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29 / 03 / 2011 | 3 vues
ALAIN ASTOURIC / Membre
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Souffrance au travail : II - la religion de la mobilité

Depuis le milieu des années 1990, c’est à marche forcée que, surtout dans les grandes entreprises, le dogme de la mobilité a imposé aux salariés de fréquents changements de poste et/ou géographiques. Le leitmotiv étant devenu, dans le public comme dans le privé, il faut changer !

Des changements souvent imposés sous prétexte de devoir, par exemple, prendre un nouveau départ, relancer sa motivation, briser la routine ou encore mieux s’armer face à la concurrence. L’air du temps étant en quelque sorte devenu, changer pour changer. Un peu comme si un nouvel adage était né, disant : ce qui est sain c’est de changer !

Dans les faits, la bougeotte n’a le plus souvent satisfait que les entreprises elles-mêmes, et encore pas toujours entièrement. En revanche, elle a très efficacement participé à la casse des collectifs de travail.

  • Pudiquement rebaptisée mutation organisationnelle permanente par quelques théoriciens la présentant comme vecteur de dynamisme et de modernité, cette nouvelle religion de la mobilité a longtemps fait l’objet de formations et de programmes de coaching. Avec maintenant quelque recul, nombreux sont ceux qui pensent que ces changements, souvent intempestifs, nous ont été imposés (et dans une large mesure le sont encore, malgré le nouveau discours ambiant regrettant leurs conséquences négatives) surtout dans l’optique d’obtenir la désocialisation des équipes et par voie de conséquence, obtenir des salariés dociles, parce que fragilisés.


Pendant longtemps donc, un dirigeant digne de ce nom se devait, à peine arrivé, d'imposer des changements aux salariés auxquels il expliquait longuement qu’ils auraient à changer de métier de nombreuses fois dans leur carrière. Certains hiérarchiques n’hésitant pas au passage à cataloguer de ringard, passéiste, fossile, dinosaure, sénateur ou carrément burn-out (syndrome grave d'épuisement professionnel qui existe effectivement par ailleurs) celui ou celle des employés qui aurait eu l’outrecuidance d’avancer un risque de perte de repères ou bien de demander timidement une pose dans les changements.

Les salariés ont vite compris que persister sur la voie du répit était passible de placardisation. Une sorte de mise aux rebus qui pouvait accessoirement servir d’exemple pour calmer toute velléité revendicative, la peur ayant pour effet de faire taire.

À cette même époque, tout écrit osant avancer un risque de perte de repères consécutif aux mobilités incessantes, risquant à leur tour de conduire au désinvestissement, parfois au drame ; de même que toute étude sur les limites du papillonnage fonctionnel, pouvant aller jusqu’à métamorphoser un professionnel en un amateur qui ne connaît plus la réalité du travail parce que victime de désajustement professionnel ; ou encore tout écrit prévenant du danger que présente le déracinement géographique et social des individus ont alors été systématiquement balayé d’un revers méprisant de type, Chez nous, ça marche très bien ainsi !

Quand aux ouvrages avertissant que l’invocation perpétuelle du changement, en considérant les dimensions sociale et humaine comme de simples paramètres à adapter et en faisant de l’homme au travail une seule variable d’ajustement, finirait par dissoudre tout repère et par amputer les résultats, ils n’ont connu qu’une diffusion confidentielle tellement était grand l’aveuglement des décideurs n’ayant que les chiffres à court terme pour ligne d’horizon.

Il a alors suffi à quelques consultants de dire et répéter qu’on ne peut plus faire comme avant car il faut aller vite pour vendre leurs théories du chaos et du management par la peur (ou la rupture). Ce qui s’est traduit par le plaquage, sans le moindre ajustement au mode de fonctionnement de la société française, de pratiques anglo-saxonnes dont on savait pourtant depuis longtemps qu’elles n'ont de sens que dans leur contexte culturel d'origine. Une réalité que nous expliquaient à nouveau Marie Pezé, psychanalyste, à l'hôpital de Nanterre et Danielle Linhart, sociologue, directrice de recherches au CNRS dans le 7/10 du 30 octobre 2009 sur France Inter.

La course à la mobilité ne s’est donc pas contentée de louer la flexibilité et de dénoncer la résistance qu’opposeraient certains à l’idée même de changement, mais elle a aussi contribué à briser l’identité professionnelle des personnes qui construisent la leur en mêlant des valeurs attachées à l’entreprise (obligations, rites, image) avec d’autres valeurs relevant du professionnalisme (savoir-faire, expérience, goût du travail bien fait).

Dans ces (nouvelles) conditions la question devient : 

Comment les salariés pourrait-ils trouver de la satisfaction dans leur travail, et en conséquence le faire bien, si l’on continue à assimiler l’économie à une forme de guerre et si le management à visage bon-enfant reste en réalité martial, et grand pourvoyeur de stress ?

À suivre : souffrance au travail : III - la fabrique à stress

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