Organisations
Valeur travail : une nouvelle venue dans la gouvernance des entreprises
Pas de création de valeur sans une meilleure reconnaissance du travail dans les entreprises. Des solutions existent pour permettre de mieux appréhender la réalité du travail en leur sein.
Sans une gouvernance efficace, une entreprise est incontestablement vouée à l’échec. Mais qu’est-ce qu’une bonne gouvernance sinon la reconnaissance, en premier lieu, du travail des collaborateurs au sein de l’entreprise qui est à la base de l’innovation et de la création de la valeur ? Or, la prise de conscience réelle de ces enjeux, bien qu’en progrès, reste toujours insuffisante.
Il est indispensable que ceux qui ont le pouvoir de décider en son sein comprennent la réalité du travail dans leur entreprise.« Au début des années 1990, deux idées fortes ont été introduites : la première était que les actionnaires devaient exercer un devoir de vigilance sur l’entreprise. En corollaire, on a donné plus de poids au contrôle externe sur l’entreprise, loin de l’idée du « secret de fabrique » qui dominait jusqu’alors. Des administrateurs externes ont été nommés et les entreprises cotées ont été obligées de donner plus d’informations aux marchés. La conjugaison de cette vigilance actionnariale et d’une plus grande transparence vis-à-vis de l’extérieur a permis l’émergence d’une forme de gouvernance actionnariale » rappelle Pierre-Yves Gomez, directeur de l’Institut français de gouvernement des entreprises (IFGE) et professeur à l’EM Lyon Business School.
Depuis 2015, en France, toutes les entreprises au-delà d’un certain seuil de salariés doivent, par exemple, avoir un administrateur salarié à leur conseil d’administration. « Pour que les instances de gouvernance d’une entreprise prennent les décisions adéquates, il est indispensable que ceux qui ont le pouvoir de décider en son sein comprennent la réalité du travail dans leur entreprise. Si Enron a fait faillite, c’est principalement parce qu’aucun des supposés administrateurs ne comprenait le métier d’Enron. A contrario, les entreprises qui réussissent comme Apple, Facebook ou Amazon sont gouvernées par des gens qui connaissent parfaitement le contenu du travail opéré par leurs collaborateurs » ajoute Pierre-Yves Gomez.
La reconnaissance de la valeur travail passe d’abord par un dialogue social fructueux entre la direction et les salariés. « Chez BioMérieux, nous accordons une place toute particulière au dialogue social. Cela se traduit notamment par des directives fortes dans de nombreux domaines : augmentations de salaire, organisation du travail, parité hommes/femmes… », explique Michel Baguenault, secrétaire général de BioMérieux.
Mieux prendre en compte la valeur travail au sein des instances dirigeantes passe également par une connaissance plus fine des causes de l’absentéisme dans une entreprise (désengagement des salariés ? Maladies professionnelles ?), permettant ainsi d’apporter des réponses plus appropriées aux problèmes recensés. « Le mouvement de digitalisation conduit à repenser en profondeur l’organisation et les méthodes de travail dans un mode plus collaboratif et moins hiérarchisé mais il implique aussi de véritables ruptures sociales. L’évolution du climat social est à cet égard un indicateur pertinent », estime Bénédicte Bazi, analyste ESG chez OFI Asset Management.
Pour la plupart des entreprises, ces bouleversements créent des opportunités mais peuvent, en effet, induire une montée du stress chez les salariés pas suffisamment préparés et formés pour affronter ces changements. « La révolution numérique permet incontestablement d’améliorer la maîtrise de nos données et de renforcer notre expertise. Mais elle nous impose de disposer des bons outils et des équipes qui maîtrisent ces nouvelles technologies », reconnaît Michel Baguenault.
À l’heure où le travail se réinvente, ceux qui ont en charge la gestion de l’entreprise doivent par conséquent rester au plus près des préoccupations de leurs salariés. La compétitivité de leur entreprise, autant que le bien-être des collaborateurs, sont en jeu. « Après la séquence « transparence » (contrôle depuis l’extérieur) et l’irruption de la séquence « normes » (introduction des critères ESG), nous entrons dans la séquence « travail réel » où l’on demandera aux acteurs de la gouvernance d’en savoir plus sur la réalité du travail dans l’entreprise », conclut Pierre-Yves Gomez.
Le travail, un enjeu de gouvernance capital chez OFI AM
La gouvernance est une dimension clef de l’analyse ESG chez OFI AM. L’effort de recherche et d’amélioration des connaissances sur le gouvernement des entreprises en faveur d’une finance toujours plus responsable a conduit les équipes d’OFI AM à se rapprocher de l’Institut français de gouvernement des entreprises dirigé par Pierre-Yves Gomez. L’IFGE a été fondé en 2003 dans le cadre de l’EM Lyon et a construit une base de données de 750 entreprises sur une période de 25 ans. Il est en lien avec les pouvoirs publics et les syndicats patronaux et de salariés pour décrypter l’évolution des formes de gouvernance.
Le partenariat avec OFI AM s’étale sur quatre ans. Le programme de recherche, articulé autour de la prise en compte du travail au niveau de la gouvernance des entreprises, porte sur le lien entre performances durables et valeur travail. L’aboutissement de ces travaux sera la construction d’un modèle d’évaluation de la gouvernance intégrant cet élément de travail. « L’attention portée à la gouvernance est aujourd’hui moins forte et moins médiatisée que celle portée à la question du climat. Pourtant, le risque que fait porter une gouvernance défaillante est loin d’être théorique. Il touche toutes les gestions et notamment obligataires quand il se manifeste par la défaillance subite de l’émetteur », explique Bénédicte Bazi.