Fin de la mandature syndicale à vie : quel effet sur la représentation du mandat ?
Avant la mise en place du CSE par les ordonnances Macron, les membres du comité d’entreprise et les délégués du personnel pouvaient exercer des mandats électifs ad vitam æternam, c’est-à-dire sans aucune limitation dans le temps. L’article L. 2314-33 du Code du travail issu de la loi de ratification desdites ordonnances (1) limite désormais à trois le nombre de mandats successifs qui peuvent être exercés par les membres du CSE dans certaines entreprises et sous certaines conditions (2). À quoi peut-on s’attendre ou que peut-on espérer suite à un tel changement ?
S’il est encore trop tôt pour tirer tous les enseignements des innovations apportées par les ordonnances Macron (dans la mesure où la réforme est encore relativement récente), nous avons néanmoins la faiblesse de penser que la limitation temporelle dans la possibilité d’exercer des fonctions représentatives au sein de l’entreprise, mesure que nous appelions jadis de nos vœux (3), pourrait avoir une incidence pertinente sur le champ de la démocratie sociale. Ainsi, les modalités d’exercice de l’action et de la liberté syndicales ne seront pas les seules affectées ; la représentation même du mandat connaîtra elle aussi selon nous une évolution.
En soi, l’évolution dans la représentation du mandat n’est pas une nouveauté. Bien des experts (sociologues et juristes en l’occurrence) ont en effet eu à traiter du phénomène. C’est notamment le cas de Nicole Maggi-Germain, spécialiste en droit social, professeur agrégée à l’Université de Nantes et directrice de l’Institut des sciences sociales du travail rattaché à l’Université de Paris I Panthéon-Sorbonne. Partant du constat selon lequel, à une certaine époque, la discrimination syndicale était considérée par les salariés protégés comme le gage d’un « bon syndicalisme », alors que, de nos jours, cette conception est éculée, Nicole Maggi-Germain fait ce constat partagé : « Il semble ainsi de plus en plus que les représentations attachées au mandat évoluent » (4).
L’effet évolutif induit de la fin de la mandature syndicale à vie réside, selon nous, dans le fait que cette mesure pourrait contribuer à (re-)faire du syndicalisme ce qu’il devrait être afin qu’il ne soit plus ce qu’il n’est pas. En clair, il s’agit de faire en sorte que le syndicalisme, qui à la base est une fonction, ne soit pas (ou ne soit plus) dévoyé : être représentant du personnel, si noble cela soit-il, n’est pas du tout un métier. Au cours de la séance du 26 juillet 2017 devant le Sénat, la Ministre du Travail, Muriel Pénicaud, n’avait d’ailleurs pas caché l’esprit de cette mesure que nous approuvons. Selon ses termes, « il s’agit d’éviter une surprofessionnalisation à vie (…) La limitation des mandats va donc de pair avec cette crainte de professionnalisation à vie pour certains. » (5).
En outre, la limitation du cumul des mandats pourrait permettre de dynamiser les pratiques et comportements des partenaires sociaux. Ce qui, de notre point de vue, ne peut qu’être bénéfique à la conduite du dialogue social du côté de l'employeur et à l’engagement syndical du côté du salarié. Ayons en effet conscience qu’un employeur qui a en face de lui le(s) même(s) élu(s) au CSE depuis dix, vingt ou trente ans finira sans doute par figer ses méthodes de gestion des relations sociales, sans jamais songer à prendre du recul et se remettre en question. Il nous paraît au demeurant essentiel de faciliter le renouvellement générationnel des représentants du personnel en permettant l’éclosion de nouvelles vocations syndicales.
Enfin, la fin des mandats à perpétuité, loin d’être une mesure « antisyndicale », nous paraît être une occasion à saisir pour la prévention et la lutte contre la discrimination syndicale. À cet égard, nous serions même encore plus « révolutionnaires » en préconisant également la fin de la mandature syndicale à temps plein. Il s’agirait ici, dans l'intérêt du salarié, de supprimer la possibilité pour celui-ci d’être un « permanent syndical ». Ces deux mesures combinées (fin de la mandature syndicale à vie et fin de la mandature syndicale à temps plein), les salariés y trouveront le moyen de garder le lien avec le poste pour lequel ils ont été embauchés et ainsi éviter ce que nous appelions « la mort professionnelle des élus » dans un précédent article. Les employeurs, eux, y verront l’occasion de mieux gérer les carrières et transitions professionnelles des élus, non seulement en anticipant sur les fins de parcours syndicaux mais aussi en appliquant des formules idoines pour valoriser les compétences acquises par ces derniers au titre du mandat.
Au final, convenons-en bien, la situation de discrimination syndicale ne peut pas être considérée comme une réussite, la situation de perte d’employabilité des élus non plus. Or, l’un des enjeux dans le jeu du dialogue social n’est-il pas le succès de la relation particulière qui lie le représentant du personnel à l’entreprise ? Hélas, ce succès est trop souvent fortuit en ceci qu’il relève davantage de la chance que du choix dans beaucoup d’entreprises. Il revient aux employeurs et aux élus de tourner le dos à la fatalité hic et nunc, en plaçant dorénavant le choix avant la chance.
(1) Loi n° 2018-217 du 29 mars 2018 ratifiant diverses ordonnances prises sur le fondement de la loi n° 2017-1340 du 15 septembre 2017 d'habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social.
(2) Le nombre de mandats successifs est limité à trois, excepté :
- pour les entreprises de moins de cinquante salariés ;
- pour les entreprises dont l'effectif est compris entre cinquante et trois cents salariés, si le protocole d’accord préélectoral en dispose autrement.
(3) Hermann Martial Ndjoko, Le management des représentants du personnel : peut-on gérer les représentants du personnel comme les autres salariés de l’entreprise ?, mémoire de Master 2 en management des ressources humaines et des relations sociales, Institut supérieur de gestion du personnel, Talis Business School, Paris.
(4) Nicole Maggi-germain, « Le licenciement des salariés protégés : processus et enjeux », revue Droit et Société n° 62/2006, page 200.
(5) Par « surprofessionnalisation », il faut ici entendre la surprofessionnalisation du mandat.