Organisations
Mal-être au travail à La Poste : la confiance au cœur du débat
La commission Kaspar s’est réunie pour la 5ème fois le 2 juillet dernier. À l’ordre du jour : l’audition de Yann Algan sur le thème de la confiance et présentation par Jean Kaspar d’un projet de plan pour son rapport.
En guise de préambule, Jean Kaspar est revenu sur la portée émotionnelle de son déplacement à Rennes et à Vannes compte tenu des événements survenus. Il a indiqué que ces deux rencontres ont mis plusieurs messages en avant...
Si La Poste doit s’adapter pour tenir compte du contexte économique et pour répondre à
l’attente de ses clients, cette adaptation doit se faire en prenant en compte les attentes du
personnel. La Poste ne doit pas seulement être exemplaire dans sa capacité à mettre en
œuvre les changements mais elle doit l’être également dans sa capacité de mettre l’humain au cœur de sa stratégie.
Les agents veulent être davantage écoutés et souhaitent pouvoir intervenir sur les choix organisationnels et le contenu du travail : ils connaissent mieux que quiconque le terrain et leur travail.
De manière plus large, il précise que ses différentes discussions avec les agents font ressortir une crise de confiance à La Poste.
- Audition de Yann Algan, professeur d'économie à l'Institut d'études politiques de Paris
Yann Algan indique que performances économiques et performances sociales ne sont pas antinomiques. L’absence de confiance est un véritable frein à la croissance et à l’emploi. Un individu n’éprouve de la confiance que si les ressources qu’il met à disposition d’une autre partie lui permettent d’espérer d’en retirer quelques bénéfices.
Différentes enquêtes internationales démontrent une forte défiance en France des citoyens
vis-à-vis des institutions, de l’entreprise et vis-à-vis des autres, ce qui n’est pas le cas dans les pays anglo-saxons, nordiques ou encore d’Europe continentale. Dans ces pays, entre 50 % à 75 % des citoyens déclarent faire confiance aux autres ; en France, ils ne sont que 20 %…
Ce sentiment de défiance se retrouve fort logiquement dans le monde du travail. Il se manifeste par un très fort stress… La France se situe parmi les pays où l’insatisfaction au travail est la plus élevée, la qualité des relations entre employeurs et employés la plus mauvaise. Cette situation s’explique par le manque de réciprocité.
Même s’il n’existe pas de recettes miracles, plusieurs pistes de réflexion peuvent être exploitées pour retrouver cette confiance.
Coopération et productivité : créer du dialogue social implique que les méthodes de management concertées au sein de l’entreprise avec les salariés ont des conséquences positives sur la relation et sur les performances.
Hiérarchie et délégation : développer le bien-être passe par une modification de la relation hiérarchique.
Politiques et rémunération : privilégier le collectif à l’individuel. Une augmentation de la part variable de la rémunération, basée sur les performances de l’équipe, améliore la coopération entre les collègues ainsi que les performances.
Cette présentation a suscité de nombreuses réactions. Plusieurs membres de la commission de s’interroger sur les notions de « dialogue en entreprise » et de relations sociales, sur la représentativité syndicale à La Poste et sur l’importance de la politique RH…
Pour le délégué général de La Poste, si la confiance et les performances sont essentielles à la réussite, la confiance ne se décrète pas. Et de s’interroger sur le nombre d’entreprises en France qui ont pu s’émanciper de la situation générale de défiance qui prévaut en France.
Pour Yann Algan, la situation actuelle est complexe. Le dialogue social recouvre des notions très diverses selon les pays mais il constate que les pays où le dialogue social fonctionne bien sont ceux où les syndicats sont forts et bien implantés. « Les syndicats sont nécessaires au fonctionnement de la société ».
Par ailleurs, il estime que la décentralisation débouchant sur un sentiment d’anarchie ne fonctionne pas. « Mieux vaut une entreprise opaque qui impose ses décisions qu’une entreprise qui initie un dialogue de façade sachant qu’elle imposera unilatéralement ses décisions…»
Jean Kaspar estime que si La Poste n’est que le reflet de la société, il est important de s’interroger sur l’articulation entre la nécessaire régulation de l’entreprise et le dialogue social, de voir comment l’encadrement et les salariés sont associés aux processus.
Dire que La Poste n’est que le reflet de la société, c’est s’affranchir de sa responsabilité sociale.
Présentation sommaire du plan du rapport
Le président de la commission a indiqué les trois idées autour desquelles il entend bâtir son rapport : le plan proposé se veut le plus ouvert possible ; « c’est le rapport de la commission et non celui d’un individu ».
Il doit contenir des propositions. La commission doit dégager des pistes d’orientations et d’actions. Il appartiendra aux différents acteurs de La Poste (dirigeants, cadres, OS) d’être les artisans de la mise en œuvre des préconisations ; le rapport doit aussi montrer que certains défis évoqués, certains problèmes abordés ne sont pas propres à La Poste ; ils souhaitent faire ressortir qu’ils sont le reflet de la société française.
Les débats qui ont suivi cette présentation a suscité plusieurs interventions des membres de la commission tant sur le fond que sur la forme du rapport. À la lumière des échanges engagés, Jean Kaspar a indiqué qu’il pourrait formuler trois niveaux de préconisations :
- mesures à effet immédiat destinées à donner de la visibilité sur le travail,
- mesures à court terme pouvant déboucher sur des négociations avec les syndicats,
- mesures à plus long terme impliquant une modification profonde des méthodes de travail à La Poste.
Le rapport est destiné au président qui prendra, selon les précisions apportées par le délégué général, les décisions qui s’imposent, en lien avec les OS. La direction tiendra aussi compte des remontées du terrain.
Le rapport Kaspar n’a pas pour vocation de rester secret. D’ailleurs, le Courrier et l’Enseigne indiquent que le rapport fera l’objet d’une diffusion (copie intégrale ou un résumé).
Les différents directeurs de métiers considèrent que le diagnostic ne peut faire l’impasse sur la situation économique et la mutation réussie de La Poste.
Commentaires de FO
Haro sur l'idée : La Poste n’est que le reflet de la société
Cette affirmation manifestement très prisée notamment des représentants de La Poste, au point de revenir quasiment à chaque réunion, finit par sonner comme une volonté de se justifier pour montrer que, finalement tout n’est pas si mal à La Poste. Cette pétition de principe ne repose sur aucun fondement scientifique.
Que La Poste soit une entreprise « atypique » (taille…), personne ne dira le contraire. En revanche, son assimilation à la société est sans aucun doute exagérée comme il serait tout aussi malhonnête de comprendre, à titre de réciprocité, que les préconisations Kaspar seraient salutaires pour le bienfait de notre société. Oui, la société entre à La Poste par les hommes et femmes qu’elle emploie mais elle n’est sûrement pas responsable de leurs conditions de travail qui sont l’émanation des seules décisions internes concernant, notamment, l’organisation de travail, le système de gouvernance choisi. En l’occurrence, ces décisions contribuent à « produire » du mal-être au travail…
Ce serait une erreur que de vouloir chercher ailleurs qu’à La Poste les raisons du mal-être au travail. La mise en œuvre de mesures efficaces qui éradiquent le malaise des postiers passe par l’honnêteté et le courage de reconnaître à leur juste mesure les problèmes actuels, les « dysfonctionnements » de l’organisation actuelle (dérives managériales, non-respect des accords, application différenciée des règles RH…). Tout le monde a à y gagner, les postiers mais aussi La Poste. Performances économiques et performances sociales ne sont pas antinomiques, comme l’a rappelé l’économiste Yann Algan.
- Le dialogue social à La Poste : oui à une relation « gagnant-gagnant » entre les différents acteurs.
L’efficacité du dialogue social ne se mesure pas au nombre d’accords signés.
Elle se mesure à la pertinence des thèmes choisis, à la qualité des échanges lors des négociations et à l’application des accords une fois signés.
Aujourd’hui, force est de constater que La Poste pratique plus « un dialogue imposé » que réellement concerté !
FO juge prioritaire la redéfinition des règles qui conditionnent les relations sociales, axées sur la confiance, la transparence et la loyauté entre les parties prenantes.
- Rapport Kaspar : des conclusions à double tranchant
Jean Kaspar a proposé un plan de rapport qui semble faire la part belle à la « sociologie de l’organisation » de La Poste. Si ce travail est sans doute nécessaire pour bien appréhender l’existant, les regards sont surtout tournés vers les propositions… Et de nous interroger légitiment sur la réalité de l’indépendance de l’auteur du rapport, sur son sens du discernement entre le vrai et le faux (rappelons quand même qu’un certain nombre d’auditions au niveau local ont été minutieusement « préparées » par les directeurs de métier…) Comment et jusqu’à quel point seront prises en compte les contributions des syndicats ?
Compte tenu des drames survenus, le personnel et les syndicats ne comprendraient pas que la commission Kaspar ne prenne pas ses responsabilités en faisant des propositions à la mesure de la gravité de la situation. En tout cas, les syndicats n’ont eu de cesse de recadrer le débat sur la seule problématique qui vaille : les conditions de travail des postiers et leur santé au travail ; il est vrai que les syndicats avaient une longueur d’avance sur les autres membres de la commission, en ayant fait depuis longtemps le diagnostic de la situation.
Les travaux de la commission n’ont fait que confirmer leur analyse. Le risque inhérent à des propositions qui ne seraient pas à la hauteur des attentes des postiers est de générer une frustration lourde de conséquences.
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