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05 / 07 / 2010 | 39 vues
Vincent Jacquemond / Membre
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Le lean management, un amaigrissement du travail ?

Lean... Désormais à la mode au sein des entreprises, le mot s’est décliné en lean management, lean manufacturing, lean office, lean engineering… ou lean « tout court ». De quoi s’agit-il ? Du dernier gadget des cabinets de conseils de direction ? D’un remède miracle pour managers désemparés face à la crise ?

En fait, l’histoire est plus ancienne et nous ramène au constructeur automobile Toyota.

Le terme « lean » a été utilisé pour la première fois en 1987 pour qualifier des méthodologies de gestion japonaises, dont l’une des plus abouties est en effet le système de production de la firme nippone. Le choix du mot lean, ou « maigre » en français, illustre l’idée d’une guerre contre les gaspillages que sont les opérations inutiles, les temps d’attente, les stocks, les déplacements, la non-qualité etc.

Il désigne, à l’origine :

  • un mode de management,
  • une philosophie (le « kaizen », amélioration continue),
  • un ensemble d’outils, d’abord éprouvés en fabrication, utilisés pour résoudre les problèmes et rationaliser le travail. Parmi ces outils : le 5S, les flux tirés, le SMED, les détrompeurs, la cartographie de processus etc .
Dans l’esprit de ses concepteurs, le lean doit conduire à réinterroger les organisations et le positionnement hiérarchique. Il s’applique à l’ensemble des services de l’entreprise, comme la recherche et développement avec le « lean engineering » ou les services administratifs avec le « lean office ».

Les dérives du lean « à la française »

Nos constats sur l’application du lean montrent des gains parfois substantiels de productivité, mais les gains pour les salariés sont beaucoup plus contestables. On peut expliquer cela par un véritable choc culturel. En France, la prédominance du court terme, les prérogatives décisionnelles des hiérarchiques et les effets de mode managériale… ont influencé la mise en oeuvre de la démarche.

On constate plus généralement une recherche de gains immédiats et une mise en place autoritaire du lean. Bref, un détournement de la philosophie initiale par les managers en charge de l’appliquer sur le terrain. Les conséquences de ces dérives peuvent être lourdes : citons les réductions brutales d’effectifs, l’instauration de climats de défiance voire de peur, la déstabilisation des processus et des collectifs et, au final, une certaine perte de savoir-faire.

Quelle place pour le travail ?

 
La base d’une démarche lean est la standardisation des modes opératoires, prétexte à traquer les opérations jugées inutiles pour le client final (celui qui paye). On réduit les stocks d’encours et on fait la chasse aux temps morts. Pour réaliser tous ces gains d’efficacité, une grande panoplie d’outils et démarches est à disposition.

Impliqué dans une forte standardisation des tâches, on oublie malheureusement la forte variabilité du travail humain. Les personnels ne passent-ils pas une bonne partie de leur temps à s’adapter aux différents aléas rencontrés et à mettre en œuvre toutes sortes de stratégies pour satisfaire « quand même » les exigences ?

  • Standardiser à l’extrême signifie donc limiter les marges de manoeuvre dans la gestion d’aléas… qui pourtant perdurent.

En effet, la mise en oeuvre pratique du lean procède de méthodologies trop peu orientées vers le travail et les hommes, et donc ne s’attaque pas correctement à la racine des problèmes. C’est dans une même logique que le lean vise à réduire les stocks et les temps morts. Ceci prive les salariés de nombre de ressources et « d’amortisseurs » qui leur sont pourtant nécessaires pour faire face aux aléas.

Quelles conséquences pour les salariés ?


En premier lieu, il revient aux salariés de résoudre eux-mêmes des problèmes qui n’ont pas été traités dans la durée par un « chantier d’amélioration ». Et ce, bien entendu, avec moins de moyens et de temps. À moyen terme, il leur est plus difficile de s’adapter et de mettre en oeuvre des savoir-faire non prescrits (les « astuces »).

  • Cet appauvrissement du travail s’accompagne de difficultés physiques : la suppression des temps morts et des déplacements augmente les sollicitations, ce qui est une source majeure de troubles musculo-squelettiques (TMS).

Pour ce qui est des collectifs de travail, impliquer les salariés dans l’optimisation des modes opératoires met à jour des écarts dans la perception et les motivations de chacun. Or, ces écarts ne font pas l’objet d’une mise en débat dans les équipes, mais plutôt d’un arbitrage purement économique. On ne mettra donc pas en discussion, par exemple, le passage d’une logique de conseil à une logique de vente. Pas plus d’ailleurs que la notion de « client interne », pourtant capitale dans toute démarche lean… et qui ne va pas systématiquement de soi. On compile en outre dans des « fiches Kaizen » les pratiques les plus efficaces que les salariés ont révélées. Ces fiches alimentent un système de management de la connaissance, qui, certes, facilite leur transmission dans l’entreprise, mais aussi leur externalisation potentielle.

Finalement, et contrairement aux objectifs affichés, le salarié se trouve le plus souvent isolé avec ses motivations non débattues et ses difficultés non résolues. On lui attribue de nouvelles responsabilités mais sans ressources supplémentaires. En définitive, le lean modifie fondamentalement la nature du travail, le rapport au temps et l’engagement du salarié.
 

Le CHSCT, un rempart possible


Les salariés sont théoriquement associés aux projets lean, mais cela se limite trop souvent à des réunions d’information en début de démarche. Y compris lorsque l’on vise d’importants réaménagements des postes de travail. Les hommes sont ensuite cantonnés à l’alimentation d’un processus, comme un point production du matin, un indicateur TRS (taux de rendement synthétique) ou encore la justification des écarts et d'anomalies. Il n’est pas question, pour eux, de mettre le coeur de ce processus en débat.

  • Ce qui a pu être présenté à l’origine comme une démarche participative peut ainsi rapidement devenir un ensemble de réunions, de procédures et de contraintes de formalisation dont les salariés ne perçoivent pas le sens et la finalité.

Demeure en revanche la contrainte de l’objectif fixé… et de « faire avec un de moins » l’année d’après.

Il est donc fondamental que le CHSCT soit consulté dès l’origine de la démarche et tenu informé a minima sur les objectifs officiels du projet. Il doit ensuite rester vigilant aux finalités réelles qui émergent au cours du déploiement. Des objectifs initiaux comme « réduire les aléas » ou « améliorer les conditions de travail » peuvent recouvrir par la suite d’autres attentes, plus quantitatives, qui ne font pas initialement l’objet d’un affichage explicite. Les représentants du personnel conservent leur rôle d’alerte, quel que soit leur degré d’implication dans la démarche. Les résultats obtenus doivent être analysés régulièrement, y compris en termes de santé physique et mentale des salariés. Pour tout poste de travail (production ou administratif), la plus grande vigilance est de mise sur les TMS et les risques psycho-sociaux.

C’est ce positionnement qui permettra au CHSCT de tenir son rôle.

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