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18 / 04 / 2011 | 115 vues
ALAIN ASTOURIC / Membre
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Souffrance au travail : VI - la rémunération variable individuelle

Jusqu’à une époque récente, les employés étaient, pour la plupart, rémunérés par un salaire fixe et l'amélioration des résultats pouvait être récompensée par une promotion ou la révision du salaire. Souvent, s’ajoutaient aussi une ou plusieurs primes annuelles alors que les commissions et autres bonus étaient la carotte faisant avancer les commerciaux. Depuis quelques années, « la carotte » n'est plus réservée aux fonctions commerciales.

La tendance s’est progressivement inversée au point que de nos jours, à quelque modalités d’application près, les méthodes de rémunération variable concernent plus de 80 % des cadres.

Généralement, le système prévoit en premier lieu un salaire fixe, deuxièmement une part variable collective et en troisième lieu une part variable individuelle. Cette dernière dépendant à son tour de deux éléments : l’atteinte d’objectifs personnels et la qualité de prestation du salarié, du point de vue de sa hiérarchie.

S’il est évident que le salaire fixe n’est pas une nouveauté et s’il est certain que la part variable collective n’a pas pour vocation de diviser, il n’en va pas de même de la partie variable individuelle. Celle-ci, non seulement crée de l’individualisme, mais elle a aussi tendance à désactiver toute idée de contre-pouvoir par la mise en concurrence des salariés entre eux.

En vérité, à partir du moment où le système prévoit une part variable individuelle, tant que les résultats sont là, la tension générée par la promesse d’un bonus peut, dans une certaine mesure, doper les performances en incitant les salariés à en faire plus. Encore que, même s’il est à peu près certain qu’une rémunération attrayante fait partie des facteurs influant directement sur la prestation d’un employé, il serait hasardeux de parler de motivation, au sens strict, par le biais de la seule rémunération variable individuelle. Car si celle-ci peut être démotivante, elle n’est jamais définitivement motivante puisque la satisfaction ne dure qu’une période à l’issue de laquelle les compteurs sont remis à zéro, et le défi recommence.

À l’inverse, ce qui est sûr, c’est qu’une baisse durable de revenu est souvent perçue comme une sanction, voire une insulte.

Quant à la motivation en elle-même, elle passe par des mécanismes beaucoup plus complexes, souvent imbriqués et toujours inscrits dans la durée. Comme nous avons déjà décrit en détail les phénomènes de motivation dans Le management durable, nous nous contenterons d’une brève récapitulation des conditions à créer pour faciliter l’émergence de la motivation de l’homme au travail : donner du sens ; communiquer utilement ; associer les collaborateurs à certaines décisions ; déléguer une partie de son pouvoir ; faciliter le fonctionnement des équipes ; respecter la parole donnée et les engagements collectifs comme ceux individuels, respecter les règles du jeu établies en commun et veiller à ce que chacun respecte ces mêmes règles collectives. Valoriser, encourager, remercier, mais sans verser non plus dans la flagornerie.

Au-delà de ces quelques réserves sur les effets d’une part variable individuelle, de sérieuses limites existent.

  • La première limite touche au fait que le système peut amener le salarié à effectuer des actions servant d’avantage ses propres intérêts que ceux de l’entreprise. Une situation devenue possible depuis que la plupart des gens a à effectuer un travail multi-tâche, qui demande, pour être correctement accompli, une relative satisfaction plutôt que de la résignation et qui, à ce titre, peut permettre de traiter préférentiellement les aspects de la performance qui seront récompensés. On a là un comportement inverse à celui recherché par la rémunération variable individuelle. En voici l’exemple type : mal conseiller le client pour arracher une vente supplémentaire.
  • La deuxième limite apparaît lorsque l’on constate que la rémunération variable peut littéralement exacerber la compétition entre collaborateurs. Il n’est en effet pas rare que certains, obnubilés par l'atteinte de leurs objectifs personnels, ne s'intéressent qu’à leur propre succès au détriment des collègues et, le cas échéant, de la performance globale de l'entreprise.
  • La troisième limite s’inscrit en tant que conséquence directe de l’individualisme et des jalousies dont nous venons de parler. C’est-à-dire que même en conservant la participation et l'intéressement comme variables collectives servant de garde-fou à certaines dérives, on observe des effets pervers directement liés à la part individuelle : montée de l’agressivité dans les équipes, parasitage de la communication interpersonnelle, rétention d’informations, effondrement de l'esprit d'équipe.

Nous situerons la quatrième limite au niveau de la confiscation du sens du travail que le système de rémunération variable individuelle a tendance à réduire au statut de simple chiffre. En se bornant à mesurer les écarts vis-à-vis des résultats attendus, il ne prend pas suffisamment en compte la complexité du travail. Au mieux, il ne mesure pas le travail mais les résultats de ce dernier. Tout le reste est oublié : les impondérables ; les indispensables ajustements quotidiens ; les solutions à inventer pour surmonter la résistance du réel ; la nécessité journalière d'interpréter certaines règles et aussi, les pannes, incidents et anomalies.  

Enfin, ultime limite du système de rémunération variable individuelle, on observe des cas de dévoiement dans lesquels la part individuelle n’est plus utilisée comme objet récompensant une performance réussie mais, à l’exact contre-pied, comme un moyen de pression. Par exemple, pour inciter un senior à accepter un départ anticipé en faisant en sorte que sa rémunération globale soit systématiquement inférieure au coût de la vie.

On le voit bien ici, les limites du système de rémunération variable individuelle ne sont ni rares ni anodines. C’est probablement en lui que l’on trouve l’archétype de tous les individualismes qui font la souffrance au travail.

À suivre : Souffrance au travail : VII - conclusion

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