Comment évaluer et intégrer les conséquences humaines et juridiques du changement ?
« Tout projet de réorganisation ou de restructuration doit mesurer les conséquences et la faisabilité humaine du changement », telles étaient les recommandations du rapport « Bien-être et efficacité au travail » de Henri Lachmann, Christian Larose et Muriel Pénicaud, remis au Premier Ministre en février 2010. Comment les entreprises ont-elles décliné cette proposition dans leurs organisations ?
- C’est bien la question des performances globales sur fond de responsabilité au sens large, qui se trouvait posée le 28 mai par Stimulus et Vaughan Avocats dans le cadre d’un café social organisé par Miroir Social.
Trois ans après, cette recommandation n’a manifestement pas été intégrée par la majorité des entreprises où les réorganisations majeures se succèdent pour autant.
Les interventions de Stimulus pour évaluer les conséquences humaines du changement dans le cadre de projets de transformation (c'est-à-dire perception et représentation du changement, caractéristiques objectives du changement, observation des situations réelles de travail) ne représentent encore qu’une faible part de l’activité du cabinet. Le besoin existe pourtant bien. L’occasion de révéler les axes de progrès managériaux. « Prendre en compte l’organisation du travail est essentiel mais cela ne doit pas être une raison pour négliger la prise en compte de la formation des managers. Or, il y a en France un déséquilibre majeur. Comment expliquer que Deutsche Telekom et British Telecom, qui se trouvaient dans la même situation que France Télécom, aient réussi la transition sans connaître des crises psychosociales. Le management doit être évalué sur sa capacité à prendre en compte le changement de leurs collaborateurs », explique Patrick Légeron, fondateur de Stimulus.
Dix ans d’expérience de la conduite du changement à La Poste
À la Poste, l’enquête annuelle baptisée « de vous à nous », menée depuis 6 ans auprès de l’ensemble du personnel, s’avère être un vrai levier de management. « C’est l’occasion d’analyser établissement par établissement le niveau de partage du sens des changements notamment. C’est un véritable outil de pilotage pour la direction du courrier, qui permet de mieux identifier les pistes d’amélioration du management », explique Corinne Bourdon, directrice de groupement postal dans l’Essonne, qui a contribué à la mise en place il y a 10 ans d’une méthode d’accompagnement du changement au courrier. Une approche alors portée par la ligne managériale et accompagnée par par une équipe de 40 consultants internes.
« Nous avons fait le choix de ne pas faire du taux de participation et des réponses à « de vous à nous » un critère de rémunération variable des managers. Pour autant, il leur appartient de se servir des résultats de l’enquête pour co-construire le projet de l’équipe ou de l’établissement avec les salariés », ajoute Corinne Bourdon.
La nécessaire capacité à se remettre en question
Et celle-ci d'insister sur la nécessité de se remettre en question en permanence. « Notre expérience au courrier nous permet de dire que l’on doit être toujours plus à l’écoute, partager le sens, dialoguer. Nous nous donnons au minimum deux ans pour mettre en place des changements importants. Malgré cela, les managers manquent de temps pour assurer l’accompagnement et la participation du personnel », poursuit-elle.
Une capacité à se remettre en cause qui est loin d’être partagée. « Il y a une déresponsabilisation croissante d’un management qui croit de moins en moins aux multiples projets dans lesquels ils sont impliqués. Ce non-sens se traduit par de la non-qualité. On ne mesure pas encore les conséquences que vont avoir toutes ses réorganisations qui ne prennent pas en compte la non-adhésion de l’humain au changement », explique Julien Southon, en charge de l’offre EIH (étude d'impacts humains du changement) chez Stimulus. Et ce dernier de préciser : « Nous n’intervenons que dans les entreprises qui acceptent de nous permettre de mettre en place les recommandations que nous formulons. Le changement, c’est accepter de se remettre en question ». Des plans d’action qui se bâtissent sur la base d’un travail de qualification des sphères touchées par le changement et de l’étude formelle et technique des changements envisagés dans la nouvelle organisation cible.
Les études des effets juridiques du changement
C’est là que le partenariat original noué entre Stimulus et Vaughan Avocats, un cabinet spécialisé dans l’accompagnement juridique des réorganisations et le conseil en droit social, prend tout son sens. De quoi renforcer l’EIH d’une EIJC (étude d’impact juridique du changement). « L’objectif consiste à évaluer la capacité de l’entreprise et de ses acteurs à appréhender et à digérer le changement à travers une analyse du corpus juridique et social servant à la régulation des relations individuelles et collectives et travail et des outils de gestion des ressources humaines. L’inadaptation et l’obsolescence du corpus juridique et social sont des facteurs d’impact sur la santé ; l’identification et la valorisation des écarts entre les éléments constitutifs du corpus juridique et social de l’entreprise et la réalité au travail sont donc nécessaires et indispensables. A titre d’exemple, lancer une opération de réorganisation alors que les éléments essentiels des contrats de travail ne sont plus en adéquation avec la définition du poste et des fonctions occupés ou avec les grilles de classification des fonctions et des rémunérations devenues totalement obsolètes, n’est pas la meilleure des façons de donner du sens au changement. Ce constat d’incohérence est un facteur anxiogène qui ne permet plus au collaborateur de se positionner dans la collectivité de travail », explique Alexis Moisand, avocat associé du cabinet Vaughan.
Ainsi l’évaluation de l’impact de la réorganisation sur les outils juridiques de la régulation des relations individuelles et collectives et travail et de la gestion des ressources humaines permettra non seulement de mettre à jour et d’adapter le corpus juridique et social à la nouvelle organisation issue de l’opération de changement, mais également d’élaborer la stratégie et le calendrier des opérations de changement. Une approche globale de la performance sociale qui sous-entend qu’une direction n’appréhende pas juste le risque juridique en le bordant avec une mise à jour du corpus juridique et social, mais en fait un outil dynamique de gestion et d’accompagnement du changement.
Respecter le calendrier est la première condition du succès d’une réorganisation. Notamment la période, censée être transitoire, pendant laquelle le projet va se traduire par une augmentation de la charge de travail. Pour Alexis Moisand, « au-delà de sa charge de travail quotidienne, chaque collaborateur devra mobiliser du temps de travail pour prendre en charge les actions d’accompagnement du changement. L’évolution des effectifs et du nombre de postes de travail entre l’ancienne et la nouvelle organisation de l’entreprise consécutive à la suppression, la modification et/ou la création de poste ne doit pas avoir pour effet d’augmenter durablement la charge de travail. Il s’agit en revanche de travailler différemment en augmentant les performances individuelles et collectives ». Mais dans la réalité, c’est bien une intensification de la charge de travail qui est globalement ressentie par les salariés. Avec quelles conséquences à moyen terme sur les performances ? « Il nous appartient de quantifier le retour sur investissent des études d’impact du changement pour convaincre les directions de les intégrer. En santé au sens large, la France brille par une absence de culture de prévention », estime Patrick Légeron qui annonce qu’un groupe de travail planche sur le sujet au sein de la FIRPS (Fédération des intervenants en risques psychosociaux).- Santé au travail parrainé par Groupe Technologia
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