Organisations
Santé au travail : comment décloisonner les données publiques ?
Pour aider leurs assurés à mieux prévenir l’absentéisme, les assureurs aimeraient avoir
accès à une partie des données de la Sécurité sociale. Comme par exemple les motifs
des absences, qui seraient rendus anonymes. L’occasion de mieux saisir la réalité mais
le risque de ré-indentification des données constitue l’un des freins au développement de
cette ouverture, sans parler des conditions d’exploitation globale de telles données.
Jusqu’où aller dans la diffusion des données sociales ? Lesquelles ? Par qui ? Pour en faire quoi ? Retour sur le colloque du 15 décembre 2015, organisé en partenariat avec Malakoff Médéric, Tandem Expertise et Technologia au cours duquel 18 experts ont illustré les interactions croissantes entre les différents producteurs de données sociales. Si la tendance est à l’ouverture, le traitement de ces données reste encore très compartimenté.Piloter le capital immatériel
Avec la création récente du Système national des données de santé (SNDS), cette sorte de super base de données, le chantier des données du secteur est en pleine effervescence. Ces données de santé illustrent à quel point les données des institutions publiques architecturées en silos atteignent leur limite pour expliquer la complexité des enjeux socio-économiques. L’ouverture est annoncée mais avec des conditions très restrictives.
« Les bases du SNIRAM et des hôpitaux publics (dont on connaît peu l’utilisation réelle)
peuvent davantage être exploitées, par exemple pour mieux comprendre la structure de
tarification des médecins sur un territoire donné et ainsi analyser la question de l’accès aux
soins, ou encore identifier des caractéristiques spécifiques de consommations de soins
associées à des facteurs de risques pour ensuite mener des actions de prévention »,
observe tout d’abord Mathieu Cousineau, responsable du pôle métier de l’assurance
à la fédération nationale de la mutualité française. Ces assureurs ne comptent pas trop sur les données de l’assurance-maladie pour développer des services plus en phase avec les besoins des assurés. Dans le dentaire et l’optique notamment, ils ont la maîtrise quasi totale des données au regard de leur niveau de remboursement par rapport à l’assurance-maladie.
« Nous devons être capables de fournir un service pour accompagner nos assurés dans le parcours de soin. Concrètement, cela sous-entend à la façon du métier d’assistant à les mettre en relation avec les bons professionnels de santé au bon moment. Nous ne pourrons pas le faire seuls. Ce sont des services qui vont résulter d’une co-construction. Bien connaître la santé, c’est aussi mieux identifier les besoins sociaux », ajoute le représentant mutualiste alors que la complémentaire de santé est généralisée à toutes les entreprises. Une légitimité des acteurs à pousser des analyses sur les liens entre santé et emploi.
Les lignes bougent pour mieux comprendre au niveau global et se donner les moyens de restituer l’information la plus fine au niveau local. C’est le sens du projet porté par l’ANACT d’un diagnostic territorial sur l’emploi, les conditions de travail ou encore la santé. Un groupement d’intérêt scientifique devrait se mettre en place. La dynamique est en route alors que le plan de santé de travail 2016-2020 du ministère du Travail identifie bien l’hétérogénéité des données comme un frein aux démarches de prévention.
« Comment passer d’un plan de santé au travail national (PST) à un plan régional et descendre à la maille du canton, voire de la commune ? L’enjeu est de taille puisqu’il s’agit ensuite de doter les régions concernées de ressources adaptées. Les données existent mais l’accès se fait avec difficulté du fait des cloisonnements institutionnels. Si la culture de la statistique publique existe en France, il reste encore à bâtir les nouveaux cadres d’une véritable politique d’open data », explique Vincent Mandinaud qui pilote ce projet de diagnostic territorial partagé à l’ANACT.
La donnée locale est celle qui permet le plus de nourrir la discussion. C’est celle qui dérange le plus ceux qui ne tiennent pas à argumenter sur le fond.
L’observatoire des suicides s’est mis en place en 2013 après 2 ans d’une campagne de mobilisation que le cabinet Technologia a contribué à porter. « Il y a en France 240 000
tentatives de suicide par an et 12 000 morts par suicide. Notre volonté était fondée sur la
grande pauvreté statistique sur le sujet. Quelques données existaient mais étaient coupées
de la réalité, le suicide étant multi-factoriel. Dans le cadre de l’observatoire, les liens avec
l’emploi et le surendettement vont être mieux compris », avance Jean-Claude Delgenes, président de Technologia, qui monte aussi en première ligne sur la reconnaissance de l’épuisement professionnel avec une étude réalisée en 2013 qui a contribué a nourrir
le débat pour la reconnaissance du syndrome au tableau des maladies professionnelles.
« En quoi est-ce un biais de qualifier l’épuisement professionnel de dépression et d’imputer
son coût au régime général de l’assurance-maladie ? En quoi, ne se donne-t-on pas les moyens de prévenir en laissant pourrir des situations à coup d’antidépresseurs et autres conduites addictives ? », demande Jean-Claude Delgenes.
On est loin du consensus académique pour se donner les moyens de ventiler les causes multifactorielles d’un suicide ou d’un épuisement professionnel. Un manque d’unité qui se retrouve chez les partenaires sociaux et ne manque pas de surprendre William Dab,directeur du laboratoire de recherche « modélisation, épidémiologie et surveillance des risques sanitaires (MESURS) » du CNAM et directeur de la chaire entreprise et santé, créée en partenariat avec Malakoff Méderic.
« La politique du tout ou rien en matière de données de santé constitue une vraie difficulté en France. Les organisations syndicales ne veulent pas prendre le risque de voir diluer la responsabilité de l’employeur : par exemple, 30 % de telle maladie chez tel salarié est dû à telle exposition à un produit toxique et pas 100 %. Pourquoi ? », demande l’épidémiologiste qui reconnaît que « quand les pratiques sociales divorcent à ce point de certaines réalités scientifiques, le moindre accord est évidemment difficile à trouver ». Résultat des courses, l’institut national de veille sanitaire (INVS) recense 25 000 cas de cancers professionnels par an alors qu’il n’y a en réalité que 5 000 déclarations. Et William Dab de conclure, « il ne s’agit plus d’être pour ou contre mais plutôt de se demander comment on va acquérir une capacité à agréger des données de la santé au travail pour mieux éclairer la réalité ».
Salariés, entreprises, institutions publiques : 3 porteurs de données sociales
- Fait nouveau, les salariés portent de plus en plus eux-mêmes leurs données sociales en les partageant sur des réseaux sociaux plus ou moins professionnels. Ce sont eux qui illustrent leur parcours professionnel en mentionnant activités, employeurs, salaire, formation, conditions de travail, santé…
- L’entreprise est la seconde productrice de données sociales sur ses salariés. C’est une production à deux voix puisque les données sont à la fois portées par les représentants des salariés et par les directions.
- Les institutions publiques devraient être les grands agrégateurs des données sociales. Agencées/organisées en silos, elles atteignent leurs limites pour expliquer la complexité des enjeux socio-économiques. Le besoin de diagnostic territorial sur l’emploi, les conditions de travail ou encore la santé est bien réel.
- Santé au travail parrainé par Groupe Technologia