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Conseil économique, social et environnemental : nouvelle loi, nouveau Conseil, nouvelles perspectives
C’est Léon Jouhaux, président fondateur de la Confédération Force Ouvrière (qui reçoit le prix Nobel de la Paix en 1951) qui a le premier l’idée en 1918 d’un projet de Conseil national économique chargé d’examiner tous les problèmes posés par le retour à la paix. En 1925, le Conseil national économique est créé. Avec la Constitution de 1946 de la IVème République, le Conseil national économique devient le Conseil économique. Avec la Constitution de la Vème République de 1958, le Conseil économique devient le Conseil économique et social.
C’est avec la modification de la Constitution du 23 juillet 2008 que le Conseil économique et social devient le Conseil économique social et environnemental. Une nouvelle loi organique était donc attendue, les mandats des conseillers ayant été prorogés d’une année (ce qui n’était pas une première dans l’Histoire) ; elle fut promulguée le 28 juin 2010.
La modification constitutionnelle du 23 juillet 2008 a notamment rajouté le mot « environnemental » à son nom (le Conseil économique et social est devenu Conseil économique, social et environnemental), a figé dans le « marbre » constitutionnel le nombre de conseillers (233), a apporté le droit de pétition et la parité absolue.
De plus, le nombre de mandats successifs pouvant être effectués est dorénavant limité à deux et la composition du Conseil devrait être systématiquement revue ; la représentativité syndicale (et a priori elle seule) sera effective au renouvellement dans 5 ans (durée d’un mandat).
Ce sont les décrets d’application qui fixent la composition des groupes (le nombre de conseillers par organisation d’origine) et le périmétrage des sections (le nombre de 9 est le maximum mais leur dénomination ou champ de compétence doit être précisé par décret, qui plus est des délégations permanentes (actuellement 2, Europe et égalité homme/femme) peuvent être créées sans limitation numérique).
Les principaux points de la réforme législative
Trois articles dépendent du seul souhait profond des gouvernements.
- Sur le rôle du Conseil, l’article 1er a été globalement réécrit ; il stipule en trois alinéas que le Conseil représente « les principales activités du pays, favorise leur collaboration et assure leur participation à la politique économique, sociale et environnementale de la Nation. Il examine les évolutions en matière économique, sociale ou environnementale et suggère les adaptations qui lui paraissent nécessaires. Il promeut une politique de dialogue et de coopération avec les assemblées consultatives créées auprès des collectivités territoriales et auprès de ses homologues européens et étrangers. »
- L’article 2 nouvellement rédigé précise que « Le Conseil économique, social et environnemental est obligatoirement saisi pour avis, par le Premier Ministre, des projets de loi de plan et des projets de loi de programmation à caractère économique, social ou environnemental. Il peut être au préalable associé à leur élaboration. Il peut être saisi pour avis, par le Premier Ministre, des projets de loi de programmation définissant les orientations pluriannuelles des finances publiques, des projets de loi, d’ordonnance ou de décret ainsi que des propositions de loi entrant dans le domaine de sa compétence. Il peut également être consulté, par le Premier Ministre, le président de l’Assemblée nationale ou le président du Sénat, sur tout problème de caractère économique, social ou environnemental. Il peut être saisi de demandes d’avis ou d’études par le Premier Ministre, par le président de l’Assemblée nationale ou par le président du Sénat. Dans les cas prévus aux deux premiers alinéas, le Conseil économique, social et environnemental donne son avis dans le délai d’un mois si le Premier Ministre déclare l’urgence ».
- L’article 4 précise quant à lui que le Conseil « contribue à l’évaluation des politiques publiques à caractère économique, social ou environnemental. »
L’utilisation de la saisine gouvernementale est toujours restée très parcimonieuse.
Ces trois articles ne trouveront éventuellement toute leur plénitude que par rapport au souhait profond des gouvernements ; en effet, l’utilisation de la saisine gouvernementale est toujours restée très parcimonieuse (quel que soit le gouvernement), car il faut bien comprendre que, saisi directement par le Premier Ministre par un courrier détaillé et relativement précis sur l’ensemble des questions posées, il est très délicat pour un gouvernement de ne pas suivre les avis et recommandations du Conseil, même de n’en suivre qu’une partie, car il faut alors expliquer pourquoi on ne suit pas des recommandations parfois votées par plus de 80 % de l’Assemblée… Quant aux auto-saisines (sujets choisis par les sections du Conseil et validées par le Bureau du Conseil), aucune statistique sérieuse ne peut être faite à court terme, comme à long terme.
- Effectivement, à court terme (deux ans maximum), il y a rarement de suivi législatif significatif, et à long terme, il est difficile de ne pas penser que, par capillarité, les sujets ont évolué dans la réflexion globale des différentes organisations de la société.
Assemblée « du premier mot » ?
D’aucuns qualifient le Conseil d’Assemblée « du premier mot » (le dernier appartenant très logiquement à la représentation nationale) mais cela est certainement surfait ; certes le Conseil est un lieu de réflexion et de débats sur des sujets importants et parfois novateurs, mais il n’est heureusement pas le seul, pas le seul non plus à dire parfois le premier mot, et heureusement également !
D’ailleurs pourrait-il en être autrement, déjà sur le principe même, mais surtout eu égard aux forces de travail en présence ; comment vouloir « rivaliser » avec 650 fonctionnaires au service législatif de la seule Assemblée nationale quand une quarantaine servent la même entité au Conseil ?
- Il conviendrait de s’interroger aussi sur le fait que de trop nombreux rapporteurs abandonnent en quasi-totalité l’écriture (et la substance profonde ?) de leur rapport à la seule qualité des administrateurs des sections ; la question n’est pas de critiquer utilement le fond de cela, mais simplement de s’interroger sur la place du politique, les « élus » (les conseillers) qui devraient se réapproprier davantage les orientations de travail et les suivre dans leur rédaction.
En 2003 déjà, la section des finances s’inquiétait de la titrisation et réclamait davantage de régulation …
C’est pourquoi continuer à vouloir s’approprier le « premier mot » est injuste et superfétatoire. La réalité est plus modeste, même si elle est utile, plus réaliste du fait de son encrage profond dans les strates professionnelles que représentent les conseillers. La réalité se suffit d’ailleurs à elle-même.
L'exemple de l'avis sur la régulation financière
En janvier 2003, dans un avis consacré aux » autorités de régulation financière et de concurrence » établi par la section des finances, le Conseil appelait déjà à « un renouvellement des modes de pensée et d’intervention » et constatait « une demande de régulation ».
La montée des risques était déjà soulignée et il était indiqué : « un examen systématique des « trous de la régulation » devrait être fait afin de proposer les adaptations législatives ou réglementaires nécessaires.
Citons quelques exemples : les fonds à fort effet de levier (hedge funds), les fonds d’épargne salariale, les fonds d’épargne par capitalisation, le marché de la titrisation….. ».
- L’avis du Conseil a-t-il été suivi, directement ou même indirectement, de quelques mesures ? Malheureusement non, et 5 années plus tard éclatait la grande crise de 2008…
Nous avions alors mis en lumière les effets néfastes et pernicieux de la fameuse « titrisation », certainement à une époque où nombre de commentateurs dits et réputés « avisés » n’en connaissait peut-être même pas le nom, ni la technique.
Sur la nouveauté pétitionnaire
L’article 5, nouvel article, stipule que « le Conseil économique, social et environnemental peut être saisi par voie de pétition de toute question à caractère économique, social ou environnemental. La pétition est rédigée en français et établie par écrit. Elle est présentée dans les mêmes termes par au moins 500 000 personnes majeures, de nationalité française ou résidant régulièrement en France. Elle indique le nom, le prénom et l’adresse de chaque pétitionnaire et est signée par lui. La pétition est adressée par un mandataire unique au président du Conseil économique, social et environnemental. Le bureau statue sur sa recevabilité au regard des conditions fixées au présent article et informe le mandataire de sa décision. Dans un délai d’un an à compter de cette décision, le Conseil se prononce par un avis en assemblée plénière sur les questions soulevées par les pétitions recevables et sur les suites qu’il propose d’y donner. L’avis est adressé au Premier Ministre, au président de l’Assemblée nationale, au président du Sénat et au mandataire de la pétition. Il est publié au Journal Officiel. »
Cet article introduit la saisine par la voie pétitionnaire dont à l’évidence il devrait servir la démocratie, un système politique (et plus un simple régime) dans lequel la souveraineté est attribuée au peuple qui l’exerce de trois façons : directe (régime dans lequel le peuple adopte lui-même les lois et décisions importantes et choisit lui-même les agents d’exécution), indirecte (régime dans lequel le rôle du peuple élit des représentants), la démocratie représentative et semi-directe, ce qui nous intéresse ici, variété de la démocratie indirecte dans laquelle le peuple est cependant appelé à statuer lui-même sur certaines lois, par les référendums, véto ou initiatives populaires.
Cela dit, il reste à concevoir comment le Conseil peut pratiquement recevoir, vérifier, voire suivre si il y a pléthore de demandes, cette nouvelle facilité de saisine.
- Mais il faut également s’interroger sur la modification du rôle du Conseil que pourrait engendrer cette possibilité, dès lors qu’elle serait très abondamment utilisée par des organismes ou groupes constitués cherchant à faire parler plus d’eux que des sujets mis en-avant.
Saisine parlementaire
Sur la nouvelle saisine parlementaire, prévue à l’article 6, « les sections, les commissions temporaires et les délégations sont saisies par le bureau du Conseil de sa propre initiative ou, si le Conseil est consulté par le gouvernement, à la demande du Premier Ministre ou, si le Conseil est consulté par une assemblée parlementaire, à celle du président de l’assemblée concernée ».
L’article est complété par : « Toutefois, à la demande du gouvernement ou de l’assemblée parlementaire à l’origine de la consultation, le bureau du Conseil économique, social et environnemental peut recourir à une procédure simplifiée. La section compétente émet alors un projet d’avis dans un délai de trois semaines. Ce projet devient l’avis du Conseil économique, social et environnemental au terme d’un délai de trois jours suivant sa publication, sauf si le président du Conseil économique, social et environnemental ou au moins dix de ses membres demandent, dans ce délai, qu’il soit examiné par l’assemblée plénière. »
Cet article, très intéressant en soi, introduit un délai de réponse de 3 semaines ; jusqu’alors les seuls délais imposés étaient ceux spécifiés dans les trop rares saisines gouvernementales, en général 2 mois. Ce nouveau délai imposé de 3 semaines peut être une bonne chose car il oblige le Conseil à se restructurer pour pouvoir répondre rapidement en temps et en heure ; même si ce délai est très court, car sur un sujet délicat ou très novateur, toute section doit pouvoir consulter, auditionner, discuter, synthétiser éventuellement par consensus et proposer des recommandations et des avis.
Les sections du Conseil se réunissent une fois par semaine et l’Assemblée siège en séance plénière tous les 15 jours les mardis et mercredis. Il va donc se poser un problème de disponibilité pour les membres (l’absentéisme est déjà un problème au Conseil) et également obliger à répondre dans l’urgence sur des problématiques qui auraient pu avoir besoin d’un peu de temps de réflexion.
L’article 7 précise la répartition des 233 membres du Conseil, 140 membres au titre de la vie économique et du dialogue social, (dont soixante-neuf représentants des salariés), 60 au titre de la cohésion sociale et territoriale et de la vie associative, 33 membres au titre de la protection de la nature et de l’environnement (dont 4 représentants des jeunes et des étudiants), 18 représentants des associations et fondations agissant dans le domaine de la protection de la nature et de l’environnement, et 15 personnalités qualifiées choisies en raison de leur compétence en matière d’environnement et de développement durable, dont au moins 3 dirigeant des entreprises ayant une activité significative dans ces matières).
Seule la représentativité syndicale est prévue, quid pour la myriade associative et les organisations patronales ?
Chacun constatera que mis à part les organisations syndicales de salariés à l’horizon 2015, aucune mesure de représentativité n’est à ce stade prévue, que ce soit pour les organisations patronales (Medef et CGPME, par exemple, patronat de l’économie sociale notamment ; pour les autres associations, y compris environnementales, le flou est encore plus grand).
L’article 7 précise que « dans tous les cas où une organisation est appelée à désigner plus d’un membre du Conseil économique, social et environnemental, elle procède à ces désignations de telle sorte que l’écart entre le nombre des hommes désignés, d’une part, et des femmes désignées, d’autre part, ne soit pas supérieur à un. La même règle s’applique à la désignation des personnalités qualifiées. Un décret en Conseil d’État précise la répartition et les conditions de désignation ».
On peut alors s’interroger sur une telle parité absolue qui interroge les républicains que nous sommes (pourquoi n’avoir pas plutôt privilégié l’axiocratie, c’est-à-dire le pouvoir attribué aux meilleurs ?) ; en effet, les quotas peuvent appeler à une discrimination positive qui font aussi référence explicitement au communautarisme, notion fort éloignée du principe d’une République laïque… Mais nous sortons de notre sujet.
Sur la durée des mandats
L’Article 8 précise que les conseillers « ne peuvent accomplir plus de deux mandats consécutifs », ce qui est plutôt une bonne chose car on doit ainsi éviter des conseillers totalisant entre 20 et 30 années de présence dans l’hémicycle et ayant atteint un âge, certes respectable, mais qui conduit inévitablement à ne plus être vraiment « une force vive de la nation », ni à être une femme ou un homme dont le niveau de responsabilité dans l’organisation dont il est issu (et pour laquelle il est nommé) n’est plus compatible avec un mandat au Conseil.
Un lieu de contre-pouvoir
Le CESE est incontestablement un lieu de contre-pouvoir, au moins un lieu où les contre-pouvoirs qui ont envie ou besoin de s'exprimer, peuvent le faire.
Des contre-pouvoirs au service de l’idée et des principes de la démocratie, qui favorisent la réflexion du peuple quant à la politique économique, sociale et environnementale de la Nation.
On peut même dire qu’elles en garantissent l’approche démocratique en aidant à la souveraineté populaire qui détient collectivement le pouvoir.
Le rajeunissement des conseillers, une ouverture plus large (mais attention à l’émiettement en cours au niveau syndical), la « parité » (mais la parité est-elle d’essence républicaine ?).
N’aurait-il pas été plus intelligent de parler d’axiocratie (d'axios, celui qui est le meilleur) plutôt que de figer des quotas ?
Le Conseil a besoin de compétences, quelles qu’elles soient, la limitation du nombre successif de mandats, l’ouverture large aux représentants environnementalistes vont certainement conduire à une autre typologie du Conseil qui se veut plus proche de la société ; mais tout cela est-il vraiment au service de la démocratie ou, plus prosaïquement, au service du pouvoir ?
Telle est la question qu’il convient de se poser. Certes, cette nouvelle loi donne de nouveaux instruments : seront-ils utilisés pour dynamiser cette Assemblée, qui en a bien besoin, ou pour l’anesthésier et la paralyser doucement ?
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conditions de désignation des membres: le décret se finalise