mikula / Membre
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Aérien : le métier de personnel navigant commercial doit rester soutenable

Ce débat sur le travail est vieux comme le monde, et il ne sera pas tranché aujourd’hui. Cependant, ce que nous constatons, à notre humble avis de représentants des navigants, c’est que notre métier est parfois source de souffrance, que ce travail peut avoir des conséquences nocives sur la santé à court ou à plus long termes et que si certaines causes de cette nocivité se trouvent dans la nature même de notre profession, d’autres ont pour origine l’organisation du travail par les directions de compagnies aériennes.

Des causes spécifiques

Pour ne citer que les causes les plus évidentes : une certaine désocialisation des membres d’équipages en décalage avec les rythmes sociaux de leur famille et/ou de leurs amis qui rend difficile le maintien d’un véritable lien social et les contraintes familiales, alors que nous sommes absents, loin du domicile, pour des durées parfois longues, les problèmes de sûreté (alertes à la bombe, reconduites à la frontière, instabilité géopolitique), les déroutements, les incivilités (voire les agressions) à bord ou en escale, les décès à bord, les turbulences qui, outre les dangers physiques, accroissent l’angoisse et augmentent le stress, les suites des accidents aériens qui nous rappellent sans cesse que les vols peuvent se terminer en drame, les conditions de travail engendrant du surmenage, des troubles du sommeil, de l’anxiété (voire de la dépression), les radiations ionisantes qui peuvent provoquer des cancers sur le long terme…

Un puits sans fond

Souplesse, flexibilité, adaptabilité, individualisation… Tous ces mots (maux ?) ne font que décrire la course éperdue aux gains de productivité dont nous sommes victimes. L’annonce d’une prochaine réorganisation du modèle moyen et court courriers d’Air France, visant à gagner 20 % de productivité, en est la traduction concrète pour les PNC.

Cette « low-costisation » de notre activité fait reposer sur les seuls salariés toutes les conséquences d’une concurrence folle devenue loi de la jungle, en mettant en concurrence non seulement les salariés mais également les modèles de protection sociale.

L’absence de régulation et l’absence d’harmonisation entre les systèmes de protection sociale font que l’essentiel des adaptations repose sur les épaules des seuls salariés. Les écarts sont tels entre les niveaux de protection des salariés en Europe et dans le monde, que sous prétexte de recherche d’une meilleure performance économique, on creuse un puits sans fond dans les garanties sociales des hommes et des femmes qui incarnent cette course à la productivité.

D’où les actions judiciaires lancées par l’Unac à l’encontre de toutes les compagnies aériennes qui font du dumping social en contournant le droit du travail et le droit social français (Easyjet, Ryanair, Vueling, Netjets etc.). La libre concurrence est déjà contraignante pour les salariés, elle doit rester loyale.

  • À titre d’exemple, les cotisations sociales représentent environ 25 % du salaire en France alors qu’elles n’en représentent que 3 à 5 % en Irlande.


« Il n’y a pas de fin à la recherche de gains de productivité », nous disent les membres du conseil d’administration d’Air France et les représentants de la direction. Pourtant, il y a des limites à l’adaptabilité permanente, à la flexibilité et à l’individualisation de la performance et de la rémunération, c’est la capacité des hommes et des femmes sur lesquels reposent ces gains de productivité, à « soutenir » la charge.

Un travail soutenable


L'une des caractéristiques des PNC en France, c’est qu’ils exercent un vrai métier. Contrairement à ce qu’on peut voir dans certains pays, ce n’est pas un « job » qu’on fait quelques mois ou quelques années, mais une véritable profession qu’on exerce, si possible, toute sa vie active. Mais si l’on veut rester en capacité de l’exercer jusqu’à l’âge de la retraite sans être usé précocement, le travail doit rester « soutenable ».

Le travail soutenable comme objectif, c’est possible. De toute façon, avons-nous le choix ? Les unes après les autres, les réformes du système de retraite repoussent l’âge à partir duquel nous pouvons faire valoir nos droits : 62 ans en 2018, mais pour ceux qui ont aujourd’hui 30 ans, quel sera l’âge de la retraite en 2040 ou en 2050 ? Combien de réformes (toujours définitives, bien sûr) auront vu le jour d’ici-là ?

Si l’on veut pouvoir continuer d’exercer notre métier de PNC sur la durée, celui-ci doit rester soutenable. Il faudra pour cela sans doute repenser l’organisation de la production autour de ses conditions de travail et des conséquences à long terme sur la santé du productivisme à outrance. Il faudrait pour cela raisonner en termes de « qualité » et rompre avec l’obsession de la « quantité ».

Usure et/ou pénibilité


Le projet de réforme du régime général de retraite apporte une définition très restrictive à la reconnaissance de la pénibilité du métier exercé. N’est prise en compte que l’incapacité permanente d’au moins 10 %.

Il s’agit là d’une mesure individuelle, toute approche consistant à fixer a priori une liste de métiers ou de classifications professionnelles réputés pénibles a été refusée. Pourtant, la nocivité de certaines activités, et notamment de notre métier, peut ne se révéler que bien après la cessation d’activité.

Quelles sont véritablement les conséquences à long terme d’une exposition, même limitée et comprise dans les limites légales, aux radiations ionisantes, par exemple ? Quelles sont les conséquences à long terme pour la santé d’une activité professionnelle faite de décalages horaires incessants et d’un travail de nuit durant toute une carrière ?

Le travail de nuit peut provoquer des troubles pour la santé allant du diabète jusqu’au cancer chez les salariés occupés toute leur carrière sur des postes avec des horaires nocturnes. Cela ne veut pas dire que tous les PNC vont souffrir de ces maux, mais on peut raisonnablement redouter que la course au productivisme ne se traduise par une moins bonne santé à la retraite, et même par une réduction de l’espérance de vie.

Une médecine indépendante

Les médecins du travail sont des interlocuteurs privilégiés et des acteurs essentiels sur ces questions. Leur rôle est central dans la prévention des pathologies à caractère professionnel. Leur mission fondamentale est d’éviter toute altération de la santé physique et mentale des salariés du fait de leur travail. Une des conditions permettant la réussite de leur mission est l'indépendance !


Or, le texte sur la réforme de la retraite, voté par les Députés à l’Assemblée, a changé les règles de fonctionnement des services de santé au travail en plaçant les médecins du travail sous la coupe des employeurs. On va donc avoir des médecins pour lesquels on pourra se poser des questions de confiance, d’indépendance, de confidentialité, et de réalité de leur aide aux salariés.

Les PNC doivent pouvoir continuer de bénéficier d’une prise en charge globale de leur santé par des professionnels indépendants de la direction.

La réforme de la médecine du travail votée par les Députés risque bien d’interdire toute prévention et toute réflexion sur les conséquences, pour la santé des salariés, des politiques économiques et sociales mises en oeuvre dans les entreprises en général et dans les compagnies aériennes en particulier.

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