Médiateur de l'assurance : un rôle de tiers de confiance dans une « société de défiance »
Le système de médiation reste encore assez méconnu. Entretien sur son rôle et son action avec Arnaud Chneiweiss, nommé médiateur de l'assurance l'an dernier.
La Médiation de l’assurance a récemment été dans l’actualité puisque le Ministre des Finances, Bruno Le Maire, vous a cité le 7 décembre dernier, déclarant qu’elle fonctionne bien pour apaiser les litiges entre les particuliers et les assureurs et qu’elle doit désormais être étendue aux assurances professionnelles. Pouvez-vous nous décrire l’ampleur de vos pouvoirs ?
C’est très simple : je n’en ai pas ! Notre influence repose sur notre capacité à convaincre les parties (assuré et assureur), ce qui veut dire être crédible. Un assureur, courtier, agent général, gestionnaire de patrimoine (toutes ces catégories forment les plus de 3 400 adhérents de la Médiation de l’assurance) peut ponctuellement refuser d’entrer en médiation et, à l’issue du processus, il peut encore refuser de suivre ma proposition de solution.
Pourtant, les professionnels suivent nos propositions de solution dans 99,9 % des cas, alors que dans presqu’un tiers des dossiers nous donnons raison à l'assuré, en tout ou partie. Cela témoigne d’une certaine crédibilité de nos positions qui font parfois jurisprudence lorsqu'un vide législatif existe [1].
Cette crédibilité repose sur deux composantes : notre indépendance et notre compétence. Si nous ne sommes pas perçus comme indépendants, les assurés n’ont pas de raison de se tourner vers nous. Si nous ne sommes pas reconnus comme compétents, les assureurs n’ont pas de raison de suivre nos positions. C’est cette crédibilité qui fait notre utilité, particulièrement dans le contexte français actuel.
Pour un assuré, pourquoi se tourner vers la médiation quand son conflit persiste avec son assureur ?
Les avantages d’un système de médiation sont la souplesse, la rapidité par rapport à une action en justice et la gratuité pour l’assuré. C’est pourquoi la directive européenne du 21 mai 2013 relative au règlement extra-judiciaire des litiges de consommation l’a imposé à toute l’Union européenne dans les relations entre les consommateurs et les professionnels, tous secteurs confondus.
Quand je suis arrivé en mars dernier, la compétence était tangible mais les délais de réponse aux assurés trop longs. J’ai fait de ce thème une priorité de mon action.
Je constate que nous jouons un rôle de tiers de confiance, dans notre contexte marqué par une « société de défiance »[2], de plus en plus fragmentée [3]. Nous le voyons bien à la Médiation de l’assurance, où nous constatons la défiance envers l’expert envoyé par l’assureur (est-il bien indépendant dans son analyse des dommages à prendre en compte ?) et envers l’assureur (son interprétation du contrat est-elle objective ?) ou le courtier (m’a-t-il bien conseillé ?).
Si bien que nous recevons parfois des remerciements de la part d’assurés auxquels nous avons donné tort sur le fond mais qui sont heureux qu’un tiers de confiance ait vérifié que le contrat d’assurance soit correctement appliqué.
Comment expliquez-vous cette défiance envers le secteur de l’assurance, que nous avons bien vu à l’occasion de la crise sanitaire ?
Les entreprises d’assurance ont beaucoup d’atouts pour paraître comme des repères de confiance : par leur solidité financière, elles sont un point de stabilité dans un monde troublé, revendiquant une capacité à faire face à des engagements pris sur le long terme (retraite, dépendance) ; ce sont des acteurs de proximité, par leurs réseaux de distribution et leurs assistants portant secours dans des cas urgents. Elles font la promesse d’être présentes en cas de coup dur.
Pourtant, nous voyons bien la défiance dans les cas qui arrivent jusqu’à nous, en gardant à l’esprit que nous ne voyons que « les trains qui déraillent ». Les professionnels devraient donc s’interroger sur ce qui mène parfois à cette défiance dont ils font l’objet dans les saisines qui nous sont soumises, attitude qui naît souvent d’une insuffisance de communication, d’explication, tant au moment de la souscription du contrat où il faut être très clair sur ce qui sera couvert et ce qui ne le sera pas, que lors de l’examen du sinistre et parfois d'empathie, tout simplement.
Vous donnez raison à l'assuré dans presque un tiers des cas. Sur quels critères ?
Quels que soient les griefs de l’assuré qui nous saisit, nous appliquons une grille d’analyse, que l’assuré ait lui-même soulevé la question ou non.
Parlons d’abord de la pratique de l’équité. Pouvoir aller au-delà de la lecture littérale et stricte du contrat est ma chance, en tant que médiateur, quand nous estimons, avec l’équipe LMA, que cela est nécessaire pour « rétablir le juste ». Je prends position en équité dans un peu plus de 3 % des cas, quand l’assureur a très strictement (voire de façon très procédurière) appliqué le contrat et que cette application trop stricte occulte la nature du contrat, sa philosophie et ce pourquoi il a été conclu entre les deux parties.
Ensuite, il y a l’examen des clauses d’exclusion, qui est un peu le pain quotidien de la Médiation de l’assurance. Le Code des assurances nous dit que, pour être valables, les exclusions doivent être formelles, limitées et mentionnées en caractères très apparents. Souvent, il n’y a pas de problème avec le caractère « très apparent » (impression en caractères gras se différenciant du reste du texte, par exemple). En revanche, les clauses d’exclusion sont parfois trop imprécises donc non « formelles et limitées ».
Disons un mot des clauses abusives. À la médiation, nous sommes au croisement du droit de la consommation et du droit des assurances. Nous voyons quelques dizaines de clauses abusives par an, c'est-à-dire un « déséquilibre significatif » dans la relation.
Nous vérifions l’opposabilité des documents contractuels. Souvent, l’assuré nous déclare qu’il découvre les clauses que l’assureur lui objecte. La première question est de savoir si les conditions particulières du contrat ont été signées. En cas de renvoi vers les conditions générales du contrat, nous vérifions s’il est précis (avec une référence exacte) ou non ?
Il faut également vérifier si le devoir d’information et de conseil a bien été mis en œuvre.
Je mentionne encore la notion de fausse déclaration. Quand l’assureur estime que l’assuré a fait une fausse déclaration du risque à la souscription, encore faut-il prouver que des questions précises ont été posées, ayant nécessité une implication de l’assuré pour y répondre, et regarder si, dans ce contexte, la fausse déclaration était intentionnelle ou non. D’autres sujets pourraient être abordés : conditions de la résiliation du contrat, information sur la hausse des cotisations, déchéance de garantie, prescription…
Pour conclure, pouvez-vous nous donner quelques chiffres sur votre volume d’activité ?
En 2020, nous avons traité 17 300 saisines, en hausse de 17 % sur un an. Ainsi, la Médiation de l’assurance est la plus importante médiation de la consommation en France par le volume traité. Dans 31 % des cas, nous avons donné raison à l'assuré, en tout ou partie.
[1] Par exemple, « le rachat d’un contrat Madelin est possible en cas d’expiration des droits au chômage », étude de cas de LMA publiée le 4 août 2020.
[2] Voir La société de défiance, comment le modèle social français s’autodétruit, Yann Algan et Pierre Cahuc, Éditions Rue d’Ulm, 2016, et La fabrique de la défiance, Yann Algan, Pierre Cahuc et André Zylberberg, Le livre de Poche, 2013.
[3] L’archipel français, Jérôme Fourquet, Points, 2020.