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27 / 02 / 2020 | 164 vues
Paul Lagrange / Membre
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Filière sucrière française : entre décrochage et sortie de crise

Entre la fin des quotas européens et une surproduction mondiale en 2018/2019, la filière sucrière française subit l’effondrement des cours européens de plein fouet depuis deux ans. Le spectre des suppressions d’emplois a poussé le Président de la République à annoncer samedi 22 février, en ouverture du Salon de l’Agriculture, la nomination d’un délégué interministériel consacré à la sortie de crise. N’est-ce pas trop tard pour Cristal Union et Saint-Louis Sucre, deux des plus gros producteurs français, qui ont déjà annoncé quatre fermetures d’usines et semblent engagés dans une mauvaise spirale ?

 

À peu de choses près, on croirait voir la crise du lait se rejouer sous nos yeux : fin de quotas européens protecteurs, surproduction, concurrence mondiale… En 2018 et 2019, la filière sucrière française a fait face à une crise sans précédent, qui va laisser des traces tant pour les agriculteurs que pour les fabricants et leurs salariés.

 

Jusqu’en 2017, la filière européenne bénéficiait de quotas sur la production de sucre dans l’Union européenne (UE), déclinaison de la politique agricole commune (PAC). Ce régime visait à garantir une stabilité sur le marché et encourageait la production agricole avec des prix minimaux garantis aux agriculteurs, rémunérateurs et stables. En contrepartie, il imposait à chaque pays producteur une limite à la quantité de sucre alimentaire qu’il pouvait vendre sur le marché européen et à l’export.  Depuis la suppression des quotas, les acteurs sont livrés au marché. Tout est beaucoup plus incertain, dans un marché agricole particulièrement connu pour sa grande volatilité.

 

Pour contrer cette libéralisation, les pays d’Europe de l’Est, du Sud et du Nord ont, pour la plupart, accordé des subventions à leurs agriculteurs, des « aides couplées ». Pas la France. La filière française s’est donc retrouvée doublement confrontée à une concurrence européenne de pays subventionnés et à la concurrence internationale. Par conséquent, les cours européens du sucre se sont effondrés, passant entre 2016 et 2019 de plus de 500 euros à seulement 300 euros la tonne.

 

L’UE est le plus gros producteur de betterave sucrière au monde, avec 50 % de la production. Mais le sucre de betterave ne représente que 20 % de la production mondiale. Les 80 % restants de la production mondiale de sucre proviennent de la canne à sucre, dont les plus gros producteurs sont le Brésil, l’Inde et la Thaïlande. Si quelques sucriers européens, tels que Tereos en France ou Südzucker en Allemagne, avaient anticipé en s’internationalisant, les producteurs restés bien français ont été touchés par la crise de plein fouet.

 

Certes, les conséquences structurelles de la fin des quotas ont été aggravées par des conditions particulières de marché liées notamment à la météo. Après deux années de mousson favorables, l’Inde (qui produit habituellement pour son marché intérieur) s’est retrouvée avec un excédent de production de 10 millions de tonnes, qu’elle a dû écouler sur le marché mondial, à grands renforts d’aides publiques à l’exportation. Les conséquences ne se sont pas fait attendre et les cours mondiaux ont dévissé. En 2018 et 2019, les industriels du sucre ont subi de lourdes pertes. En bout de chaîne, les producteurs de betterave sucrière en ont également fait les frais, le prix de leur production ayant baissé dans la plupart des cas.

 

Emplois menacés

 

Au total, c’est bien le marché français qui s’est retrouvé en pleine tempête. Les plans sociaux n’ont pas traîné. En avril 2019, la coopérative Cristal Union (qui exploite la marque Daddy) a ainsi annoncé la fermeture de ses usines de Bourdon (90 salariés) et Toury (150 salariés), en plus de la suppression de 70 emplois dans son usine de conditionnement d’Erstein, qui fonctionne à la moitié de ses capacités. Cette décision suit celle de l’Allemand Südzucker (Saint-Louis Sucre) d’arrêter la production de deux de ses quatre sucreries dans l’Hexagone, ainsi que celle de cesser l’activité de son site de conditionnement de Marseille. En France, 130 emplois sur les 723 de l’entreprise sont en jeu.

 

Au-delà, des centaines d’autres emplois sont directement menacés, chez les sous-traitants, les fournisseurs et dans l’ensemble de l’écosystème. De leur côté, les agriculteurs les plus mal lotis (par exemple ceux de Cagny, dans le Calvados) doivent tirer un trait sur la production de betteraves et trouver d’autres sources de revenus.

 

Quelle stratégie de sortie de crise ?

 

Alors que les cours mondiaux et européens du sucre entament leur remontée, les différences risquent de s’accentuer encore entre les acteurs européens.

 

N’existe-t-il donc pas d’alternative à une gestion à courte terme, celle des restructurations et des fermetures d’usine ? Alors que la consommation européenne baisse structurellement, il y a fort à parier que cela ne s’arrête pas là…

 

Si la France veut rester dans la course, il faut d’abord lutter contre les distorsions de concurrence au sein même de l’Union européenne. Il faut ensuite se tourner vers de nouveaux marchés en croissance : dans les pays émergeants ou encore vers la chimie verte.

 

En France, seul le groupe sucrier Tereos, numéro 1 français et numéro 3 mondial, semble parvenu à aborder ce virage. C’est le seul à ne pas avoir dû fermer d’usines. Le groupe s’est en effet engagé depuis près de vingt ans dans une stratégie d’internationalisation (particulièrement au Brésil) et de valorisation industrielle de la filière betteravière, passant notamment par des investissements lourds dans la production de biocarburants. Plus récemment, Tereos a annoncé une nouvelle série d’investissements d’avenir dans ses usines françaises, misant sur le numérique et l’innovation pour rester dans la course mondiale.

 

Quel soutien pour le secteur ?

 

Sur le plan politique, les betteraviers peuvent se prévaloir du soutien d’élus locaux opposés à la fermeture de ces sites industriels et soucieux des potentielles conséquences sur l’emploi. Xavier Bertrand (président de la région Hauts-de-France) et Samia Ghali (sénatrice des Bouches-du-Rhône) ont écrit au gouvernement pour lui demander d’intervenir sur ce dossier. Ils reprochent notamment à Südzucker d’avoir « bénéficié de 8,8 millions d'euros dans le cadre du CICE entre 2014 et 2016 » et lui demandent de rembourser les sommes perçues. Ces réactions bienvenues n’ont toutefois pas été suivies d’effets pour l’instant.

 

Côté étatique, pas de solution miracle à attendre non plus. Les planteurs de betteraves de la sucrerie de Gagny, membres de la Confédération générale des planteurs de betterave (CGB), ont adressé une lettre ouverte au Premier Ministre pour demander au gouvernement d’agir pour la sauvegarde des deux sucreries de Südzucker. Le Ministre de l’Agriculture, Didier Guillaume, s’est rendu sur le site en mars 2019 pour annoncer son soutien aux producteurs et a appelé à accepter un plan de reprise de 30 millions d’euros déposé par la CGB mais refusé par le groupe allemand. Südzucker a en effet clairement annoncé « [ne pas arrêter] la production de sucre pour la proposer à d'autres acteurs, mais bien pour retirer des capacités du marché ».

 

Enfin, rien à attendre du côté du budget de l’UE, qui va pâtir du Brexit. Coté négociations commerciales, on est en phase finale de négociation du traité Mercosur et la Commission vient d’accorder la suppression de droits de douane sur 180 000 tonnes de sucre en provenance du Brésil. Dans le cadre de la nouvelle PAC, la France devra s'assurer que les agriculteurs français puissent jouer sur un pied d’égalité avec leurs collègues européens. La réduction des distorsions de concurrence est une priorité. Comment imaginer que l’Europe agricole puisse durer si, au sein du même bloc, chaque pays adopte ses règles ? Pas de nature à rassurer la filière au moment où les discussions sur la réforme de la PAC pointent à l'horizon, autre virage serré à négocier pour la filière française…

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