La réforme de la formation va-t-elle entraîner la disparition du CIF ?
Notre pays vient de réformer la formation via une loi qui ne convainc pas plus les entreprises que nombre d'organismes de formation. Tout en prétendant développer les apprentissages des adultes, la nouvelle règlementation pourrait déprimer une formation professionnelle déjà bien à la peine en France.
Le compte personnel de formation était peut-être une idée généreuse mais sa rédaction maladroite et sa complexité ne vont faciliter la vie de personne ces prochaines années. Les entreprises et les salariés pourraient ne pas y trouver leur compte (de formation).
Faisons un retour sur dix années de réformes en formation professionnelle continue.
En 2004, l’architecture de la première réforme était simple.
- Le plan de formation appartenait à l’entreprise. Il prenait en compte l’adaptation au poste de travail du salarié mais aussi de la gestion des emplois et des compétences.
- Le CIF restait un dispositif personnel. Toujours qualifiant, il permettait d’entreprendre les reconversions professionnelles longues.
- Le DIF enfin offrait à chacun la possibilité d’entrer dans la formation tout au long de la vie via des formations courtes (mais jusqu’à 120 heures sur 6 années pour un projet qualifiant). Le DIF introduisait aussi un dialogue social. Il était à la charnière entre le plan de l’organisation et le CIF bénéficiant au seul salarié.
Cette architecture était lisible et accessible parce qu’elle ne mélangeait pas tout.
- La stratégie éducative globale de l’organisation du ressort de l’employeur via son plan de formation.
- Les formations qualifiantes volontaires relevant du CIF.
- Le dialogue social et la formation tout au long de la vie incombant au DIF.
- Enfin, la requalification des chômeurs et des jeunes de la responsabilité des pouvoirs publics.
La loi de 2009 a modifié cet équilibre entre les besoins de l’individu et ceux de son entreprise.
Cette loi a tenté de sécuriser les salariés en transition professionnelle en organisant la portabilité du DIF mais la portabilité trop complexe et mal conçue (par les partenaires sociaux déjà) n'a guère fonctionné.
La nouvelle loi de 2014 se prétend globale (refondatrice, selon le ministre du Travail) mais bien que parée des meilleures intentions du monde, elle pourrait précipiter tous les acteurs de la formation dans la complexité, l’attentisme et l’impuissance.
Le trentenaire congé individuel de formation (CIF), célébré il y a encore quelques mois, pourrait ne pas survivre à la réforme.
Si l’objectif lors de la signature de l’ANI de janvier 2013 était la disparition du DIF avec ce concept fourre tout du CPF, à la fois compteur et dispositif de formation, les partenaires sociaux n’avaient sans doute pas mesuré qu’ils remettaient aussi en cause l'existence du CIF.
Pourquoi le CIF risque-t-il lui aussi de disparaître ?
Le CIF pourrait disparaître ces prochaines années pour une raison assez simple : il fait double emploi avec le CPF (le CPF n'est qu'un CIF dégradé) et introduit de ce fait une concurrence redoutable entre les deux dispositifs (concurrence qui n’existait pas avec le DIF).
Un simple petit tableau comparatif pourra éclairer le lecteur.
| CIF | CPF |
Coût pour les entreprises | 0,2 % de la masse salariale | 0,2 % de la masse salariale |
Condition de durée pour se former | 2 ans d’ancienneté (ou moins en cas de licenciement économique) | De 3 ans à 7 ans d’ancienneté pour 75 à 150 heures de CPF |
Temps sur lequel la formation est réalisée | Sur le temps de travail | Hors temps de travail |
Rémunération pendant la formation | De 90 à 100 % du salaire net | Aucune rémunération (sauf pour de très rares exceptions) |
Durée des formations | 780 heures en moyenne | De 75 à 150 heures maximum |
Financement | 25 000 euros en moyenne (soit 32 euros de l’heure) | De 400 à 500 euros en moyenne (soit au mieux 10 euros de l’heure) |
Accord pour le départ en formation | Des FONGECIFS sur dossier | De l’employeur ou de l’OPCA ou du FPSPP ou de la région ou du conseil en évolution professionnelle |
Nombre de personnes concernées par an | 35 000 salariés par an | 1,2 million d'actifs, principalement des chômeurs, selon le ministère du Travail |
Ce tableau comparatif du CIF et du CPF démontre que les travailleurs ayant besoin de se requalifier vont sans doute être massivement orientés vers le CPF au détriment du CIF alors que celui-ci apparaîtra bien trop coûteux et long (pour ne former tous les ans que 0,2 % des salariés en poste).
Qu’est ce qui en effet justifiera un traitement si différent des stagiaires en formation ?
Certains disposant d’une année entière tout frais payés pour se former et se reconvertir alors que l’immense majorité devra se contenter d’un CPF de 150 heures, mal financé et sans percevoir la moindre rémunération ou allocation durant la formation ?
Le CPF sera au final pas ou très peu utilisé par les salariés en poste.
Depuis 2004, les salariés consentaient rarement à prendre leur 20 heures de DIF hors temps de travail (alors qu’ils percevaient une allocation de formation) mais soudain à partir de 2015, ils accepteraient de partir en formation durant 1 ou 2 mois sur leur temps libre et sans aucune rémunération ? On a du mal à y croire ?
En fait, quand il fonctionnera (sans doute pas en 2015), le CPF sera un dispositif déclassé et utilisé presque exclusivement par les chômeurs.
Les salariés en poste auront perdu leur droit individuel à la formation mais sans rien trouver à la place pour évoluer ou se repositionner durant quelques jours par an.
Cette nouvelle loi ne met pas les travailleurs devant leur responsabilité éducative, elle retire la formation du champ des employeurs, réaffecte à la marge les 32 milliards du « magot » de la formation (1 milliard sur 32) tout en bureaucratisant à l'extrême un système qui l'était trop jusquà présent.
Dans un prochain article, nous nous arrêterons sur cette inexorable montée de la bureaucratisation et de la complexité qui guettent les entreprises et les salariés avec le compte personnel de formation.
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Sur le coût moyen d'un CPF