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La petite ritournelle de la réforme de la formation professionnelle
Depuis plus de vingt ans, les pouvoirs publics implorent la déesse formation professionnelle en tentant de réformer cette jeune femme (40 ans), plutôt rétive aux injonctions et coups médiatiques.
Comme la formation va mal (ce que personne ou presque ne nie), les pouvoirs publics s’ingénient donc inlassablement (et assez vainement) à combattre les multiples travers et dérives de l’hydre formation professionnelle continue (devenue en 2004 « formation tout au long de la vie ») via des réformes qui, invariablement, n'atteignent pas leurs objectifs.
Hélas, il est plus facile de pointer les errements de la formation que d’organiser un véritable cadre éducatif, valorisant et équitable pour les travailleurs.
L’État lui-même aime donner des leçons mais ne parvient pas à redresser son Éducation nationale ni à mettre en œuvre le droit à la formation de ses propres agents (5 millions de fonctionnaires ont cumulé près de 600 millions d’heures de DIF depuis 2007, sans que personne ne soit capable de les organiser ou de les financer).
Pour changer la donne, le rituel médiatique est désormais bien installé : quelques mois après son élection chaque président y va de ses déclarations généreuses sur la réforme de la formation.
- Il y a 5 ans, le 3 mars 2008 (à Alixan dans la Drôme) Nicolas Sarkozy déclarait « Pourquoi réformer la formation professionnelle ? « Pour les salariés, la formation, c’est la meilleure des sécurités professionnelles ; c’est aussi un gage de promotion sociale, l’assurance de pouvoir progresser au sein de son entreprise ou d’accéder à un autre emploi, plus valorisant et mieux rémunéré... La formation professionnelle enfin, c’est la compétitivité de nos entreprises »... Le système français souffre de vraies lacunes… Les inégalités d’accès à la formation sont criantes ». Et encore : « l’information, l’orientation et le conseil aux personnes comme aux entreprises, notamment pour les plus petites d’entre elles, sont insuffisants. On compte en France 45 000 organismes de formation qui préparent à plus de 15 000 titres et diplômes. C’est un maquis inextricable ».
- Cinq ans plus tard exactement, le 4 mars 2013 en déplacement à Blois, le Président de la République François Hollande déclarait vouloir « réformer la formation professionnelle sans braquer ». Il poursuivait : « L’offre de formation est trop concentrée sur les salariés et laisse ainsi largement de côté les demandeurs d’emploi qui ne représentent que 13 % de la dépense totale. Est-ce raisonnable d'avoir 55 000 organismes de formation ? », s’interrogeait-il en promettant de mettre en œuvre une « certification » des formations pour éviter les « stages parking ».
Cette ritournelle de la réforme de la formation fait donc partie de la communication gouvernementale de tout président nouvellement élu (on imagine déjà le futur discours de mars 2018).
Reprenons quelques-uns des points évoqués par le président actuel pour parvenir à réformer la formation (et inverser de fait la courbe du chômage)
L’offre de formation serait trop concentrée sur les salariés et laisserait largement de côté les demandeurs d’emploi, qui ne représenteraient que 13 % de la dépense totale.
Il y a malheureusement une double erreur.
L’offre de formation (et ses financements) ne sont pas trop concentrés sur les salariés du secteur privé. Dans de nombreuses entreprises (la grande distribution, par exemple, mais aussi dans certaines usines ou dans de « grandes » sociétés de services) les services de RH ou de formation disposent de moins de 100 € par an et par personne pour la formation. La directrice d’une association nous expliquait récemment que son budget formation pour 2012 s’était élevé à 300 € pour 29 salariés. Dans telle association caritative de plus de 10 000 salariés, certains établissements « gèrent » des budgets de formation de 10 ou 15 € par an.
Certes, dans quelques entreprises (publiques la plupart du temps), dans les transports, l’énergie ou encore l’assurance, les services de formation disposent de 2 000 ou 3 000 euros par an et par personne. Toutefois, ces entreprises sont des exceptions qui cachent mal la forêt des entreprises françaises formant peu, formant mal ou ne formant pas du tout leurs salariés.
Seconde critique formulée : « une offre de formation trop orientée vers les entreprises et pas assez vers les demandeurs d’emplois de pôle emploi »
Il faut se demander pourquoi, au fil des ans, tant d’organismes de formation de qualité se sont détournés de la collaboration avec Pôle emploi. Depuis les années de crise et la transformation de l’ANPE, de nombreux prestataires de formation ont été malmenés ou mis en danger financier par le service public de l’emploi ; ils ont intégré que pour survivre dans la formation, leur intérêt était d’abandonner la formation des chômeurs aux associations et organismes publics de formation.
Si les organismes de formation publics comme l’AFPA, les Gretas, le CNED etc. sont tous déficitaires ou frôlent la liquidation ; c’est peut être aussi du fait de Pôle Emploi et de la mauvaise qualité des rapports de cette institution avec le tissu économique et éducatif.
Le problème n’est donc pas que Pôle Emploi dispose de 13 % des fonds de la formation mais bien plus de l’utilisation qu’il fait de ces sommes.
Il est de notoriété publique qu’une part non négligeable des budgets dévolus aux chômeurs n’est pas utilisée année après année, que le système d’appel au marché public est largement grippé et beaucoup trop lourd.
À Paris par exemple, des chômeurs attendent encore plus de 6 mois pour intégrer un malheureux stage d’anglais (à raison d’une heure par semaine).
Plus avant, le Président se demande « s’il est raisonnable d'avoir 55 000 organismes de formation ».
- M. le Président devrait savoir que tout formateur indépendant est tenu de s’enregistrer comme organisme de formation, de présenter un bilan pédagogique et financier et de remplir moult formulaires et déclarations tous les ans. C’est ainsi que plus de 75 % des organismes de formation sont constitués d’un seul formateur indépendant vendant ses services dans la formation. Si les pouvoirs publics veulent moins d’organismes de formation ils n’ont qu’à cesser de demander à des formateurs indépendants réalisant 10 ou 15 000 euros de CA de s’enregistrer comme organisme de formation.
- Enfin, le Président veut « mettre en œuvre une certification des formations pour éviter les stages parking ». Fort bien mais dénoncer des stages parking alors qu’ils ont jadis été imaginés et commandités par les pouvoirs publics pour traiter le chômage « socialement » n’est pas très sérieux.
Aujourd'hui, les stages sont encore parfois utilisés pour sortir les chômeurs des statistiques. En France, il suffit de quelques heures de formation par mois pour devenir stagiaire de la formation professionnelle (et être rémunéré sur ces fameux fonds de la formation).
Si les pouvoirs publics souhaitent rendre la formation moins complexe, cloisonnée et inégalitaire nous leur suggérons de réfléchir à sept mesures révolutionnaires, simples et peu coûteuses :
1. responsabiliser les employeurs en abandonnant l’obligation de cotiser pour la formation (le 0,9 % du plan de formation notamment) et en lui substituant une obligation de former chaque travailleur 3 journées au moins chaque année (20 heures de DIF) ;
2. provisionner dans la comptabilité des entreprises une somme fixe et annuelle destinée à la formation de chaque salarié (somme portée ultérieurement sur le compte personnel de formation élaboré par l’ANI du 11 janvier dernier) ;
3. responsabiliser les salariés au développement de leurs compétences en diminuant les droits au chômage de ceux qui ne se seraient pas formés régulièrement quand ils étaient en emploi ;
4. ne plus utiliser les fonds de la formation pour d’autres usages que les strictes dépenses pédagogiques ;
5. soumettre tous les organismes de formation (y compris les organismes publics) à un taux minoré de TVA de 5,5 % (ce qui éviterait aux particuliers voulant se former de payer une TVA de 19,6 % mais aussi une concurrence faussée entre organismes soumis à la TVA et ceux qui en sont exemptés) ;
6. alléger les contraintes administratives et règlementaires sur la formation (car celles-ci augmentent), les délais de traitement des dossiers et contribuent à rendre lourd, inéquitable et inefficace le système de formation professionnelle ;
7. cesser d’agiter l’épouvantail sectaire à tout bout de champ. Cette menace est très exagérée (moins de 1 500 cas suspects par an sur 55 000 organismes de formation en France, soit moins de 3 % d’atteintes sectaires) mais jette ainsi la suspicion sur l’ensemble des organismes de formation.
En fait, si la formation fonctionne mal aujourd’hui en France, c’est parce qu’elle n’a pas foncièrement évolué depuis 1971. Aujourd’hui, on apprend en réseau, on apprend par et avec les autres et tous les adultes doivent apprendre tout au long de leur vie professionnelle.
Prétendre déshabiller Pierre (les entreprises du secteur privé) pour rhabiller Paul (emploi) serait rendre un piètre service à une économie française déjà peu compétitive du fait du manque de qualifications et de formations de nombreux travailleurs modestes.
Plus qu’une énième réforme de la formation, c’est une réforme globale de l’État et de ses attributions dont le pays a besoin. Étouffer et corseter l’initiative privée sous un fatras de contrôles, de règlementations tatillonnes et de taxes innombrables pourrait empêcher nos concitoyens de jouer leur partition dans la société de la connaissance, de l’information.
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