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Et si le management reprenait le chemin du bon sens ?
D'autres méthodes existent pour organiser la production en ménageant les femmes et les hommes au travail. Le « slow management » est-il une réponse ? Le management doit-il rester un métier à part entière ? L'ascenseur social peut-il repartir ? Le travail a-t-il besoin de hiérarchie ? La qualité ne doit-elle pas devenir son nouveau centre ?
Cet article souhaite présenter l'inévitable impasse dans laquelle s'échoue un management trop calculatoire des ressources humaines. Pour promouvoir des échanges respectueux du travail entre des managers apaisés et des travailleurs reconnus, il devient indispensable de penser et de construire un nouveau paradigme. Pour l'auteur de cet article, le management et son entreprise devront progressivement reprendre le chemin du bon sens.
Management sans ménagement
De la promotion professionnelle au « new public management », une quarantaine d’années se sont donc écoulées. Sans y prendre garde, en l’accompagnant souvent, les cadres deviennent des managers, des outils de la nouvelle entreprise, celle qui est passée de l’appareil de production à l’instrument de spéculation. Le profit et la rentabilité deviennent les nouveaux objectifs de développement qui au fil du temps s'avèrent tout à fait insatiables. L'entreprise ne dégage plus des profits pour se développer mais alimente une spéculation à des fins de rentabilité pour entretenir ceux qui n'ont plus besoin de travailler pour assouvir leurs envies inextinguibles.
- Le management à des fins spéculatives…
Dans ce nouvel usage de l'entreprise, les directeurs du personnel sont devenus des directeurs des ressources humaines. Ils n’encadrent plus pour guider, accompagner, encourager. Ils gèrent en exécutant les directives d'un directoire sous pression d'actionnaires. Toujours dans cette nouvelle entreprise, les managers de proximité, les N+1 ou N+2, sont chargés de l'organisation du travail. Leurs méthodes, détournées de toute relation humaine, sont aussi froides que l’acier. Elles sévissent dans tous les secteurs, y compris dans la fonction publique. Elles deviennent l'une des causes essentielles de troubles psychosociaux, sources de nombreux traumatismes. Les traumatismes de l'organisation du travail. Le suicide d'un salarié devient dégât collatéral d'un management qui n'aurait pas compris le message de l'entreprise.
Dans cette organisation du travail, dont la finalité se résume au seul profit qu’il peut procurer, il ne semble plus nécessaire de connaître le métier pour encadrer les emplyés au travail. Les cadres seraient des exécutants de méthodes venues d'ailleurs.
Après le taylorisme, qui sépare les activités manuelles et intellectuelles, le fordisme, qui encourage le travail à la chaîne, le toyotisme qui fait la chasse au temps perdu et le « lean management » qui le complète en endormant les consciences, les cadres se doivent d'appliquer la méthode retenue. Le plus souvent, le choix résulte de la formation suivie par les directeurs des ressources humaines fraichement diplômés. Le manque d'expérience et l'absence de confrontation avec la réalité de l'entreprise, ou du service, entretiennent en partie les écarts constatés entre le travail prescrit et le travail réel ».
- De la direction du personnel à la gestion des ressources humaines.
Lors d'un colloque, je faisais aimablement remarquer à un cadre supérieur que le terme directeur du personnel avait perdu de sa valeur avec l'arrivée des DRH. « Directeur du personnel ? Mais c'est ringard, dépassé, il faut être moderne ! », m'avait-il répondu. Et l'humain alors ? Il est dans le titre : « ressources humaines ». Directeur des ressources humaines. On ne discute pas avec une ressource, on la gère. Tout est cohérent. On ne dirige plus le personnel, on le gère. Cette notion de ressources humaines, qui devrait se limiter à la compétence des DRH, semble franchir tous les étages de la hiérarchie. Il n'y a plus de personnel remplaçant mais des mensualités de remplacement. Il n'y a plus de relation, mais des communications. Il n'y a plus d'intérêt pour le travail réel mais des ordres pour du travail prescrit.
Comme nous venons de le voir, c'est au cours des années 1970 que se ce nouveau vocable assorti de tous les outils se développe. Le « new public management ». Ici, la gestion des ressources humaines n'est plus que l'application de formules mathématiques. Les sciences humaines et sociales sont reléguées au rang de sensibleries. Ainsi donc, sous la pression de l'économie nouvelle, le management devient un vrai métier et plus une fonction. Les écoles de management produisent des jeunes managers inexpérimentés. Là, l'objectif de performance étouffe la valorisation des compétences, écrase l'expérience.
- Travailler à en mourir
Pour comprendre cette nouvelle entreprise, pour s'immerger dans cette dictature de la « positive attitude », de la folie évaluation et de l'autoévaluation, de ces cadres qui doivent violer le client pour optimiser les marges, de ce monde du management par le déménagement qui veut des impliqués et pas des compliqués, la lecture du livre L'open space m'a tuer, écrit par deux anciens cadres supérieurs, diplômés de Sciences-Po, est édifiante. C'est une vue de l'intérieur à l'état brut. « Ce livre raconte tout ce que les jeunes cadres savent mais qu'ils taisent et donc que les autres ignorent ».
Complémentairement, je cite « Hubert Prolongeau et Paul Moreira, deux journalistes qui ont écrit Travailler à en mourir. Ils décrivent parfaitement ce monde si souvent incompréhensible. C’est le petit monde des directeurs des ressources humaines pour qui, « la souffrance est un dommage collatéral et les suicides une petite compagnie prise dans une embuscade ». Le salarié est devenu source de profit ou d’économie, une variable d’ajustement lissant toutes les crises. Là, le stress est un carburant qui alimente la machine à broyer les travailleurs. Même si ce n’est pas son objet, la lecture de cet ouvrage établit que le totalitarisme est bien actuel. Tout s’organise pour que le salarié devienne une pièce mécanique aussi froide que l’acier. Les auteurs précisent que « les suicides dont on parle dans la presse ne sont que la partie apparente d’une épidémie invisible. L’arrivée des jeunes ripolinés, formatés des grandes écoles « avec leur arrogance, leur tête bien faite, sûrs d’eux-mêmes et de leur compétence » n’a fait qu’accélérer le processus ».
Les conséquences sont terribles. En quelques années, les absences au travail pour raisons médicales explosent.
Pour le Professeur Christophe Dejours, les choses sont claires : « Les méthodes de gouvernement d’entreprise, de direction, de management et de gestion, l’organisation du travail enfin, ont un impact majeur sur la santé mentale et doivent être suspectées dans toute décompensation psychopathologique survenant chez un individu en situation d’activité professionnelle, jusqu’à preuve du contraire ! »
Philippe Askenazy, chercheur au CNRS, professeur associé à l’École d’Économie de Paris fait ressortir que la crise chez France Telecom est caractéristique de la faillite des méthodes de management à l’œuvre depuis plusieurs décennies en France. Un management qui ne prend pas en compte les aspects humains produit des effets délétères. Dans les années 1990, poursuit-il, les États-Unis ont instauré un dispositif de cotisations qui responsabilise les entreprises, en avantageant celles qui font des efforts en faveur de la santé et de la sécurité au travail. Ils attachent beaucoup d’importance à la question de la formation des managers. Au cours de leurs études, ils ont la possibilité de se spécialiser en « labour relations », c’est-à-dire de s’investir dans la problématique des relations sociales au sein des entreprises. En France, les élites managériales ne reçoivent pratiquement aucun enseignement dans cette discipline. L’humanité nécessaire au travail bien accompli, par des hommes intelligents, doués de sens, riches d’expériences, dont les mains sont guidées par les formidables réflexes salvateurs face à l’imprévu, est abandonnée par le plus grand nombre.
Sur la formation des managers, précise Michel Gollac, « il est regrettable que l’on puisse être nommé à la tête d’une équipe sans rien connaître de l’homme au travai,l ni de l’homme en société ».
Marie Pezé réagit vivement aux propositions de certaines entreprises. « La plus délétère des solutions proposées, c'est de former les managers à la détection des signes de fragilité des salariés. Ce sont les cadres qui donnent les ordres, prescrivent l'intensification du travail, les changements de postes. C'est donc à ceux qui infligent ce qui est insupportable qu'on va demander de détecter les signaux. Si un salarié se suicide, on va leur dire que c'est de leur faute. On aura des suicides de cadres, et même des meurtres, les couteaux sont sortis. Quant aux salariés, ils vont chercher à cacher leur état à leur manager. Il y aura d'autres suicides ».
- Il n'est pas nécessaire d'être le diable pour le devenir
Les conséquences de cette forme de management sont réelles et multiples. Mais peut-on le reprocher à ceux qui l'exécutent ? Dans ce système, les DRH, les cadres « new age » sont des outils. Des outils de la performance. En d'autres temps et dans d'autres lieux, Alexandre Jardin parle « Des gens très bien ». Il explique « le nain jaune », qui n’est autre que son grand-père, « le principal collaborateur du plus collabo des hommes d’État français : Pierre Laval, chef du gouvernement du Maréchal Pétain ».
« Tôt dans ma vie, j’ai donc flairé avec horreur que des êtres apparemment réglo (et qui le sont sans doute) peuvent être mêlés aux plus viles actions dès lors qu’ils se coulent dans un contexte qui donne un autre sens à leurs actes. Lorsqu’un individu doté d’une vraie colonne vertébrale morale s’aventure dans un cadre maléfique, il n’est plus nécessaire d’être le diable pour le devenir ».
Le système économique qui glorifie la performance au détriment des individus est devenu ce cadre maléfique. La société est une machine à consommer où les besoins relatifs sont devenus tout à fait insatiables. L'envie de toujours plus est une arme redoutable qui avilit les hommes. Les contrats d'objectifs et l'évaluation assortie de l'intéressement financier à la performance ont siphonné le bon sens et les nains jaunes ne manquent pas.
Lorsque 50 % de la rémunération dépend du respect des ordres et des objectifs assignés, il n'est plus nécessaire d'être le diable pour le devenir.
- De la promotion professionnelle abandonnée…
Progressivement la voie promotionnelle, ascenseur social par excellence, est remplacée par les écoles de management. L'encadrement d'une équipe devient un métier à part entière. Les écoles transforment n'importe quelle personne motivée en manager discipliné. La conduite de procédures bouscule le sens du travail et tend à le robotiser. La « check-list », nécessaire à certains endroits, peut remplacer l’intelligence du travailleur dans d'autres. Le respect du protocole se substitue trop souvent à la notion de qualité du travail. Si les étapes du travail, ainsi organisées par ces nouveaux managers, sont scrupuleusement respectées, alors le travailleur est classé sur la bonne voie. Il est soumis, donc conforme, donc apprécié.
Mais, pour le Professeur Philippe Davezies, « les salariés ne font pas toujours ce qu’on leur demande et c’est pour cela que ça marche ! Le salarié contraint, à tous les niveaux de la hiérarchie, est moins dynamique que le salarié libre d’organiser le travail prescrit ».
Peut-être est-il indispensable à l'entreprise de disposer de DRH capables d'impulser l'organisation générale du travail par des méthodes qui soumettent hommes et femmes aux objectifs fixés. Mais faut-il pour autant placer tout l'encadrement dans cet espace restreint de procédures descendantes alors que le travailleur pour être efficace doit être libre d'organiser le travail prescrit ? Par ailleurs, nous pouvons légitimement penser que cette nouvelle hiérarchisation de la production aux ordres uniquement descendants prive le salarié d'une motivation qui ne peut plus trouver sa source dans la qualité de son travail. Tout dépend naturellement de la valeur des échanges entres les différentes strates de l'entreprises. Mais il faut convenir qu'il est difficile pour un travailleur expérimenté d'accepter de se faire commander par des directives qui l'éloignent de la réalité du travail qu'il maîtrise.
Ne convient-ils pas, à côtés de ces DRH, d'aménager des espaces de reconnaissances professionnelles par la gratification de la responsabilité ? N'est-il pas possible de remettre en marche l'ascenseur social ? Les réponses devront reposer sur la réalité du travail et son évaluation.
- ...à l'évaluation détournée.
L'évaluation individuelle des performances, et plus du travail, sacralise la conformité des travailleurs en le bordant d'un contrat d'objectifs pour plus d'assurance. Ici, la performance n'est pas la bonne exécution du travail. L'humour sarcastique du travailleur expose cela en disant que la performance, c'est l'art de faire toujours plus avec toujours moins.
À cet endroit, je ne peux m'empêcher de relater cette histoire exposée lors d'une conférence par un directeur d'hôpital : « Alors qu'un soudeur réalise son art sur un tuyau de large diamètre, un contrôleur de procédure (synonyme actuel de manager), vérifie tous les faits et gestes de ce travailleur. Il note sur une tablette tous les écarts constatés entre le guide de bonnes pratiques et le travail réalisé. Par exemple, le marteau de repiquage doit reposer sur un sol propre, mais le soudeur le pose à même le sol terreux etc. À la fin du contrôle, ce col blanc rapporte à l'employeur la mauvaise évaluation du travail de ce col bleu. L'employeur lui répond alors : « Monsieur, je ne sais pas si vous avez raison, mais cet ouvrier est le seul en France capable de réaliser ce type de soudure » ».
Ici, l'écart est flagrant, détonant. Les faits placent ce col blanc, ce N+1, en dehors du travail réel dont il n'a aucune connaissance. Le col bleu, l’ouvrier, a eu la chance ici d'être reconnu dans son travail et de pouvoir l'exécuter proprement, en respect des règles de l'art et non d'une procédure sortie de quelques cartes mères. Mais combien ont eu cette chance ? Laisser la liberté au travailleur d’organiser sa réponse au travail prescrit doit devenir un défi pour un management réformé.
La méthode est enseignée et s'applique aussi bien aux ouvriers de Renault qu'aux caissières de Carrefour, qu'aux infirmières de l'hôpital. Le chef de service, le chef du magasin, le cadre sont devenus des managers, les artisans d’un management autoritaire et descendant. Il n’est plus nécessaire de connaître l'objet du métier. Il convient surtout de posséder les clefs de la performance. Les guides de procédure, les référentiels de compétences, les techniques de gestions mathématiques des hommes au travail remplacent subrepticement la connaissance nécessaire à la réalisation de l'objet travail. Ils participent, souvent sans le savoir, à la construction d’un régime quasi-totalitaire tel que décrit par Hannah Arendt. Un système par lequel tous les mécanismes de cohésion sociale sont détruits. À l'image du « lean management », la communauté est réduite à l'état de masse inerte et indifférenciée. La cohésion d'un tel système repose essentiellement sur l'endoctrinement idéologique et la terreur, devenue moyen normal d'action.
- Management comme doctrine, mais...
Les écoles de cadres, de managers ne se placent pas en aval de la connaissance du travail réel. Le col blanc qui relit sa « check-list » pour contrôler la procédure et non pour vérifier la qualité du travail qu'il ne connaît pas, se trouve ridicule aux yeux de ceux qu'il est censé organiser. L'autorité nécessaire de la connaissance et/ou de la compétence s'en trouve affaiblie et peut ouvrir la voie d'une contestation, d'une détérioration grave des rapports sociaux.
Or, il n'est pas nécessaire d'exercer un quelconque pouvoir pour organiser une équipe. Le respect du travail donne l'autorité nécessaire, facilite le respect de la hiérarchie et compense avantageusement la méconnaissance du travail réel.
Le nécessaire ménagement
Le changement devient une évidence incontournable, mais...
Vouloir changer les hommes c'est un peu comme si l'on voulait changer la nature, l'état de nature. Changer le système ? C'est une ambition légitime qui occupe les esprits d'une trop petite minorité pour devenir une proche réalité. Alors peut-être pouvons-nous convaincre les intégristes du profit d'adopter des outils moins corrosifs pour l'humanité nécessaire au bon travail. Le « lean management » qui endort les consciences est peut-être moins traumatisant que la gestion par le stress. Mais il endort les consciences, érode les caractères et noie dans une masse uniforme l'intelligence de tous les acteurs du travail. La démarche participative relève des mêmes doctes.
Des accords et des rapports pour manager le bien-être et combattre le mal-être au travail, mais...
Concernant la gestion par le stress, un accord a été conclu et signé le 24 novembre 2008 entre les syndicats et le patronat. Son objet : « augmenter la prise de conscience et la compréhension du stress au travail, par les employeurs, les travailleurs et leurs représentants ». Parmi les mesures adoptées, relevons celles qui concernent le management :
- assurer une bonne adéquation entre responsabilité et contrôle sur le travail, et des mesures de gestion et de communication visant à clarifier les objectifs de l’entreprise et le rôle de chaque travailleur ;
- la formation de l’ensemble des acteurs de l’entreprise et en particulier de l’encadrement et de la direction afin de développer la prise de conscience et la compréhension du stress, de ses causes possibles et de la manière de le prévenir et d’y faire face.
Le rapport sur « le bien-être et l’efficacité au travail » était remis au Ministre du Travail en février 2010. Il traite de la nécessaire sensibilisation des directions générales et des conseils d'administration sur les problèmes de santé au travail. C'est d'autant plus crédible que deux des trois auteurs occupent de grandes responsabilités dans les entreprises privées. Ils insistent sur la formation, insuffisante, des managers amenés à encadrer des équipes. Pour les auteurs, « les hommes constituent la principale ressource stratégique de l’entreprise. La responsabilité des dirigeants sur ce sujet est primordiale : d’abord pour définir et mettre en œuvre une véritable politique de santé, en repensant notamment les modes de management, d’organisation et de vie au travail. La santé des salariés est d’abord l’affaire des managers, elle ne peut pas s’externaliser. Au quotidien, le manager de proximité, qui organise le collectif de travail et prend les décisions au plus près des salariés, en est le premier garant. Le manager de proximité ne doit pas être simplement une courroie de transmission. Il doit disposer de marges d’adaptation et de décision pour optimiser l’efficacité et la cohésion de son équipe ».
Quelques mois plus tard, en octobre 2010, un autre rapport a été édité par une mission du Sénat : « le mal-être au travail : passer du diagnostic à l’action ». Si le diagnostic est très bon, l'action reste une espérance.
Dans le domaine du management, la mission souligne « le rôle important des managers pour améliorer le bien-être des salariés qu'ils ont la responsabilité d'encadrer. Souligner leur responsabilité ne doit pas conduire cependant à les stigmatiser ; ils peuvent eux aussi être concernés par la souffrance au travail, celle-ci étant souvent à la hauteur de leur implication dans la vie de l'entreprise. C'est plutôt l'insuffisance ou l'inadaptation de leur formation qui doit être mise en cause ».
La deuxième recommandation consiste à revenir aux fondamentaux du management, ce qui implique de redonner toute leur place aux comportements individuels, au détriment des procédures, et de revenir sur certains excès en matière d’individualisation.
Ces deux rapports comportent tous les éléments à mettre en œuvre pour d'une part accompagner les managers dans leurs tâches ingrates et difficiles et d'autre part ménager les les travaileursl. Mais les rapports passent et l'absence de volonté politique demeure.
Espérons que celui que va prochainement publier le Fonds national de prévention de la CNRACL connaîtra un plus bel avenir. En effet, même si ce dernier limite son champ à la fonction publique territoriale et hospitalière, il porte en lui le bon sens du travail.
« Si l’on part de cette idée qui devrait constituer une évidence selon laquelle le management ne peut se penser et par là réussir sans les hommes et les femmes dont il organise l’action et à plus forte raison contre eux, on se doit d’affirmer que c’est par la recherche de la qualité du travail, source de son sens, que commence le management. Pour le dire autrement, la mobilisation des « ressources humaines » n’est pas un sous-produit des arrangements organisationnels, mais elle en est le cœur. À l’heure où la « motivation » et « l’engagement personnel » dans son travail sont devenus une nécessité affirmée pour garantir l’efficience des services, le management public doit sortir des visions technocratiques qui l’ont souvent animé pour en tirer les conséquences : ce sont les hommes et les femmes qui y sont employés qui font et feront les services publics. Il apparaît donc nécessaire, lorsqu’un changement organisationnel important est prévu, notamment lorsqu’il est lié à des réductions budgétaires, de mettre en œuvre un accompagnement humain de ce changement ».
Il est donc impératif de rapprocher les managers des équipes, de prôner la transparence des objectifs et des organisations et de laisser aux cadres de proximités la latitude nécessaire. Que l'on soit cadre ou pas, il apparaît que la liberté d’organiser le travail prescrit est un facteur essentiel d'un bon management.
Pour Loïck Roche l’étymologie du terme management, dans une première acception, part du mot « manager » qui signifie contrôler ; dans une seconde, il se rapporte à ménager, c’est-à-dire soigner ou cultiver. Si la notion de contrôle est parfaitement huilée, celle de soigner ou de cultiver est totalement absente. C’est cette dimension qui fait aujourd’hui défaut : l’humain n’est pas présent dans le management. Même si les écoles de management attirent de nombreuses critiques de la part des spécialistes du mal-être au travail, elles ont toutefois l’avantage d’enseigner des méthodes et d’en présenter les objectifs et les risques.
- Mener avec ménagement, le « slow management »
C’est à partir de ces enseignements, de l’analyse des difficultés et des souffrances de la vie professionnelle que des spécialistes du management des entreprises et des hommes, dont Loïck Roche, proposent L’éloge du bien-être au travail. Ils montrent une vision différente du management, garant des conditions de bien-être et de performance et qu’ils appellent, le « slow management. Pour les auteurs « les responsables doivent apprendre à se ménager du temps, en dehors des réunions, en dehors des appels téléphoniques, en dehors de la lecture des courriels, pour réellement comprendre ce qu’il y a dans la tête des gens qu’ils dirigent ; du temps pour les écouter, du temps pour apprendre ; du temps pour enseigner ».
Pour eux, le bien-être au travail est le meilleur investissement pour la rentabilité de l’entreprise et de plus, il soulage la misère humaine.
Leurs méthodes et leurs mots sont très différents de ceux employés par les anciens bourreaux des Temps Modernes de Chaplin. Ils consacrent tout un chapitre sur ce que veut dire aimer dans l’entreprise. « Penser autrement, penser contre soi, pour un dirigeant, pour un manager, un chef d’équipe, c’est travailler sur le bien-être d’abord, pour de surcroît atteindre les performances ». Ce ne sont pas des « syndicalistes attardés » ou des religieux du bonheur, ce sont des professeurs émérites de management, dotés il est vrai et contrairement à de nombreux DRH, de doctorats de psychologie et de philosophie. Ils démontrent qu’il n’y a pas besoin de maltraiter les salariés pour assurer la performance de l’entreprise.
Lorsqu’un cadre pratique le « slow management » présenté par nos trois « doc-auteurs », il n’a pas besoin de muter cette responsabilité en autorité et cette autorité en agressivité. Mais le pouvoir qu’il exerce sur les collaborateurs est dissout par le bien-être au travail qu’il gère.
- Redevenir des élèves du travail
Faut-il absolument des formations initiales de cadres ? Faut-il entretenir cette dichotomie entre le cadre et le métier ? La formation des directeurs des ressources humaines (en souhaitant qu'elle intègre davantage les sciences humaines et sociales) apparaît incontournable. Mais, si l'organisation du travail mérite des « chefs », des managers qui mènent des équipes avec ménagement, l'objet travail doit se libérer de toute contrainte hiérarchique. À cet effet, il convient de distinguer ceux qui organisent la production et ceux qui la réalisent.
Lorsque les observations de nombreux sociologues, psychologues du travail disent, comme Yves Clot, qu'il faut remettre le travail à cœur, il faut accepter qu'un ouvrier puisse en parler sans crainte de se le voir reprocher. Une aide soignante doit pouvoir interrompre un chirurgien lorsque ce dernier ne s'est pas correctement lavé les mains. L'objet du travail dépasse toute relation hiérarchique et c'est ainsi qu'il fera sens dans les esprits de tous ceux qui en seront les acteurs. Le travail n'est donc pas l'exercice d'un pouvoir mais la réalisation d'un objet.
Ainsi, lorsque le bon ouvrier deviendra contremaître, la secrétaire cadre ou l'ingénieur manager, ils ne pourront faire l'économie d'apprendre le nécessaire management. Ajouté à leurs compétences et expériences professionnelles, ils comprendront les effets de leurs décisions sur ceux qui les reçoivent. Le maniement d'un outil ou d'une technique ne nécessite pas les mêmes apprentissages que l'organisation des hommes au travail. Pour donner du sens, pour devenir des pédagogues du travail, il faut à nouveau accepter, d'être un élève, d'enchérir la faiblesse de ses certitudes et la richesse de ses doutes.
- C'est pour bientôt
Si le monde du travail s'est profondément modifié en quarante ans, l'homme au travail est doué des mêmes sens et de la même intelligence, à la condition d'en libérer l'expression. Ce sont les méthodes d'organisation qui ont volontairement détourné ce sens et cette intelligence du travailleur à des fins cupides. Les pourfendeurs du bon sens ont cru que l'endoctrinement idéologique et la terreur pouvaient être sans limite afin d'obtenir des ressources humaines le meilleur des profits (profits devant être entendu ici comme une rentabilité financière). Ils arrivent au bout de la course. L'histoire de l'homme est ainsi faite que le totalitarisme ne peut survivre au bon sens. C'est une période du capitalisme qui s'achève et qu'il faut donc accompagner. Il y aura bien toujours les bourreaux du travail qui ne voient en l'homme que le privilège qu'ils peuvent en tirer. Mais progressivement les modes de management plus modernes, plus humains gagnent du terrain dans le monde de l'entreprise. Le travail reprendra toutes les couleurs de l'intégration, de l'utilité sociale, de l'émancipation du plus grand nombre.
Ce n'est pas une veine espérance. Elle a été exprimée par le grand économiste anglais John Maynard Keynes en 1930 par ces mots:
« Quand l’accumulation de la richesse ne sera plus d’une grande importance sociale, de profondes modifications se produiront dans notre système de moralité. Bien entendu, il y aura encore bien des gens dotés « d’intentionnalité » puissante et inassouvie, qui poursuivront aveuglément la richesse, à moins qu’ils ne sachent trouver un substitut acceptable. Mais nous ne serons plus obligés de les applaudir et de les encourager ». Il se réjouit de voir se réaliser dans un avenir pas si lointain, « le plus grand changement dans les conditions matérielles de la vie des êtres humains se fera graduellement, et non en un bouleversement soudain. Le cours de l’évolution tiendra simplement en ce que les classes sociales toujours plus larges et des groupes humains toujours plus nombreux seront délivrés pratiquement de la nécessité économique ».
Il pense qu’un siècle sera nécessaire pour nous mener à la lumière du jour. C’était en 1930 ; nous sommes en 2013 ! Le management et bien sûr son entreprise vont progressivement reprendre le chemin du bon sens. Il faut s'y préparer.
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La qualité, tout le monde l'espére