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RPS à la Banque de France : la direction reconnaît finalement l'utilité de l'expertise
La demande d’expertise pour « risque grave » demandée par les élus de l’ICCHSCT a fait l’objet d’une restitution avec un plan de préventions et de préconisations lors du comité social économique central de la banque la semaine dernière. En fait, la banque a d'abord contesté toutes les conclusions et jugé que l’objectif de l’expertise n’avait pas été atteint. Pour les experts, la banque était dans un déni total.
Notons cependant que 4 627 destinataires de l’enquête ont répondu (pour moitié du réseau et du siège)…
Voici quelques points relevés par les experts :
- un sentiment de bien-être au travail plus détérioré dans le réseau qu’au siège du fait que les agents du réseau ont l’impression que toutes les actions visant à l’amélioration du bien-être sont tournées vers le siège ;
- un écart plus important à la banque (qu’observé dans d’autres entreprises) entre les remontées des cadres et des agents de terrain, ce qui révèle l’ampleur d’un malentendu entre agents et dirigeants : ainsi prévaut le sentiment que la hiérarchie ou les décideurs sont loin du terrain et n’écoutent pas les remontées de ce dernier ;
- le plan de transformation « ambitions 2020 » a sensiblement dégradé les conditions de travail en augmentant les souffrances relevées antérieurement ;
- la perte de sens du travail et le manque de perspectives sont croissants à la Banque de France ;
- la santé des agents est altérée et tous les acteurs de la santé au travail le confirme : « décrochement », « rupture du contrat moral », « politique de l’œillère », « épuisement » et « échec » ;
- l’arrivée des nouvelles technologies augmente partiellement la difficulté d’atteinte des objectifs ;
- les cas de suicide touchent tout le personnel ;
- certains agents sont désignés comme « boucs émissaires » dans l’équipe s’ils n’acceptent pas de travailler en mode dégradé ;
- les réorganisations sont l’occasion d’humiliations symboliques par mutations forcées ;
- plus particulièrement à Chamalières, la transformation s’est réalisée dans un contexte difficile sans réelle transmission des compétences ;
- la polyvalence est organisée sans réelle formation et donne ainsi lieu à un sentiment anxiogène d’incompétence.
Les recommandations principales données par le cabinet d’expertise reposent sur :
- une communication plus concrète et non technocratique pour chaque métier et son devenir,
- un ajustement des ressources à la charge de travail et à son calcul,
- une véritable formation, qui plus est en présentiel et un accompagnement du changement plus avéré,
- une adéquation des outils informatiques avec le métier.
Le gouverneur s'est donc d'abord dit stupéfait des retours de l’expertise en considèrant que la banque est à l’écoute et met les moyens et les outils pour améliorer le bien-être au travail. Il a toutefois fini par estimer qu’il y avait des leçons à tirer de part et d’autre et que cette expertise constituait une bonne base pour définir ensemble un programme de travail. Il propose d’ailleurs que l’observatoire paritaire de la prévention des risques et de la santé au travail (OPPRST) se saisisse du sujet, revoie l’ensemble des mécanismes déjà en place et se réunisse autant que nécessaire.
Les outils en place sont brièvement cités : baromètre social, OPPRST, indicateurs, accord RPS, dispositif pour la santé et la qualité au travail, dispositifs curatifs d’assistance psychologique, appel à des cabinets sur place pour sortir d’une situation difficile, procédure de harcèlement, actions concrètes sur l’offre de formation (avec un module RPS supplémentaire pour les managers entrants ; en 2014, 97 % des managers ont été formé au RPS), simplification, boîte à idées sur le site du SG, accompagnement au changement etc.
Il nous semble que la banque est totalement en décalage entre ces propos et ceux récemment tenus par le gouverneur qui nous annonçait un nouveau plan pour 2024, sans mentionner de mesures pour pallier les constats du rapport. Nous avons d'ailleurs trouvé dommage d’avoir recours à un cabinet d’expertise pour démontrer ce que nous dénonçons au quotidien dans chaque instance représentative.
Ce qui est significatif est la perte de sens du travail pour toutes les catégories de personnel, la souffrance éthique, le conflit de loyauté et l’isolement qui est une forme réelle de harcèlement même si la banque s’en défend.
Nous avons rappelé que les agents sont volontaires et motivés et qu’ils sont un atout majeur, quelles que soient les missions de la banque. Depuis des années, la banque s’est transformée grâce à eux ; le problème actuel ne vient pas d’eux.
Les compromis ne peuvent être acceptables que s’ils sont réalisés des deux côtés. En outre, nous constatons et dénonçons le fossé qui existe entre le réseau et le siège concernant les axes d’amélioration du bien-être, notamment dans le domaine des installations.
Voici 11 propositions de la CSSCT-C pour rétablir une situation de bien-être total :
- prendre les spécificités individuelles en considération, en plus des mesures collectives,
- veiller à l’équité de traitement des agents,
- se réapproprier les outils déjà existants,
- faire une pause au niveau des réformes pour que les agents soufflent et puissent avoir le temps d’adhérer aux réformes,
- adapter le travail à l’homme et pas le contraire,
- offrir des formations en présentiel avec le qualitatif pour objectif,
- former tous les agents aux RPS,
- être vigilant sur le plan de 2024,
- transmettre les savoirs,
- veiller à la communication trop souvent maladroite et sujette à mauvaises interprétations,
- planifier une table ronde avec tous les acteurs des RPS de la sphère médico-sociale.
La banque nie le décalage que nous avons souligné entre ce qui est dit et ce qui est réellement fait. Elle s’adapte et continuera de le faire. Pour elle, les cas « d’isolement » que nous dénonçons sont certainement dus à la période transitoire car son objectif est le bien-être collectif. Toutefois, quand nous parlons d'augmentations salariales, elle parle d’intéressement, compléments de rémunération etc. Sans commentaire. Enfin, elle considère qu’elle mène une vraie politique de RH !
Conclusion : le mal-être sous différentes formes touche toutes les strates hiérarchiques. Si le nouveau plan stratégique s’accompagne encore de baisses d’effectifs, il sera mal vécu. Il vaut mieux une stabilisation des équipes pour contribuer à développer et maintenir la cohésion.
Nous prenons acte de ce que la banque veut travailler sur le sujet et faire avancer les choses mais nous avons besoin de moyens. Le DGRH même s’il ne peut répondre dans cette instance devra le faire en commission du personnel. Nous attendons désormais un agenda de travail.
Mal entendus ?
Stupéfait, le gouverneur aurait-il attendu un rapport d’expertise pour risque grave, révélant le drame social vécu par toutes les strates hiérarchiques pour en prendre conscience ? Apparemment oui !
Bien qu’il estime que la banque mette tous les moyens et outils en œuvre pour améliorer le bien-être au travail, il reconnaît bien qu’il y a des leçons à tirer de cette expertise.
Bravo… Pourtant, il y a maintenant des années que nous rapportons quotidiennement ce qui se vit sur le terrain, sans être entendus.
Toutefois, nous ne pensons pas que la saisine de l’OPPR modifie fondamentalement les choses tant qu’il n’y aura pas de volonté politique de changer d’approche…
La stratégie voulue par le gouverneur ne peut se faire au détriment de l’humain dans notre institution. Elle doit être pensée et menée en tenant compte du personnel qui a toujours fait preuve d’adaptabilité mais qui, au final, ne reçoit aucun retour. Arrêtons de le considérer uniquement comme une ressource et un peu de sérénité reviendra peut-être à la Banque de France.