Marque employeur de l'État : une fausse bonne idée ?
Depuis ces dernières années, le débat public autour de l’effort en emplois demandé aux administrations publiques, basé sur l’objectif d’une efficience accrue des organisations, tend à céder le pas à l’impérieuse nécessité de renouveler les effectifs, induite par l’accélération des départs à la retraite des agents publics et par des démissions plus nombreuses.
Non pas que ce renouvellement doive s’opérer en méconnaissant la nécessaire réflexion sur l’évolution des services et des métiers au regard notamment des défis considérables qui atteignent tous les secteurs, tous les métiers, du fait du numérique, mais les recrutements consécutifs aux départs des « papy boomers » doivent permettre que la permanence des services publics ne soit pas altérée : constater que des lignes de transport ne peuvent être assurées faute de conducteurs ou que des lits d’hôpitaux ne peuvent rester ouverts faute de personnels soignants, ce sont des situations peu compréhensibles pour des services qui nécessitent une gestion sans faille.
Et le problème s’élargit à un nombre croissant de métiers. Même si la place du numérique sera davantage encore au cœur des évolutions de ces prochaines années, le service public a un besoin vital d’hommes et de femmes qui exercent ses missions. La capacité de recrutement est donc une question cruciale.
À défaut d’avoir anticipé les conséquences de l’accélération des départs et de la mutation du marché du travail, confirmant ainsi la difficulté, pourtant diagnostiquée de longue date, à mettre en place une gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC) à la hauteur des enjeux, les administrations sont progressivement conduites à devoir agir dans l’urgence et à faire au mieux.
En 2021, ce sont environ 130 000 fonctionnaires qui ont quitté les fonctions publiques, dont 93 000 celles de l’État et des collectivités territoriales (hors La Poste et Orange), 22 400 la fonction publique hospitalière et 12 400 militaires.
Or, nombre de jeunes, parmi les diplômés mais pas seulement, se détournent des concours avec de ce fait une baisse des niveaux de recrutement.
C’est dans ce contexte singulier que, depuis la loi de transformation de la fonction publique du 6 août 2019, une réelle impulsion a été donnée en valorisant la voie contractuelle. Si, pour les trois versants de la fonction publique, les concours restent le mode prédominant d’accès aux emplois publics, ils ne sont désormais plus la voie unique de recrutement, les contractuels représentant parfois plus d’un emploi sur 5 dans certaines administrations, voire nettement plus comme pour les cadres A et A+.
Cette diversification des modes d’accès aux missions de service public, bienvenue à divers égards et initiée déjà depuis longtemps dans certains secteurs techniques (métiers de l’informatique et du traitement des données, technique de l'information, etc.), est devenue une pratique banalisée, avec des possibilités croissantes d’afficher des emplois permettant une réelle pérennisation des fonctions (prolongation des contrats de durée à durée déterminée, « Cdisation » progressive des emplois).
Pour autant, les besoins de recrutement restent dans bien des cas importants voire massifs et il n’apparait pas de renversement de tendance vers un afflux significatif de candidats, que ce soit aux concours ou à des emplois contractuels.
Ce constat s’inscrit dans le contexte global d’un marché de l’emploi qui s’est inversé, quittant un cycle long de chômage massif pour s’installer dans un quasi plein emploi, modulo les difficultés restées sensibles d’adaptation de la formation professionnelle. L’effet « valeur 17/07/23 2 refuge » des emplois publics en cas de marché de l’emploi atone ou dépressif ne joue plus. L’abaissement du taux de chômage cible de 7% à 5% qui vient d’être annoncé par le Gouvernement trace même la perspective d’un marché de l’emploi encore plus tendu.
Certes, un retournement conjoncturel n’est pas exclu, dont l’une des conséquences pourrait être de faire basculer à nouveau la demande en faveur de l’emploi public mais la réalité actuelle est bien celle de difficultés croissantes de recrutements perturbant le fonctionnement de nombre de services publics. Les administrations publiques constatent que ce n’est plus l’employeur qui dispose de la maîtrise de sa politique d’embauche. Celui qui est sur le marché de l’emploi fait son choix et décide de là où il souhaite collaborer.
Le secteur privé a intégré depuis longtemps ce paramètre, d’où une politique souvent active d’attractivité. L’État, lui, paraît le découvrir.
ll ne suffit pas d’une vitrine, il faut qu’il y ait quelque chose derrière
S’installe alors dans l’esprit des décideurs publics la conviction que les employeurs publics ne sont pas assez « visibles », d’où le lancement d’actions nombreuses, peu coordonnées et parfois concurrentes, telles que la présence d’agents dans des salons spécialisés pour l’emploi, la signature de conventions avec les universités, l’organisation de journées « Portes Ouvertes » ou de « job dating », et même la désignation d’agents publics comme « ambassadeurs » jusque dans les lycées.
Ce mouvement est en soi positif puisqu’il démontre que les administrations, confrontées à une difficulté réelle, cherchent, en sachant faire preuve d’initiative, des voies et moyens nouveaux pour progresser. Dans ce paysage récent, l’enjeu de la communication publique paraît devenir essentiel, avec une accélération de l’exposition des offres d’emplois publics dans les nouveaux médias, tout spécialement sur les nouveaux comptes ouverts sur les réseaux sociaux (y compris sur TikTok ou Instagram...) et l’ouverture de sites internet spécialement dédiés à l’attractivité des métiers de la fonction publique (tel « Place de l’emploi public »).
Très tôt, le ministère des Armées avait su se positionner, pour faire face à la brièveté des carrières de certaines catégories de personnels militaires, notamment contractuels, en champion de la communication publique pour le recrutement.
Depuis 18 mois, les ministres en charge de la fonction publique se sont orientés vers ce qui semble présenté comme le nouveau sésame du recrutement : « la marque Employeur » par transposition du positionnement des employeurs privés et des outils de conviction qu’ils déploient.
Ainsi, alors même que les freins à l’orientation des jeunes diplômés vers les métiers des fonctions publiques sont identifiés de longue date, le recours à la « marque employeur » est considéré comme de nature à fédérer la grande diversité des organisations et des métiers pour « vendre » le service public.
La direction générale de l’administration et de la fonction publique (DGAFP) s’est faite pressante près des ministères pour qu’eux-mêmes portent la marque employeur de l’État, ce que certains ministères, directions ou organismes publics interprètent comme un encouragement à définir une « marque employeur » propre pour s’affirmer dans cet environnement concurrentiel.
Celles des collectivités territoriales qui s’engagent dans des démarches de type marque employeur le font sur la base des caractéristiques et attraits de leur territoire. Ce thème s’ajoute aux initiatives précédemment mentionnées qui visent aussi à susciter des candidatures aux emplois publics.
Ces actions sont méritoires mais on assiste ainsi à une diversité d’intitulés, de slogans, de thèmes de campagnes de communication qui, toutes, sont présentées comme un levier d’une attractivité retrouvée des administrations publiques.
Ce mouvement pose de réelles questions que le Cercle entend soulever.
D’abord, il faut rappeler que nombre de services publics vont mal, certains et non des moindres sont même en crise.
Pour ce qui concerne les ressources humaines, les maux sont connus : complexité et lenteurs des modes de recrutement par concours, absence de visibilité sur l’affectation géographique post-concours, moindre attrait des rémunérations, parcours professionnel incertain, limité voire quasi-absent, insuffisante valorisation des métiers, prévention insuffisante de l’usure professionnelle, réticence envers des organisations perçues comme pesantes, accompagnement managérial trop souvent insuffisant, « fonctionnaire bashing ».
Ce qu’il faut prioritairement, c’est apporter des réponses concrètes à ces problèmes.
Le recours à la marque employeur doit veiller à éviter le risque établi que, dans une concurrence de fait pour recruter, elle revienne à favoriser les administrations déjà fortes sans être adapté au déficit d’attractivité des services qui ont les problèmes les plus aigus. Pour les seconds, le dispositif sera perçu comme à caractère publicitaire et décalé par rapport à la réalité et ne peut de ce fait fonctionner. La marque employeur ne réglera pas dans les EHPAD et les hôpitaux la question du recrutement des aides-soignants, des infirmiers, des médecins ou des agents des services hospitaliers, ni dans l’Éducation nationale celles des enseignants ou des personnels administratifs et de soutien.
Elle ne résoudra pas davantage la question devenue fondamentale de la quasi-impossibilité pour les agents publics sollicités pour travailler dans de grandes métropoles d’accéder à un logement à proximité de leur lieu de travail.
Ce sont les réformes structurelles attendues dans les domaines essentiels de la gestion des ressources humaines et de la conduite des missions qui seront porteuses d’une attractivité retrouvée. Y renoncer ou apporter des réponses partielles serait un mauvais signal.
On ne communique pas sur une « marque » sans s’assurer de la qualité du produit, sauf à courir le risque de démarches dispendieuses et inefficaces, voire de se faire reprocher la conduite de campagnes « publicitaires » et en définitive trompeuses. Il ne suffit pas d’une vitrine, il faut qu’il y ait quelque chose derrière.
A la fois le sens dont sont en quête les jeunes générations, et des éléments concrets allant du management aux conditions de travail et aux perspectives de diversité de métiers, de parcours et de mobilité. Une marque sans projet affiché mais aussi tangible et vérifiable, sur la base d’engagements précis, est contre-productive. Un abus de communication pourrait être, pour nombre d’agents, un facteur de discrédit plus large des politiques de modernisation. Ajoutons qu’une marque employeur Etat unique reviendrait à nier l’extrême difficulté des métiers publics.
Au demeurant, une marque employeur suppose qu’il y ait un employeur et chercher à promouvoir une « marque employeur Etat » supposerait qu’il y ait un « Etat employeur », ce qui n’est pas le cas. On peut ajouter que le mimétisme avec le secteur marchand et concurrentiel, et selon un concept largement galvaudé, ne constitue pas un gage de succès dans les démarches engagées : il est même paradoxal puisqu’une marque État ne peut reposer que sur une différenciation forte avec le secteur privé en termes de finalités et de modes de fonctionnement.
Une marque unique supposerait aussi une définition claire du périmètre de l’Etat ou du service public qui n’existe pas aujourd’hui
Et que les employeurs publics aient suffisamment « trouvé leurs marques » pour fonder une marque employeur. Quant à ce que pourrait être une marque employeur, tous les emplois publics répondent en principe à un principe partagé spécifique à l’action publique : participer au service public et incarner ses valeurs. S’il y a une marque employeur, peut-elle être autre, au moins pour l’Etat, que le drapeau de la République et sa devise, qui en constitueraient des repères compréhensibles ? C’est un socle séculaire qui a survécu même à des périodes agitées de notre histoire. Il vaut pour la République mais comment ne vaudrait-il pas pour ses services publics ?
Rejoindre l’un des trois « versants » de la fonction publique, c’est bien accepter ces valeurs et des missions qui font sens pour agir dans ce cadre. Encore faut-il avoir conscience que la bonne image d’une telle marque employeur auprès des jeunes est, pour partie au moins, liée à celle qu’ils peuvent avoir de la République. La réalité est une triple diversité : celle des modes d’accès aux emplois, celle des attentes des postulants, celle des emplois proposés.
On constate en effet souvent une profonde différence de nature entre un recrutement par concours qui vise à embrasser large, à ouvrir l’accès immédiat ou à terme à des fonctions diverses, et une embauche par voie de contrat qui souvent focalise la vision sur un projet ou un secteur.
Participer à la conduite d’un projet de numérisation d’un processus ou de gestion numérique des données constitue un travail technique de haute importance, mais n’emporte généralement pas la même diversité des missions qui, tout au long d’une carrière, doivent s’ouvrir aux agents statutaires.
Dès lors, si l’on mise sur l’idée de marques employeurs, cette mosaïque de métiers et de savoir-faire, de statuts, de modes de fonctionnement correspondant à 5,7 millions d’agents et la diversité recherchée des recrutements rendraient inévitable une extrême diversité de marques.
Les grands groupes industriels ou de services n’ont-ils pas tous recours à plusieurs marques et sous-marques selon la sectorisation de leurs produits et la segmentation de leurs clientèles ?
L’affirmation d’une marque commune employeurs publics regroupant l’Etat, les collectivités territoriales et la fonction publique hospitalière n’est certainement pas réaliste.
Une marque unique de l’Etat employeur ne paraît ni pertinente ni efficace
Quant à la multiplication de sous-marques par ministère, direction ou établissement public, comme un groupe privé le ferait pour le placement de ses produits par une segmentation de sa clientèle, elle peut risquer, dans le cas des services publics, de compliquer singulièrement la lisibilité recherchée, attiser les différences, conduire à un fractionnement accru de l’Etat employeur et affecter la cohésion d’ensemble. Il ne peut s’agir d’interdire le recours par les administrations à une ou des marques employeurs mais il faut veiller à ce que ce recours s’opère dans un cadre partagé assurant bien les missions du service public. Les valeurs du service public sont fortes, elles transcendent le temps et les modes, ses métiers sont riches et diversifiés.
Allons là où nous sommes tant attendus.
La marque employeur n’est pas condamnable dans son principe. Elle n’est ni une panacée ni un remède-miracle. Elle ne doit pas détourner l’attention de l’urgence à conduire les réformes des administrations car ce sont elles qui recréeront la fierté du service public, lui donneront un nouvel attrait et redonneront à nos concitoyens la confiance dans leurs services publics
Marque employeur : éléments de définition et de contenu
Sur le site du ministère de l’économie, l’Agence pour le patrimoine immobilier de l’Etat (APIE) fournit les principaux éléments de définition et de contenu suivants de la marque employeur : « Une marque employeur forte peut constituer un réel atout pour l’attractivité, la fidélisation, l’engagement et la motivation des personnels.
Quelques bonnes pratiques pour développer sa marque employeur avec succès :
- Impliquer la direction générale, pas seulement la DRH.
- Identifier ce qui réunit et mobilise en interne : culture commune, sources de fierté…
- S’appuyer sur des données objectives : connaissance des cibles de recrutement, coûts de recrutement, taux de candidatures spontanées ou nombre de candidats se présentant aux concours, taux d’attrition…
- Se centrer sur l’expérience du collaborateur : définition des parcours de recrutement et vie professionnelle au sein de l’organisation.
- Définir les meilleurs facteurs d’attractivité de l’entité…
- Faire des agents les premiers ambassadeurs de la marque. »