Organisations
Formation : mémo pratique à l’attention des élus
La réponse à 6 questions clefs pour bien comprendre la réforme de la formation (loi du 5 mars)
1. Cette réforme est-elle un vecteur d’inégalités?
Le système n’est pas, en lui-même, facteur d’inégalités. En matière d’accès à la formation professionnelle, les inégalités sont un état de fait et la réforme ne devrait pas véritablement changer la donne. Par exemple, nous constatons statistiquement qu’une population composée de cadres accède davantage à la formation qu’une population constituée d’ouvriers. Il est possible d’identifier plusieurs causes explicatives. Les directions d’entreprises tendent à proposer des formations aux salariés identifiées, à tort ou à raison, comme « portant la valeur ajoutée ».
Une frange de l’encadrement capte plus de moyens de formation que les salariés réputés facilement substituables. Concernant les causes plus individuelles, nous savons que les salariés les plus qualifiés pensent et anticipent davantage que les autres catégories d’employés leurs évolutions professionnelles. En conséquence, ce sont plutôt ces salariés qui vont moins spontanément vers la formation.
Cette distorsion n’est pas liée à la réforme. Mais cette dernière vient-elle rectifier cet état de fait ? L’un des enjeux cruciaux en matière de formation passera par la sensibilisation et l’accès des personnes les plus éloignées de la formation. Accorder davantage de moyens de formation est plutôt positif. Mais, faire en sorte que tous les publics les utilisent, doit être l’objectif à poursuivre. Selon nous, la réforme ne traite pas suffisamment cette question de fond.
2. Qu’est-ce que cela va concrètement changer pour les salariés ?
• Le CPF ne vise plus à suivre des salariés mais des individuss tout au long de leur évolution professionnelle. Avec ce principe, le dispositif touche différents publics (salariés, chômeurs et apprentis) et touchera de plus en plus de gens (professions libérales, fonctionnaires ?).
• Hors abondement, les plafonds d’heures DIF était fixé à 120 heures. Le CPF fait passer ce plafond à 150 heures. C’est donc, sur le papier, plus de moyens.
• Le CPF est désormais intégralement transférable d’une branche professionnelle à une autre, d’une entreprise à une autre. L’histoire du DIF a permis cette évolution.
• Il est possible avec le DIF de suivre à peu près n’importe quelle formation. Logiquement le CPF devra permettre de véritablement doter les gens de compétences validées soit par l’État, soit par les branches professionnelles. Désormais, seules les formations certifiantes, qualifiantes ou diplômantes seront éligibles au CPF.
3. Comment les salariés peuvent-ils s’approprier ce nouveau dispositif ?
Jusqu’au 31 décembre 2014, rien ne devrait véritablement changer. Le DIF est toujours actif et est donc toujours mobilisable. Si un salarié a un projet à court terme et s’il souhaite bénéficier de 2 jours de formation pour se perfectionner sur un thème bien précis, il lui est conseillé de mobiliser son DIF.
En revanche, si son objectif est de se réorienter, si l’enjeu, pour lui, est de changer de branche professionnelle, d’acquérir un niveau de diplôme reconnu (certifiant, qualifiant et diplômant), il est préférable qu’il attende la mise en place du CPF. Ce cadre lui sera sûrement plus favorable.
4. Quelles sont les incidences de cette réforme sur la prochaine information/consultation sur la formation professionnelle ?
Les effets de la loi du 5 mars sur la procédure d’information/consultation ne sont pas profonds. Néanmoins :
- les instances doivent se prononcer non seulement sur le plan de formation à venir (rien ne change en la matière) mais aussi sur l’exécution du plan de formation de l’année en cours (cf art. L2323-34 du Code du travail) ;
- la fixation du calendrier des 2 réunions d’information/consultation peut être modifiée par accord d’entreprise. À défaut d’accord d’entreprise, rien ne change : la réunion 1 devra intervenir avant le 1er octobre, la réunion 2 avant le 31 décembre de l’année en cours ;
- toujours par accord d’entreprise, il est désormais possible de demander des documents complémentaires pour cette « info/consultation » et prévoir que le plan de formation soit établi pour 3 ans et plus annuellement (cf art. L2323-35). Sur ce dernier point, je suis extrêmement réservé sur cette possibilité qui semble difficile à mettre en place.
5. Au regard du texte actuel et des zones d’ombre qui persistent encore aujourd’hui, sur quels points les élus et les représentants syndicaux doivent-ils être vigilants ?
Comme nous l’avons déjà évoqué, les heures de DIF non mobilisées se transformeront automatiquement en heures de CPF au 1er janvier 2015. Les informations relatives aux compteurs DIF basculées en heures de CPF seront transmises à la Caisse des Dépôts et Consignations. Cette dernière aura la charge de suivre ces compteurs et d’informer les gens sur le montant d’heures disponibles. Comment la remontée d’information va-t-elle s’opérer ? Dans la mesure où le dispositif n’est pas rodé, les sources d’erreur vont être nombreuses. Pour les IRP, le suivi de cette opération est, selon nous, nécessaire et constitue un point de vigilance.
Par ailleurs, il peut également être judicieux de contrôler le financement de la formation. Désormais les entreprises de moins de 10 salariés devront verser 0,55 % de la masse salariale, les entreprises de plus de 10 salariés devront financer 1 % de leur masse salariale. Pour les entreprises de 20 salariés et plus, la réforme abaisse notablement le niveau de financement obligatoire de la formation fixée antérieurement à 1,6 % de la masse salariale. Certaines entreprises vont profiter de cette évolution légale pour rogner sur leurs investissements de formation et se contenteront de se caler sur le minimum légal.
Donc en la matière, nous appelons donc les élus à suivre de près les niveaux d’investissement. Si les élus constatent des baisses, le projet global de développement de la direction devra sérieusement être discuté.
Les IRP pourront utilement interpeler leur direction : la stratégie de l’entreprise s’inscrit-elle dans une politique de développement de ses compétences internes ou sa stratégie passe-t-elle par une réduction de ses coûts de formation ? Quel est le projet de l’entreprise ? Comment préparons-nous l’avenir ? Faut-il nécessairement profiter des évolutions (des aubaines ?) législatives pour préparer l’avenir ?
6. Quelles marges de négociation possibles au niveau des accords d’entreprises ?
À la possibilité faite aux élus CE de modifier les calendriers d’information/consultation, s’ajoute l’éventuelle amélioration de l’harmonisation des calendriers et la mise en cohérence cette « info/consultation » avec les temps de l’entreprise. Par exemple, bien veiller à ce que la communication relative à la stratégie de l’entreprise précède bien le plan de formation pourrait justifier une évolution du calendrier.
Mais sur le fond, les organisations syndicales pourront utilement négocier des abondements d’heures de formation sur le CPF.
Des accords pourront aussi être trouvés concernant la mobilisation d’heures de CPF sur du temps de travail. Car, à défaut de demande d’autorisation de la part des salariés et d’accord d’entreprise, les formations suivies dans le cadre de CPF se dérouleront hors temps de travail. Selon nous, pouvoir mobiliser son CPF sur son temps de travail est parfaitement légitime lorsque les compétences et/ou qualifications visées par le salarié correspondent à des besoins avérés dans l’entreprise.
Pour conclure sur le rôle des IRP…
En matière de formation la question des moyens est importante mais la sensibilisation et l’accessibilité des salariés les plus éloignés de la formation demeurent une question centrale.
Nous pouvons dresser deux grandes pistes d’action pour les IRP. La première passe par le travail généralement effectué au sein des entreprises et qui consiste à défier les directions sur les actions menées en matière de formation. Tous les salariés doivent être formés. Rappelons que l’entreprise a le devoir d’adapter les salariés à leur poste de travail. Cela passe par de la formation et il y a un devoir de résultats.
Le second axe concerne plus directement le rôle direct que les élus et les organisations syndicales peuvent jouer au sein des entreprises.
Les IRP ont rôle important à jouer au sein des entreprises pour accompagner les salariés sur leurs parcours professionnels et répondre à leurs interrogations. : « quel est mon avenir au sein de ma branche professionnelle ? Quels sont les métiers en déclin ? Quels sont les métiers porteurs ? Quelles sont les structures qui pourraient me conseiller ? ».
Des réponses peuvent être notamment apportées par les IRP, principalement là où les directions et les responsables de proximité ne sont pas toujours de bon conseil. L’objectif de ces derniers est de faire « tourner une équipe », de produire, de mobiliser à l’instant T une force de travail, des effectifs. Cette nécessité est parfois incompatible avec la nécessité d’anticiper le déclin d’un secteur et/ou de réorienter des parcours. L’encadrement a besoin des gens sur LEUR poste de travail et cela aussi longtemps que ce sera jugé utile pour répondre à une demande. La proximité sur le terrain et la capacité de recul des IRP sont indéniablement des atouts qui doivent être mobilisés au profit des salariés.
PS : cette article est issu d'un interview de l'auteur paru dans la lettre Sexant d'avril 2014.