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Violences sexistes : cette affaire qui secoue la CGT au niveau national
« Est-ce que cela pourrait être aussi grave que l'affaire Lepaon » pour la centrale de Montreuil ? C'est possible à la lecture des informations du site Médiapart. C'est que dans l’article « Violences et agissements sexistes: l’affaire que la CGT a étouffée », fruit d'une enquête de plusieurs semaines, les journalistes révèlent qu'un responsable CGT du syndicat du nettoiement de la Ville de Paris est accusé de sexisme et de violences depuis plusieurs mois par des militantes qui affirment que la confédération CGT n'a rien fait pour régler la situation. « Attouchements en manifestation, remarques sexistes, slogans équivoques et même un affrontement physique : plusieurs femmes militantes de la CGT se plaignent depuis de très longs mois d'un climat sexiste toléré au sein de la CGT Ville de Paris, et des agissements de l'un des responsables syndicaux les plus en vue de cette union syndicale », écrit Médiapart dans une enquête de huit pages (voir ici). Les agissements décrits sont d'ailleurs tellement graves que les auteurs de l'article pour parer à toute tentative de « théorie du complot » prennent bien soin de préciser qu'ils sont eux-mêmes adhérents et délégués CGT au sein de la rédaction de Médiapart.
Les faits qui remontent à 2016 ont perduré jusqu'à début 2017. Une dizaine de militantes a même créé un collectif « Femmes mixité » à la CGT-Ville de Paris, fin 2017, pour dénoncer les faits et huit d'entre elles ont écrit une lettre destinée au secrétaire général du syndicat, Philippe Martinez, dénonçant des « agressions verbales, à caractère sexuel et à caractère sexiste ». Des agissements, selon elles, « répétés et conscients » mais également un cas de violence physique. Dans ce courrier, les militantes disent regretter que les responsables mis en cause « continuent d'exercer leurs mandats de responsables syndicaux sans aucune difficulté » et espèrent que la CGT saura répondre « au vu de son travail conséquent en termes de compréhension, de prévention et de lutte contre les violences ». La lettre de ces huit femmes décrit plusieurs épisodes problématiques mettant en scène des hommes du syndicat du nettoiement s’en prenant à des femmes souvent issues de la CGT petite enfance. Ces incidents varient en gravité, allant des remarques lourdes à des altercations violentes.
Ce courrier n'a malheureusement pas reçu de réponse car il fallait étouffer cette affaire coûte que coûte. « Les responsables mis en cause » ont été désignés tête de liste dans la capitale pour les futures élections professionnelles programmées en décembre dans la fonction publique. Choix appuyé par de hauts responsables de la fédération CGT des territoriaux sans que cela ne les questionne le moins du monde.
Pourtant interrogée par Médiapart, la fédération des territoriaux finit par reconnaître les faits : « Nous n’avons pas communiqué là-dessus car il [l'un des responsables mis en cause] dit avoir présenté ses excuses », explique aujourd’hui Natacha Pommet, membre de la commission exécutive de la fédération. « Il a regretté avoir tenu ces propos, après avoir absorbé de l’alcool. Mais nous reconnaissons le contexte : un syndicat majoritairement masculin, des comportements sexistes auxquels malheureusement la CGT, comme le reste de la société, n’échappe pas ». Bref pour la fédération, les mecs étaient juste un peu bourrés, ce qui justifiait donc de ne pas donner suite à cette salle affaire.
Seulement, il n'y a pas eu que des « comportements sexistes » puisque, plus grave, des attouchements ont également eu lieu, cette fois en pleine manifestation. « Ces attouchements ont effectivement eu lieu dans le cortège parisien, dans celui du syndicat du nettoiement, c’est condamné et condamnable », reconnaît là aussi Natacha Pommet dans l'article de Médiapart. « Mais il a été impossible pour les femmes qui ont parlé d’identifier leurs agresseurs et de savoir s’ils faisaient ou non partie de ce syndicat. On sait comment se passent ces manifestations, surtout l’été, avec des distributions de boissons en tout genre, c’est très compliqué ». La chaleur, l'alcool... Mais, là aussi, on préfère étouffer cette affaire car, toujours dans Médiapart, Natacha Pommet assume : « Il y a eu une réaction de la fédération sur un certain nombre de faits malheureux, on suit cette union syndicale de très près et donc on trouve détestable que ce genre de choses puisse sortir quand même, alors que des élections professionnelles arrivent. La dernière fois, souvenez-vous, nous avions déjà eu l’affaire Lepaon, qui ne nous avait pas été très favorable... ». Bien vu, Natacha.
C'est pour briser cette omerta que le collectif Femmes mixité a été reçu, à sa demande, par des responsables confédéraux, l’échelon le plus élevé de la maison cégétiste. C’était le 9 mars 2018, plus d’un an après les faits. « Nous étions présents pour dire qu’en aucun cas la CGT ne pouvait accepter un environnement sexiste ou des violences physiques sur une femme », précise le dirigeant confédéral Boris Plazzi. « Il fallait lever toute ambiguïté car les camarades peuvent avoir le sentiment qu'on ne se préoccupe pas de ce qui leur arrive. Nous avons mis du temps car il fallait convaincre les uns et les autres de se mettre autour de la table ». Malheureusement la table est restée vide. Pour cause de fin de service ?
En fait, une seule instance a pris fait et causes pour les militantes agressées, celle de l'union départementale de Paris (UD75), qui regroupe les syndicats du publics et du privé de la capitale, laquelle a fermement pris position sur l’affaire auprès de la fédération, de la confédération et dans deux publications de la CGT, pour son plus grand malheur. « Je suis très exposé depuis », déclare Benoit Martin, secrétaire de l'UD75. « On me reproche de parler de ces questions qui seraient seulement des disputes internes. Je crois qu'une solidarité machiste perdure dans mon organisation syndicale manifestement. Mais ce n’est peut-être pas l’essentiel : il y a clairement des enjeux autour de la préservation de l’organisation. Préserver, c’est se taire, même là où il faudrait écouter, réparer, prévenir et sanctionner ». Sauf que depuis les révélations de Médiapart, le retentissement national de l'affaire avec plusieurs dépêches de l'AFP relayant ces informations, un article de L'Obs mais surtout une tribune de personnalités féministes dont des élus communistes, dans Libération pour dénoncer ce climat de violences sexistes à la CGT (lire ici), cette omerta n'est plus tenable et la position de la fédération des territoriaux commence à sérieusement s'ébrécher.
C'est que la fédération n'avait jusqu'à présent comme politique que de s'attaquer aux adversaires du syndicat du nettoiement en les mettant sous tutelle. Pire, en demandant leur expulsion de leur bureau à la Bourse du Travail de Paris (lire ici), il semble qu'aux yeux des observateurs de la maison cégétiste, cette position est devenue plus qu'intenable. D'autant que du côté du siège de la confédération à Montreuil, on commence à interroger Philipe Martinez sur cette affaire. Lequel sort pour le moment le parapluie puisque que si dans un premier temps, il a déclaré « inacceptable que des exactions de ce type se produisent dans notre organisation », il a ensuite affirmé « avoir passé le relais aux fédérations qui ont le pouvoir de sanctionner ». Un parapluie pour mieux mouiller le secrétaire général de la fédération des services publics ? Pas très fluctuat voire carrément mergitur.
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