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27 / 01 / 2010
Mireille Chevalier / Membre
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Réforme des services de santé au travail : un projet contreproductif

Le Ministre du Travail, M. Xavier Darcos, a présenté vendredi 4 décembre devant le Conseil d’Orientation sur les Conditions de Travail (COCT) son projet de réforme des services de santé au travail. Ce projet, sous des apparences progressistes, a pour seul objet de gérer la pénurie de médecins du travail et surtout de placer les professionnels de la santé au travail sous la tutelle des directions d’entreprise.

Ceux-ci ont, au cours des dernières années, massivement témoigné des effets délétères des nouvelles organisations du travail et on comprend que, dans ce contexte, le Ministère du Travail souhaite réduire leur indépendance.

Temps clinique indispensable

La manœuvre est subtile mais nous ne sommes pas dupes ! À l'exception de la question des cancers professionnels, toutes les études épidémiologiques montrent qu'actuellement, la plupart des atteintes à la santé au travail se manifestent sous des formes anxio-dépressives ou ostéo-articulaires. La prééminence de ces maladies du travail s'explique par l'association de pénibilités physiques toujours présentes et de contraintes organisationnelles à l'origine d'effets délétères pour la santé physique et psychique des salariés. 

  • Ces nouvelles pathologies ont inversé le schéma classique de la prévention médicale en milieu de travail. Celle-ci ne peut plus se réduire aux actions collectives traditionnelles fondées sur des savoirs théoriques surplombants (formation, éducation sanitaire…), elle nécessite un temps clinique au cabinet médical. 

En effet, dans un environnement de financiarisation du monde du travail, les capacités d'expression publique des salariés ont été fortement réduites. Bien souvent, les contradictions, les impasses, les conflits dans lesquels les salariés engagent leur santé ne peuvent plus s'exprimer sur le lieu de travail (cf. Le Monde du 19/12/09 : « Quels remèdes contre la violence au travail ? »).

Le service médical est devenu l'ultime lieu où il est encore possible de manifester sa souffrance, de dire sa « difficulté à tenir » ou à ne « plus y arriver », de confier combien on a le sentiment d'être malmené, voire maltraité. L'équipe médicale peut alors aider les intéressés à en démêler les enjeux, à en mesurer les répercussions sur leur santé et à mieux appréhender les possibilités qui leur sont ouvertes. Portée de façon exigeante, cette élaboration peut déboucher, hors du cabinet, sur une expression publique qui respecte les fragilités des acteurs concernés et contribue à la construction de compromis moins coûteux.

Si elles ne sont pas articulées à des modalités de prise en charge au cabinet médical, les actions de prévention collectives peuvent passer à côté d’une grande partie de ces problèmes. Or, c'est au moment ou il conviendrait de développer cette prise en charge clinique, que le Ministre du Travail propose « … de passer plus encore d’un exercice individuel de la médecine du travail à une pratique collective de la prévention sanitaire en milieu de travail… ». Ce changement inopportun et à contretemps sera aussi aggravé par un accroissement substantiel du nombre de salariés suivis par chaque médecin du travail.

Abattage

Certes, des infirmiers en santé au travail viendront renforcer les équipes médicales mais le Ministre du Travail semble oublier que les métiers de médecin et d’infirmier sont complémentaires ; pas équivalents, ni interchangeables. Nous défendons l’idée d’équipes médicalisées composées de médecins, d’infirmiers et d’assistants médicaux, parce que les nouvelles formes cliniques des pathologies du travail nécessitent une attention particulière aux besoins des salariés. Dans cette perspective, l’arrivée des infirmiers de santé au travail permettrait d’améliorer et d’enrichir sensiblement la prévention qui, comme nous l'avons vu, prend souvent la forme d’un soin précoce.

Mais le projet de M. Xavier Darcos est tout autre. Il s’agit uniquement d’économiser du temps médical en déléguant certaines taches aux infirmiers. À la veille de la précédente réforme (2004) on considérait qu'un effectif de 2 500 salariés pour chaque médecin du travail était excessif. Aujourd'hui, c'est bien souvent plus de 3 000 salariés qui sont suivis par un médecin du travail et, à court terme, les équipes médicales se verront attribuer des effectifs pléthoriques de salariés (vraisemblablement plus de 5 000 salariés par médecin).

  • Dans ces conditions, médecins et infirmiers de santé au travail n'auront plus le temps matériel d'aider, dans le secret du cabinet médical, les salariés qui pâtissent de leur travail.

Ils devront continuer de travailler à l’abattage (batteries d’examens, questionnaires…) et seront contraints de renoncer à aider individuellement les salariés qui souffrent de leur travail (de l'ordre de 20 à 30 % si l'on prend les enquêtes sur le stress). Que deviendront ces malades du travail ? De plus, en l'absence d'une possibilité d'aide individuelle au cabinet médical la prévention collective risque de perdre son efficacité. La pratique d'une clinique médicale (évidemment individualisée) du travail est indispensable au déploiement pertinent des actions de prévention collective.

Auxiliaires des directions d'entreprise

Nul doute, qu’avec une telle inadéquation entre besoins et moyens, les équipes médicales auront quelques difficultés à exercer leur mission. Mais le machiavélisme de ce projet ne s’arrête pas là. Dépossédés de leur activité spécifique au cabinet médical, donc du cœur de leur métier, les médecins du travail se verront confier « la coordination des actions en santé au travail en direction des entreprises et de leurs salariés » en animant une équipe comprenant « les infirmiers, les IPRP, les assistants des services de santé au travail ». Les médecins du travail seront ainsi transformés en managers d’équipes dont une partie des membres auront des fonctions qui ne relèveront pas directement de l'activité médicale (ergonome, psychologue, hygiéniste…).

Privés de ce qui fonde leur spécificité de médecins, ils pourront difficilement défendre leur indépendance face à un directeur de service qui désormais veillera « à la mise en œuvre des objectifs opérationnels du service de santé au travail et à leur exécution ». Soulignons que, toujours selon le projet présenté par M. Xavier Darcos, « le président du service de santé au travail représente le service et met en œuvre les actions définies par le conseil » et que le conseil d’administration est composé de deux tiers de représentants du patronat et d’un tiers de représentants des organisations syndicales. Les professionnels de santé seront alors réduits au rôle de simples exécutants de décisions qui leurs seront imposées dans un objectif de gestion des risques, plutôt que d'une véritable prévention. À terme, les professionnels de la santé au travail seront transformés en auxiliaires des directions d'entreprise, avec toutes les conséquences que cela suppose. Aurait-on idée de confier la prévention des cancers liés au tabagisme aux fabricants de cigarettes ? L'application stricte de ce projet de réforme équivaut à une liquidation des services de santé au travail. M. Xavier Darcos et ceux qui le suivront ne peuvent l'ignorer.

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