Participatif
ACCÈS PUBLIC
10 / 02 / 2014 | 24 vues
Didier Cozin / Membre
Articles : 167
Inscrit(e) le 23 / 07 / 2012

Compte personnel de formation : tout est-il réellement dit dans le texte de loi ? - II

La loi réformant la formation a été votée en première lecture vendredi 7 février. Le compte personnel de formation devait en être le pilier. En fait de pilier, le Parlement pourrait avoir voté à la va-vite un dispositif infernal qui entraînera la formation dans le marasme et l'attentisme pour de nombreuses années.

Les questions concernant le financement du CPF

Cinquante euros par an pour se former ! La loi prévoit un financement spécifique du CPF (y compris la réalisation du milliard d’heures de DIF à prendre jusqu’en 2021) via une cotisation de 0,2 % de la MS. On a donc une réforme globale de la formation adossée à un CPF qui disposera de 50 euros par an et par personne. Un CIF coûte en moyenne 25 000 euros par stagiaire, un lycéen professionnel coûte 12 000 euros par an, un DIF de 20 heures revient à 500 euros en moyenne, mais le CPF ne coûterait que 50 euros par an pour des formations qualifiantes !

Que fera-t-on si les fonds sont épuisés très vite dans l’année ? Qu’a prévu le législateur pour former les travailleurs si l’enveloppe CPF est engloutie en quelques semaines (ce qui s’est régulièrement produit avec le DIF dans plusieurs branches professionnelles depuis 2008) ? Faudra-t-il prendre son ticket et attendre l’année suivante pour faire 20 heures de CPF ?

Quid de la TVA ? Le lecteur d’une revue de loisirs règle 2,1 % de TVA pour son magazine préféré sur la planche à voile ou la téléphonie portable. En revanche, le travailleur qui souhaitera se former (et donc accroître son employabilité tout en rendant son entreprise plus compétitive) devra payer de sa poche 20 % de TVA (si l’organisme de formation n’est pas associatif) !

Les frais annexes. Une formation d’adultes entraîne toujours des frais annexes (qui représentent fréquemment 50 % des budgets de formation) : règlement des salaires (formation sur le temps de travail), d’allocations de formation (formation hors temps de travail), des frais de déplacements, de restauration, d’hébergement… Qui paiera ces frais annexes et sur quel budget ?

 

Les questions concernant l’homologation des formations et des organismes de formation

Sous quels délais et sur la base de quels critères l'homologation sera-t-elle accordée aux organismes de formation ? Qui jugera et avec quelle expertise de la qualité et de la pertinence des formations proposées ?

Quelle est la définition exacte d’une formation qualifiante ? Vingt heures de bureautique sont-elles moins qualifiantes que 5 années d’études en fac de psycho ?

Qu'est-ce qui sera homologué (et par qui ?) : le thème de la formation, son contenu, son prix, sa durée, ses modalités pédagogiques, ses résultats attendus, la qualification des formateurs, le confort des salles de formation, l’ensemble des formations d’un organisme de formation ? Comment prévoir avec certitude l’évolution de l’économie et des besoins en formation de 20 millions de salariés ?

Les nouveaux organismes de formation seront-ils pénalisés et devront-ils attendre leur tour ?

Les organismes de formation publics seront-ils tous homologués de droit ?

De quels recours disposeront les organismes de formation dont la demande d’homologation sera refusée ou non traitée ?

Quelle sera la durée de validité d’une homologation ? Pourra-t-on perdre une homologation en cours d’année ?

L’homologation permettra-t-elle à l’organisme de formation d’être payé directement par le Trésor public ?

Que deviendra le bilan pédagogique et financier ? Servira-t-il à l’homologation ? 

Les questions concernant le rôle et la responsabilité de l'employeur

Quid de l'obligation du maintien de l'employabilité pour les employeurs dans le Code du travail ?

L'employeur sera-t-il hors jeu pour le choix de la formation, de l’organisme de formation sur le temps de travail ?

Qui vérifiera la tenue des entretiens professionnels tous les 2 ans pour chaque salarié ? Quelle forme prendra cet entretien, quelle durée et quelle suite seront données ? Quelles garanties qu’il ne soit pas purement formel et sans effet sur la carrière ?

Comment l'employeur gèrera-t-il les absences des salariés bénéficiant du CPF de droit ?

Quelles instances de conciliation en cas de désaccord sur le départ en formation ?

Comment un employeur pourra-t-il assurer le travail si une fraction importante de ses effectifs part en formation sur le temps de travail ? Qui les remplacera et sur quels budgets ?

Qui vérifiera et tiendra le compte des pénalités prévues par le CPF (6 ans sans formations ou 2 ans sans entretiens professionnels) ?

Que devra régler l'employeur pour le CPF de ses salariés, si l'entreprise n'est pas couverte par un accord ou si les fonds du FPSPP sont épuisés ?

Les questions concernant le conseil en évolution professionnelle

Selon l’ANI de 2013 et le rapport de l’IGAS idoine, la validation du projet de formation doit faire intervenir un conseiller en évolution professionnelle (ou un conseiller en orientation dans le champ scolaire) selon des modalités différenciées (usage des seuls droits capitalisés ou recours à des abondements).

Cette intervention pose de nombreuses questions. La loi de 2009 prévoyait déjà un grand service public de l’orientation professionnelle. Quatre années plus tard, moins d’une centaine de territoires est couverte pour un service qui n’a trouvé ni sa place ni son audience auprès des travailleurs.

  • À quelle date les salariés en France, puis tous les actifs, pourront-ils bénéficier de ces services de conseil en évolution professionnelle ?
  • Un cahier des charges du conseil en évolution professionnelle a-t-il été élaboré ou, comme pour le CPF, le dispositif se fera à l’aveugle, sans plan ni programmation précise ?
  • Qui garantira la qualité du service, l’expertise métier et formation des conseillers en évolution professionnelle ?
  • Quand le territoire national sera-t-il maillé avec des conseillers en évolution professionnelle ? Comment faire en attendant que ce service soit accessible et proche de tous les travailleurs ?
  • Choisiront-ils ou ne feront-ils que conseiller les parcours, les formations, leur durée, les modalités pédagogiques ?
  • Les conseillers sélectionneront-ils le prestataire de formation ? Sur quels critères ? Avec quelles garanties d’indépendance ?
  • Le choix d’une liste de formations qualifiantes pour chaque branche ou régionale ne va-t-il pas à l’encontre de la volonté des pouvoirs publics d’encourager la mobilité des travailleurs ?
  • Que se passera-t-il si aucun organisme de formation n'est homologué dans la région du demandeur pour la formation recherchée ?
  • Quels liens le conseiller en évolution professionnelle tissera-t-il avec l’entreprise employant le salarié ? Aura-t-il accès à sa GPEC ou à ses accords sociaux ? Devra-t-il rencontrer la DRH ou la direction, les représentants du personnel ou le conseiller en formation sera-t-il hors-sol du travail et de l’entreprise ?
  • Quel lien sera fait avec les entretiens professionnels menés obligatoirement tous les 2 ans ?
  • Combien et quels documents légaux faudra-t-il transmettre, valider, signer : une convention bipartite, tripartite, quadripartite ? Que faire s’il manque des signatures ou des tampons ?

Les questions concernant le déroulement des formations

  • Quels délais pour organiser puis partir en formation via le CPF ?
  • Qui contractualisera avec l’organisme de formation ? Au nom de qui ? Qui engagera financièrement la formation (avec le règlement d’acomptes ou de pénalités en cas de renoncement) ?
  • Quelles possibilités de rétractation ou d’annulation ? Quelles pénalités financières seront prévues en cas de non-réalisation du contrat ? Qui les règlera ?
  • Qui convoquera les stagiaires ? Qui vérifiera leur présence ?
  • Qui transmettra les fiches de présences et à qui (l’employeur, l’OPCA, Pôle Emploi, la Caisse des Dépôts, la région, la DIRECCTE ?)
  • Que se passera-t-il en cas d'annulation ou de report du CPF sur le temps de travail ?
  • En cas d'accident : quelles responsabilités de l'organisme de formation, de l'employeur, de la région, de l'État ?
  • Le paiement des formations : qui paiera, sous quels délais, avec quelles sanctions financières en cas de retard ? Qui gérera les éventuels contentieux ?

Les questions concernant le devenir du CPF pour tous les actifs non salariés


L’ANI de janvier 2013 précisait : « Le compte personnel formation est universel : toute personne dispose d’un compte personnel de formation dès son entrée sur le marché du travail et jusqu’à son départ à la retraite ».

  • Quand le CPF sera-t-il ouvert aux 28,5 millions d’actifs ?
  • Comment fonctionnera le CPF des non-salariés (auto-entrepreneurs qui cotisent déjà pour leur formation, indépendants, commerçants, agriculteurs, retraités devant reprendre une activité…) ?
  • Comment mesurera-t-on le temps de travail des non-salariés pour les créditer de leurs heures de CPF ?
  • Sur quel budget les non-salariés pourront-ils se former ? Sur quelles priorités ?
  • Un auto-entrepreneur également salarié bénéficiera-t-il de deux compteurs ?
  • Le travail d’une femme au foyer ne donnera-t-il pas droit à des heures de CPF ? En cas de reprise d’une activité une mère de famille n’aura-t-elle droit qu’à un CPF vide ?

Les questions concernant le contrôle et l'évaluation du dispositif

  • Comment, quand et par qui le CPF sera-t-il évalué ? Avec quels critères de réussite ?
  • Qui contrôlera la qualité du service rendu aux salariés et aux entreprises ?
  • Qui assurera le paiement pour le service rendu par la Caisse des Dépôts ?
  • Quelles pénalités sont prévues en cas de retard, d’erreurs ou de déploiement insuffisant ?
  • Que se passera-t-il si le CPF n’est pas en œuvre avant de très nombreuses années ?

 

Notre conclusion


Si comme le déclarait en 2013  le Ministre du Travail, le CPF était un objectif à long terme, un idéal vers lequel tendre, s’il suffisait de changer les trois lettres du mot DIF et si notre pays ne s’était pas une nouvelle fois payé de mots, alors on pourrait peut-être estimer que le CPF est un « indéniable progrès ».

En voulant naïvement reprendre à leur compte une part importante de la gestion des formations des entreprises, les pouvoirs publics ont pris le risque de devoir assumer et gérer tous les cas particuliers, la complexité des situations individuelles, les spécificités de chaque métier. C’était une louable intention, mais notre pays a-t-il les moyens d’encore se tromper, de tergiverser ?

La formation en France restera-t-elle un idéal inaccessible pour la majorité des travailleurs ?

Des demandes nombreuses mais insatisfaites d’un côté, des organismes de formation qui attendent en vain des commandes d’un autre et entre les deux un système règlementaire, financier et bureaucratique qui empêche tout développement ?

Pas encore de commentaires