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06 / 07 / 2020 | 2558 vues
Jean-Claude Delgenes / Abonné
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Retour au travail à la suite d’un épuisement professionnel ou l’éloge de la fuite

« Tard dans la vie » 

Pierre Reverdy peint par Amedeo Modigliani (1915)
Pierre Reverdy peint par Amedeo Modigliani (1915)


Je suis dur.
Je suis tendre.
Et j’ai perdu mon temps.
A rêver sans dormir.
A dormir en marchant.
Partout où j’ai passé.
J’ai trouvé mon absence.
Je ne suis nulle part.
Excepté le néant.
Mais je porte caché au plus haut des entrailles.
À la place où la foudre a frappé trop souvent.
Un cœur où chaque mot a laissé son entaille.
Et d’où ma vie s’égoutte au moindre mouvement 

Pierre Reverdy

 

 

Bien souvent la poésie est plus à même d’illustrer les troubles qui envahissent les êtres humains que de pauvres mots galvaudés qui ricochent sur la réalité du syndrome de leur épuisement professionnel. Le Burn out, en langage commun, a connu une forte croissance lors de la période du confinement. Les cadres en particulier sont entrés dans la crise alors qu’ils étaient déjà pour beaucoup exténués. Ils ont multiplié les efforts pour répondre aux contraintes posées par l’urgence, en revoyant en particulier les modalités de production. Ensuite ils se sont mobilisés jour après jour pour assurer la continuité de l’activité souvent en télétravail à des heures tardives. Après plusieurs semaines de ce régime, des milliers sont exposés à un risque élevé de burn out.


L’étude que nous avons menée en avril 2020 a montré que les élus du personnel que l’on peut considérer comme des cadres dans leur fonction de représentation en relation étroite avec leurs directions, ont été eux aussi très malmenés dans cette période puisqu’environ 1/3 d’entre eux se déclaraient en surmenage au même niveau que les DRH.


L’épuisement professionnel peut se comparer à un bâtiment qui a brulé et dont la façade renvoie cependant une réalité moins critique. Cet état d’épuisement physique, émotionnel et mental lié à la dégradation du rapport au travail doit être appréhendé dans toute sa complexité pour organiser au mieux un retour éventuel au travail de la personne. Celle-ci peut présenter une allure satisfaisante alors qu’elle se trouve profondément atteinte. Une attention singulière doit donc lui être portée lors de son retour au travail.

Le retour au travail après un syndrome d’épuisement professionnel s’avère critique

Dans le livre « Idées reçues sur le Burn Out » publié aux éditions du Cavalier Bleu, il y a quelques mois et co-écrit avec les médecins du travail Agnès Martineau et Bernard Morat, nous avions mis en évidence le processus en 4 étapes qui peut conduire la victime à l’effondrement.


La personne dans un premier temps s’engage souvent avec passion dans son travail. L’épuisement c’est une réalité ne frappe pas les planqués. Il touche les forçats du travail qui s’enferment dans leur prison. Travailler beaucoup pour répondre à des exigences parfois disproportionnées apporte une satisfaction narcissique « Regardez je fais le job de 2 personnes et je réussis ! ». Au sein des univers traversés par les tensions et/ou avec une forte incertitude sur l’avenir, l’acharnement dans le travail répond aussi à un besoin de protection individuelle. La personne fortement investie trouve reconnaissance et satisfaction dans une activité compulsive qui lui procure sens et identité professionnelle. Cet engagement tend en outre à la protéger dans une certaine mesure des éventuels plans de réduction des effectifs. Dans un pays comme la France marqué depuis quarante ans par un chômage de masse et de longue durée, cette démarche sacrificielle se retrouve couramment.  


Après plusieurs mois la personne commence dans une seconde phase du processus, à sacrifier à son travail toutes ses autres activités : familiales, sociales, associatives, sportives etc. Cet abandon à la « toute puissance du travail » se trouve accentué à la troisième phase. Avec abnégation la personne fatiguée chroniquement, ayant perdu pied, peu à peu, commence à commettre des erreurs. Ses relations se tendent avec sa hiérarchie, avec ses collègues. De fait elle travaille trop. Lorsqu’on travaille trop, on travaille mal. On perd en lucidité et en créativité. On se coupe des autres. On ne se ressource pas à l’intelligence collective. Souvent le cynisme survient à ce stade ainsi que l’agressivité et la maltraitance. La pire des victimes n’est-elle pas celle qui fait d’autres victimes ? La perte de sens et de reconnaissance sanctionne les problèmes liés à la mauvaise qualité des prestations. La personne qui cherche à reconquérir « ce graal de la reconnaissance » s’impose parfois de travailler encore plus et verse pour finir en phase 4 du processus à l’effondrement. Ce dernier peut prendre plusieurs formes en fonction du stress chronique subi par l’organisme et de la résistance de chacun : dépression, accident cardio vasculaire, passage à l’acte suicidaire etc.

Après un épuisement la reprise d’activité doit être soigneusement préparée


Le salarié avant son retour à l’emploi peut souffrir encore de séquelles. Il convient donc de réaliser une visite de pré reprise à la fin de l’arrêt du travail. Si séquelles, il y a, la pré reprise permet l’évaluation des capacités au poste travail. Rencontrer la personne avant sa reprise demeure essentiel pour le médecin du travail qui établit un état des lieux de l’état de santé en fonction du poste. Ensuite il rédige ses conclusions sur une fiche d’aptitude pour favoriser l’aménagement du poste de travail ou la modification des relations de gouvernance. Cependant il peut déclarer en inaptitude le salarié concerné afin de ne pas exposer sa santé.  Le médecin quelque part à une fonction de « restauration » de la santé et donc de l’aptitude. En la matière la prudence s’impose. Parfois elle conduira à éviter la reprise du poste.

 
En fonction de cette restauration il peut y avoir une reconnaissance au titre des travailleurs handicapés à la maison du handicap. Par ce processus la victime peut demander des aménagements de poste. Ces aménagements peuvent être coûteux pour l’employeur. 


Le retour au travail doit se mener en mode progressif, tiers temps thérapeutique, mi-temps…  avec le soutien des collègues et le suivi de la médecine du travail. En général on doit tenter de trouver une autre affectation que la précédente pour éviter de raviver les blessures et tensions antérieures en particulier avec le management. Dans tous les cas la reprise doit donner lieu à une supervision bienveillante, à un accompagnement précis, quotidien et concret afin de ne pas exposer à nouveau la santé de la personne en la soumettant à des contraintes démesurées. Cette approche bienveillante et attentive favorise la prise de confiance.


Mais dans les faits après un burn out le salarié souvent vomit son entreprise, ou son service public. A tel point qu’il paraît souvent très délicat au médecin du travail lors de la visite de reprise de le laisser regagner son travail. Le médecin du travail peut d’ailleurs en évoquant le danger dès la première visite déclarer inapte à tous postes, le salarié concerné.
En cas d’inaptitude l’employeur sera alors tenu à une obligation de reclassement cette obligation s’applique toujours, que l’inaptitude soit temporaire ou définitive, professionnelle ou d’origine non professionnelle. 


Cette obligation de reclassement peut déboucher sur une impossibilité de reclassement. L’employeur peut alors être amené à licencier le salarié dans le mois qui suit la constatation de l’inaptitude par le médecin du travail. Précisons que si l’employeur dans ce délai n’a ni licencié ni reclassé le salarié, il devra poursuivre le versement du salaire. Avant de procéder ainsi il y a nécessité de réaliser au moins deux visites auprès du médecin du travail ou une seule en cas de danger.


Il y a une importance pour la victime à bien anticiper en prévention lors de l’arrêt maladie. Mettre en relation le médecin traitant et le médecin du travail pour bien préparer la première visite est essentiel. Si par exemple l’inaptitude n’est pas totale mais avec des réserves, le licenciement sera plus difficile à mettre en œuvre. Si l’inaptitude est plus ou moins partielle, il faudra anticiper et au besoin se faire assister par les médecins des associations d’aides aux victimes pour bien situer les restrictions possibles à son inaptitude afin d’éviter le licenciement.


En ce qui concerne le reclassement, il doit faire l’objet d’une véritable démarche de la part de l’employeur. Une consultation des délégués du personnel au sein du CSE doit être menée.  Cette consultation ne doit pas être conduite à la hussarde. Une véritable description des postes est indispensable. Si l’employeur ne respecte pas les modalités de reclassement ce dernier sera d’ailleurs jugé par les tribunaux comme n’ayant pas été recherché. Le reclassement doit être fonction de la santé de la victime. Il peut se réduire à une période donnée. 


La santé est le bien le plus précieux que possède un être humain. La santé lui permet d’apprécier le reste de ses richesses… Aussi parfois vaut il mieux battre en retrait pour ne pas s’exposer à une récidive car la rechute en burn out après une reprise s’avère très couteuse sur le plan de la santé. La durée moyenne d’un arrêt maladie pour un syndrome d’épuisement professionnel s’étire sur 9 mois.



Henri Laborit, chercheur et philosophe français qui a reçu par deux fois le prix prestigieux Albert Lasker antichambre du prix Nobel, en tant que médecin neurobiologiste, a distingué dans ses travaux, toujours d’actualité, 4 comportements principaux chez les êtres humains.  


Le premier type de comportement correspond à celui de la « consommation » qui permet à l’être humain d’assouvir tous ses besoins fondamentaux : manger, boire, se reproduire. Le second comportement consiste en la « gratification ». L’humain qui vit l’expérience d’une action qui aboutit au plaisir cherche ainsi à la renouveler.  Dans les rapports de dominance entre les humains, le troisième comportement quant à lui répond à « la punition » que chacun peut avoir à affronter. Pour faire face à celle-ci, l’humain peut mobiliser son énergie par la lutte afin de détruire le sujet de l’agression. Lutter maintient alors le système nerveux de l’individu qui agit. Le pouvoir d’agir est salvateur. En société les lois sociales empêchent ou restreignent l’expression de cette violence. L’humain peut opter aussi pour la fuite afin de se soustraire à l’agression. Éviter par la fuite la punition, permet la encore par l’action, la préservation de l’équilibre biologique. 


En effet le dernier comportement décrit par le philosophe est celui de « l’inhibition » qui contrarie fortement les équilibres psychiques et la santé de la personne. L’humain ne bouge plus et attend en tension. L’inhibition débouche sur l’angoisse c’est à dire sur l’impossibilité de dominer une situation. Quand l’homme est en inhibition d’action, le danger le menace. L’inhibition engendre de l’agressivité et annonce des maladies cardiaques et des troubles psychologiques. Quand l’humain trop contraint ne peut pas exprimer son agressivité vis à vis des autres, il peut par ailleurs retourner celle-ci vers lui, dans un passage à l’acte suicidaire.


La lutte n’est pas toujours aisée. Si l’humain qui lutte sera en bon état en revanche s’il s’inhibe, il s’étiole et développe des maladies. De fait la fuite dans les situations avérées de Burn out reste une option bénéfique pour la santé de la victime quand les « punitions » sont trop nombreuses et que le rapport de force ne permet pas de les affronter. La fuite n’est pas l’éloge de la soumission, c’est bien au contraire l’affirmation d’une profonde humanité qui refuse de se laisser altérer dans son équilibre profond et qui situe sa hiérarchie de valeurs avec sagesse. La fuite ne signifie pas renoncement. Elle conduit à imaginer sous d’autres formes, d’autres actions en réponse aux « punitions » en préservant l’essentiel de son capital santé. 


« Un lézard qui a perdu sa queue ! Ne la verra repousser que s’il garde sa tête ! »
Poème africain 
 

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