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« Venez aux Jeux Paralympiques et changez de regard sur les situations de handicap »
A quelques semaines de l’ouverture des Jeux Paralympiques de Paris 2024, nous sommes allés à la rencontre de Marie-Amélie Le Fur, triple championne paralympique d’athlétisme et présidente du Comité Paralympique et Sportif Français. Elle nous partage les enjeux de cet événement unique et ses convictions quant à l’héritage qui doit être celui de ces Jeux.
En quoi l’organisation des Jeux Paralympiques est-elle importante pour le parasport et pour la société française de façon plus large ?
Il existe trois enjeux principaux pour ces jeux paralympiques pour le comité paralympique :
S’appuyer sur la performance pour changer le regard sur le handicap
Nous sommes avant tout sur une compétition de haute performance avec des athlètes de haut niveau. Par conséquent, le premier enjeu va être la performance, la réussite des athlètes. Pourquoi c’est important ? Parce qu’une Équipe de France qui gagne, c’est une Équipe de France qui rayonne, est médiatisée et permet petit à petit d’avoir une implantation dans le paysage médiatique et audiovisuel d’une sémantique nouvelle sur le champ du handicap. Une sémantique liée à la performance, au dépassement de soi, mais aussi à des enjeux d’inclusion. Nous avons désormais une équipe de France une, olympique et paralympique. A travers ces Jeux et les résultats de l’Équipe de France, nous espérons ainsi changer le regard que portent les Français sur le handicap, que ces derniers prennent conscience qu’une situation de handicap ne représente pas une incapacité, mais des capacités autres dès l’instant où l’on crée un environnement capacitant, comme le sont les Jeux Paralympiques.
Accélérer l’accès au sport des personnes en situation de handicap
Le deuxième levier est celui de l’accélération de l’accès au sport des personnes en situation de handicap. Le fait d’avoir les Jeux à la maison a été vraiment un catalyseur extraordinaire. Jamais nous n’avions eu une telle attention de la part des différents acteurs du sport, des politiques publiques, du champ du handicap. Cela nous a permis, du niveau national jusqu’au niveau territorial, de travailler ensemble, penser de nouvelles politiques publiques et d’avoir un véritable effet levier jusqu’aux pratiquants.
Nous avons appris à travailler ensemble (ministères, collectivités, les acteurs de la santé, les acteurs du handicap) et pris nos responsabilités. Nous avons repensé ce parcours d’accès au sport des personnes en situation de handicap quel que soit le handicap, le territoire ou la volonté de pratiquer.
Ainsi, en décembre 2022, nous avons lancé un grand programme de sensibilisation des clubs qui s’appelle « clubs inclusifs ». Il s’agit d’un programme soutenu par le Ministère des Sports, créé par le comité paralympique en partenariat avec les deux fédérations Handisport et du Sport adapté, qui vise à sensibiliser les clubs sur tout le territoire à l’accès au sport des personnes en situation de handicap. A date, 1500 nouveaux clubs sont formés. L’objectif est d’atteindre 3000 clubs d’ici la fin de la saison 2024 / 2025. Nous avons déjà des résultats concrets dans les territoires avec des clubs qui ont désormais la capacité d’accueillir des personnes en situation de handicap.
Sensibiliser et innover
Les Jeux doivent changer le quotidien des personnes en situation de handicap grâce notamment au changement de regard. Il y a eu énormément d’actions de sensibilisation en ce sens. Au-delà de la médiatisation des athlètes de haut-niveau, un travail important a été réalisé avec le Ministère de l’Éducation Nationale au travers de la semaine Olympique et Paralympique pour sensibiliser les jeunes écoliers au handicap.
Quand vous le faites de façon ludique en rencontrant un athlète ou en découvrant des para sports, vous ancrez un souvenir nouveau et souvenir positif montrant la capacité derrière la situation de handicap. Cela contribue à créer un nouvel imaginaire sur le handicap et à ouvrir le champ des possibles à ces jeunes. Demain quand ils deviendront managers, architectes, acteurs de nos entreprises, ils n’auront pas la même vision de leurs collaborateurs en situation de handicap.
Nous avons aussi adressé de nombreux de sujets autour de l’accessibilité du transport et du bâti. Certes, nous n’avons pas atteint ce que nous aurions souhaité sur le métro historique, mais un effort très important a été réalisé sur d’autres aspects comme l’accessibilité des bus ou des gares. Depuis deux ans, l’État et les acteurs en responsabilité se mobilisent pour réfléchir également à des mobilités temporaires pour gérer ce temps des Jeux où nous aurons un flux conséquent de personnes en situation de handicap. Ces Jeux ont été également un extraordinaire terreau d’innovation. Des incubateurs à startup sont nés et ont permis de réfléchir sur le champ du handicap, du sport, du para sport. C’est aussi cela les Jeux : donner un élan, une énergie collective à des secteurs qui sont parfois éloignés du champ du sport, mais qui ont envie de travailler sur le quotidien des personnes en situation de handicap et qui utilisent cet effet Jeux pour produire des innovations qui resteront un héritage durable.
Que représentent-ils pour vous ?
C’est un moment important pour les athlètes et pour les personnes en situation de handicap. J’ai vraiment envie que nous réussissions collectivement ces Jeux pour offrir aux athlètes français la plus belle des expériences. Nous souhaitons que ces Jeux à domicile soit la plus belle expérience de leur carrière. C’est aussi un cadeau que nous avons envie de faire à la Nation : faire découvrir cet univers du para sport.
J’ai eu la chance de vivre 6 fois les Jeux en tant qu’athlète, que dirigeante ou spectatrice : c’est un moment absolument extraordinaire. Vous vivez un moment de sport très fort et la situation de handicap est totalement anecdotique dans ce que vous ressentez. J’ai envie que le grand public prenne conscience de cela. Je l’ai vécu en tant qu’athlète : j’ai participé aux Jeux de Londres, le stade était plein tous les jours. Les Anglais venaient parce que nous étions des athlètes de haut-niveau. Ils venaient voir de la haute performance. C’est le plus beau des cadeaux que vous pouvez offrir à des athlètes : reconnaitre leur niveau de performance, les encourager, les supporter et leur offrir des moments de folie.
Ce que j’attends de ces Jeux, c’est finalement d’avoir cette rencontre de différents univers : sport, handicap, grand public. Je veux que l’on ressente collectivement ce qu’est la puissance des Jeux pour transformer notre société et l’amener vers plus d’’inclusion des personnes en situation de handicap.
Quels souvenirs gardez-vous de votre propre participation aux Jeux Paralympiques ?
J’ai énormément de souvenirs : à la fois de mon premier titre paralympique, mais aussi des Jeux de Londres qui ont été les premiers Jeux avec une telle aura médiatique. Il y avait un public absolument extraordinaire qui nous encourageait, nous soutenait et nous voyait comme des athlètes de haut-niveau. Cela a été un moment marquant de ma carrière sportive.
La magie des Jeux, ce sont aussi 23 disciplines avec des athlètes qui ont des préparations totalement différentes, mais qui sont dans la même optique : celle de performer. Les jeux ce sont donc aussi de très beaux souvenirs de rencontres.
J’ai aussi envie que le grand public découvre la richesse de nos athlètes paralympiques qui sont des athlètes de haut niveau, des athlètes au parcours de vie exceptionnel. A chaque fois qu’ils prennent la parole, ils parlent effectivement du sport de haut niveau, de leur passion, mais ils ont aussi un message bien plus profond qui revendique énormément de choses autour des droits des personnes en situation de handicap. Chacun à leur manière, ils sont engagés et mettent leur notoriété à profit de la défense des droits des personnes en situation de handicap.
Quel message souhaiteriez-vous transmettre aux employeurs publics (que le FIPHFP accompagne) et à leurs agents à quelques semaines des Jeux ?
Venez aux Jeux Paralympiques ! Cet événement est absolument extraordinaire. Il peut collectivement nous faire changer de regard sur la place que doivent occuper les personnes en situation de handicap dans notre société. Si nous sommes capables de créer un environnement capacitant dans le sport sans dénaturer nos valeurs et notre enjeu de performance, cela veut dire que nous pouvons le faire dans tous les autres secteurs de la société.
C’est la première fois de notre histoire que nous accueillons les Jeux Paralympiques d’été, il faut que nous soyons collectivement au rendez-vous pour les athlètes français et du monde entier, mais aussi parce que cet événement peut vraiment être un accélérateur dans un domaine éloigné du sport qui est celui de l’employabilité des personnes en situation de handicap.
J’aimerai aussi lancer un appel aux personnes en situation de handicap : les appeler à vivre cet événement parce cela peut leur ouvrir le champ de possibles. C’est aussi un enjeu. Nous parlons du rôle sociétal des employeurs qui doivent s’ouvrir aux personnes en situation de handicap, mais l’on parle assez peu de l’auto-censure qui peut s’exercer sur beaucoup de personnes en situation de handicap. Il faut que les personnes en situation de handicap se sentent capables et qu’elles poussent les barrières du bac, des études supérieures pour aller nourrir la compétence qui est recherchée désormais par les employeurs.