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Les inégalités d’accès aux services publics en France et l’impact sur le vote
Comment les citoyens perçoivent-ils la notion d’égalité d’accès, principe fondamental des services publics français ?
Le Sens du service public a réalisé avec OpinionWay une enquête pour comprendre et analyser le rapport des citoyens avec les services publics, l’importance qu’ils y attachent et les attentes à leur égard.
Émilie Agnoux, Laure de la Bretèche, Noam Leandri et Johan Theuret décryptent dans cette note les grands enseignements de ce sondage.
Les résultats complets de l’enquête
Le Sens du service public a souhaité, dans la continuité de ses nombreux travaux sur l’accès aux services publics1, percevoir ce que recouvre concrètement pour les Français la notion d’égalité d’accès. Ce principe fondamental des services publics français est à la fois la caractéristique majeure de leur fonctionnement et l’aspiration professionnelle de celles et ceux qui les font fonctionner. Mais depuis des années voire des décennies, on ne cesse malheureusement de percevoir des remises en cause de cette universalité d’accès.
Convaincu qu’une société républicaine a besoin de services publics en bonne santé, le Sens du service public a souhaité connaître le ressenti et la perception des Français, au travers de deux grandes préoccupations : d’une part les lieux d’habitation et, d’autre part, les comportements électoraux, en particulier l’abstention et le vote en faveur de l’extrême droite. Les dernières séquences électorales en 2024 ont en effet mis en exergue le sujet des services publics, suscitant parfois des conclusions hâtives que le Sens du service public a voulu analyser avec recul.
Contrairement aux idées reçues, il apparaît globalement une relative homogénéité dans l’opinion des Français face aux problématiques des services publics, qu’il s’agisse des habitants en zones rurales ou urbaines ou qu’ils aient un positionnement partisan politique différent. Des appréciations peuvent néanmoins se démarquer en fonction des sujets.
Les résultats de ce sondage, grâce à la diversité des questions posées, permettent de tirer a minima quatre enseignements inspirants :
- un attachement très fort des Français à l’égalité d’accès aux services publics caractérisé par l’impact important du sujet sur le vote, en particulier pour ceux qui déclarent des proximités partisanes...mais une appréciation générale sévère quant à leur qualité
Six Français sur dix indiquent ne pas être satisfaits de la qualité des services publics en France (61%), dont 43% « plutôt pas » satisfaits et 18% « pas du tout » satisfaits
Ces résultats doivent néanmoins être nuancés au regard des réponses apportées sur le niveau de satisfaction personnelle quant à l’accès aux services publics (74% déclarent y avoir facilement accès), ainsi que sur le niveau de satisfaction différencié lorsque l’on regarde service public par service public.
Les personnes interrogées affirment que l’état des services publics compte beaucoup dans leur vote
72% des personnes interrogées déclarent que leur état occupe une place importante dans leur choix lorsqu’ils se rendent aux urnes (72%, dont 21% une place « très importante »).
Si trois quarts des personnes interrogées (74%) ont déjà vécu au moins une mauvaise expérience avec un service public, surtout les plus jeunes, 56% les jugent exceptionnelles voire n’en ont jamais eue
Pour plus de quatre Français sur dix, ces mauvaises expériences sont régulières (43%), mais pour un tiers, elles restent rares (31%), et 25% des répondants n’ont eu aucune mauvaise expérience avec les services publics. On retrouve notamment dans les motifs invoqués un délai de traitement jugé trop long (50%) et des démarches complexes (39%). Les sous-effectifs (31%), le mauvais accueil (28%) ou encore l’incomplétude des réponses (30%) reviennent également dans les raisons soulignées.
Les difficultés d’accès aux services publics sont un facteur important d’insatisfaction
En effet, les taux d’insatisfaction les plus faibles sont situés dans quatre régions (Bretagne, 51% ; Bourgogne-Franche-Comté, 51% ; PACA, 49% ; Nouvelle-Aquitaine, 54%), alors que, dans ces mêmes régions, les pourcentages des Français ayant vécu une mauvaise expérience sont les plus forts (Bretagne, 80% ; Bourgogne-Franche-Comté, 82% ; PACA, 80% ; Nouvelle-Aquitaine, 74%). Mais à l’inverse, dans ces régions, les Français estiment avoir le plus facilement accès aux services publics (Bretagne, 80% ; Bourgogne-Franche-Comté, 82% ; PACA, 80% ; Nouvelle-Aquitaine, 74%).
Le rapport des Français à l’administration est ambivalent et contrasté, quand on les questionne sur leur ressenti lorsqu’ils reçoivent un message de la part de l’administration
L’un des grands enseignements de ce sondage est que la crainte d’une arnaque apparaît comme le premier sentiment face à un message reçu par une administration (une réponse sur trois).
- une sensibilité générale aux questions d’égalité d’accès aux services publics qui varie relativement peu selon les deux comportements électoraux étudiés et selon les lieux d’habitation des Français. Des nuances méritent d’être soulignées sur certains aspects. Les électeurs d’extrême droite se révèlent moins satisfaits quant à la qualité ou l’accès aux services publics, mais dans des proportions à relativiser au regard des analyses qui en sont habituellement proposées ;
Presque trois Français sur quatre (74%) jugent avoir facilement accès aux services publics en France aujourd’hui
Les Français habitant dans un territoire qu’ils jugent en déclin ou en stagnation ont plus difficilement accès aux services publics : 39% pour les personnes interrogées vivant dans les territoires ruraux (contre 25% pour celles vivant dans des territoires perçus comme étant en expansion ou développement), 32% pour celles vivant dans les territoires périphériques (contre 15%), 27% des centres-villes (contre 15%).
La facilité d’accès aux différents services publics est néanmoins variable
Les services publics ayant un très bon maillage territorial sont jugés facilement accessibles : les écoles primaires (88%), les collèges (87%) et les lycées (80%), La Poste (78%), la police ou la gendarmerie (78%) et l’état civil (71%). En revanche, les services publics dont le maillage territorial est plus faible sont jugés moins accessibles. Moins de sept personnes sur dix déclarent avoir facilement accès à France travail (67%), aux transports publics (66%) ou bien aux téléservices (65%). Le service de la santé fait également face à un sentiment d’accessibilité largement améliorable : le SAMU ou le SMUR (70%), les maternités (68%) ou les hôpitaux (66%) ne sont jugés accessibles que par deux tiers des personnes interrogées. Enfin, loin derrière se trouvent les maisons France services (60%), les administrations de Sécurité sociale (58%), les tribunaux (56%) et les crèches (52%), qui apparaissent comme les services publics les moins accessibles.
Parmi les motifs possibles de discrimination dans l’accès aux services publics, le lieu d’habitation est cité comme le principal déterminant, pour un Français sur deux
- une attente forte d’évolution du fonctionnement des services publics au travers de deux tendances : une attente de simplification des fonctionnements (procédures, délais, démarches) et une attente très marquée en matière de présence et d’accompagnement humains (accueils physique et téléphonique, présence géographique, information, soutien). La crainte d’une arnaque apparaît également comme un élément nouveau et particulièrement prégnant dans la relation administration-citoyens ;
L’éloignement géographique avec les services publics constitue le premier obstacle à l’égalité d’accès aux services publics
Il est cité par près d’un Français sur deux (48%). La compréhension des démarches et des procédures administratives est également un obstacle marqué : les Français évoquent en particulier la méconnaissance des démarches (41%), les difficultés à comprendre les procédures à suivre (34%) ou encore les difficultés à utiliser les services en ligne (33%). Ils citent également pêle-mêle les délais (41%), les horaires (40%) ou encore le coût d’accès (15%). Enfin, la difficulté à obtenir de l’aide rapidement (37%) ou le manque d’accompagnement personnalisé (29%) sont également mentionnés, avec en corollaire les difficultés à comprendre les informations mises à disposition (25%). Les difficultés d’accès sont donc multifactorielles, peuvent se cumuler et diverger d’un individu à l’autre.
Les pistes privilégiées par les personnes interrogées pour améliorer l’égalité d’accès sont la simplification des démarches administratives (91%), l’accompagnement de bout en bout par une personne compétente et disponible (91%), le développement des services publics de proximité (90%) et le développement de l’information sur les services disponibles (90%)
D’autres mesures sont également fortement plébiscitées : le respect des droits des usagers (89%), la formation du personnel à l’accueil des publics fragiles (87%), la disponibilité par téléphone (85%), l’ouverture de nouveaux guichets (83%) et les services publics mobiles (82%) ou la hausse des moyens humains (81%). La hausse des moyens financiers arrive légèrement en retrait (74%).
À l’inverse, la dématérialisation des services publics est la mesure la moins plébiscitée pour améliorer l’accès aux services publics
Sur les 13 pistes d’amélioration proposées, elle est la dernière du classement avec le plus faible assentiment.
- une croyance forte dans les bienfaits du maillage territorial des services publics : elle s’exprime au travers, d’une part, d’une forte satisfaction envers les services publics dotés d’un maillage territorial très fin (établissements d’enseignement primaire et secondaire, La Poste, police et gendarmerie) et, d’autre part, d’une demande de renforcement des services publics de proximité comme mesure d’amélioration de l’égalité d’accès et l’élargissement du périmètre des services considérés comme des services publics, notamment dans le domaine de la santé.
Signe que le service public incarne l’universalité d’accès aux besoins essentiels, les Français, quel que soit leur lieu d’habitation, aspirent à des obligations de service public concernant certains services privés essentiels
Les Français sont ainsi favorables à ce que l’installation des médecins sur le territoire soit encadrée (89%), quel que soit le territoire concerné. Ils jugent pertinent que les pharmacies (71%), les médecins libéraux (69%), les établissements de soins privés (63%) et les ambulances privées (53%) deviennent des services publics. La transformation des guichets bancaires en service public est aussi soutenue par une majorité de Français (56%).
PS: L'intégralité des résultats du sondage OpinionWay pour le Sens du service public, "l'accès aux services publics"