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15 / 07 / 2015 | 485 vues
Jean-Claude Delgenes / Abonné
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Omerta et loyauté professionnelles : la capacité « sacrificielle » des salariés est censée démontrer leur attachement à leur hiérarchie

Dans les univers professionnels très irritants, générateurs d’un stress chronique, les salariés en difficulté, se confient souvent. Mais ils exigent préalablement pour cela le secret absolu de la part du confident retenu. Ils font alors état des tensions vécues mais refusent que cette information livrée soit utilisée pour traiter les problèmes évoqués. Cette confiance accordée, apporte soutien et réconfort mais ne peut, hélas, déboucher sur une prévention active et rapide.

Ce secret exigé lie souvent le médecin du travail ou l’inspecteur du travail. Mais aussi les délégués du personnel, les collègues, si ce n’est les managers de proximité. En raison de cette pratique, il faut très souvent attendre le pourrissement de la situation pour que les aspects délétères des conditions de travail appellent enfin une prévention.

Cette omerta, qui perpétue des relations humaines peu propices à l’épanouissement, conforte des encadrants qui devraient pourtant se remettre en cause dans leurs pratiques. La peur de la sanction explique ce mutisme. La crainte de la perte d’emploi dans un monde marqué par un chômage de masse et de longue durée installe le renoncement. Éloigne la rébellion. Les salariés subissent en raison de cette précarité virtuelle qu’ils ont fini par intégrer au cœur de leur stratégie de vie ou de survie. L’angoisse du devenir et le retour de bâton redouté (« Si je proteste, elle va me pourrir la vie ») sont autant d’entraves à la résilience quotidienne et organisationnelle des collectifs de travail. Celle-ci est pourtant souhaitable. Ce glacis des relations humaines pouvant dans les cas les plus extrêmes déboucher sur des passages à l’acte.  

Le culte du secret conduit à l’impuissance collective. Il ne permet pas d’amélioration en déployant l’attention nécessaire aux uns et aux autres.

Cette situation se comprend aisément dans un climat de défiance ou de crainte pour son emploi, elle induit à ce que chacun porte le problème sans partage, il n’y a pas assez de pensée collective ou du moins collégiale pour tenter de traiter les gens qui vont mal et les disfonctionnements organisationnels. Certains univers de travail tout en silence retenu de la part des opérateurs glacent en effet le sang des intervenants extérieurs.

Ici, il n’y a pas de mémoire. La reconnaissance vient des résultats que tu auras demain, pas de ceux d’hier.Le cas de cette aide-soignante salariée d’un établissement dépendant de la Sécurité sociale  est tout à fait exemplaire.

  • Cette femme de 50 ans se casse malheureusement deux doigts à la suite d’une chute dans son service de réanimation ou elle travaille depuis 22 ans. Elle ne peut plus, après qu’elle se soit soignée, travailler au sein de la même équipe. Elle demande cependant  à réintégrer le service en dépit de son handicap. Elle tient à trouver un poste à la hauteur de ses attentes d’autant qu’elle est jugée comme un très bon élément. La situation est délicate à régler car le handicap lui interdit les postes auxquels elle prétend et elle considère que les autres propositions ne correspondent pas à ses attentes et à son passé. L’équipe de management cherche rapidement une possibilité mais ne la trouve pas. Le cloisonnement des relations par le secret ne favorise pas, il est vrai, la réflexion pour une évolution sereine et l’émergence d’une possibilité. En désespoir de cause, irrités par les nombreux refus de la postulante et l’enlisement de la situation, les encadrants finissent par lui proposer une mobilité sans avoir pris le temps d’en parler avec elle. Un poste au service des consultations se libère, elle doit le prendre, un point c’est tout. Ils lui expliquent qu’il faut renforcer le secrétariat. Néanmoins, il n’est pas prévu qu’elle bénéficie d’une formation ou d’un soutien pour accompagner cette évolution qui est un vrai changement de métier. Elle se rigidifie alors dans une attitude de rejet. L’impossibilité de la mobilité émerge. Les encadrants jugeant qu’ils ont fait une proposition sérieuse, maintiennent leur exigence de la voir rejoindre le nouveau service le mois suivant.  C’est l’impasse. Plutôt que de lui avoir expliqué quel rôle elle pouvait jouer, combien elle pouvait aider le service de consultation du fait de son expérience, combien dans les faits elle pouvait être indispensable, elle a ressenti que l’on cherchait à se débarrasser d’elle, qu’on la traitait par pertes et profits en dépit de son ancienneté et de ses notations excellentes jusqu’à alors. Souvent dans ces climats dégradés faits de tensions exacerbées, les salariés expliquent : « Ici, il n’y a pas de mémoire. La reconnaissance vient des résultats que tu auras demain pas de ceux d’hier. C’est aussi ce mode de traitement en rupture avec les efforts déployés par le passé qui confine l’aide-soignante dans ce ressentiment et ce sentiment de profonde ingratitude de la part de sa hiérarchie. Elle s’éloigne à nouveau du collectif, comme précédemment ou peu de salariés lui avaient manifesté de soutien lors de son accident de travail. Elle se mure dans le silence et le secret exigé de quelques collègues auxquels elle se confie. Puis un jour, peu avant, la prise du nouveau poste, elle accomplit  une tentative de suicide dont, par bonheur, elle réchappe.

Il est essentiel de bien comprendre que nous sommes tous très différents. Certains ont besoin de forte reconnaissance, de manifestation d’attention voire d’un étayage relationnel, d’autres réclament simplement qu’on les laisse en paix, qu’on leur octroie la tranquillité pour mener leur activité professionnelle. Les managers et les DRH ne sont guère formés à cette diversité et aux exigences qu’elle impose. Ils se retrouvent souvent en situation de dépassement. Particulièrement quand il est impossible de développer une pensée collégiale en raison des secrets et des rétentions d’informations qu’ils impliquent. Dans bien des cas, dans l’impasse, les encadrants ne savent plus que faire. Renforçant parfois le caractère « impossible » de certaines situations par des attitudes mal habiles.

Premier enseignement de ce drame : l’important est de permettre à chacun de sortir la tête haute

Aujourd’hui la promotion sociale, la mobilité professionnelle ascensionnelle ou latérale voire géographique servent aussi à « dégager » des gens qui posent problème. Cette gestion par l’aspiration, fait que l’on peut même parfois disqualifier les processus de promotion.
En règle générale, en matière de mobilité dans notre pays, on pense trop vite et on agit trop vite. On n’anticipe pas suffisamment sur les pertes de liens d’appartenance au collectif. Cette question est pourtant essentielle. L’attachement aux êtres humains en milieu professionnel est crucial. En effet, il y a le travail que l’on réalise mais aussi « avec qui » on le mène au quotidien. Cette immersion dans la relation ne doit pas être négligée. Les femmes et les hommes au travail ne sont pas des robots insensibles. La présence des êtres que l’on apprécie ou pas, participe grandement à notre plaisir ou notre déplaisir au travail. L’activité commune étant source de partage d’émotions. Les êtres humains ne sont pas des pions que l’on déplace au gré des humeurs en considérant qu’étant donné le maintien du travail, il n’y a pas de problème…  

En France on ne traite pas toujours l’aspect symbolique et la problématique des valeurs. On ne rapporte pas systématiquement les compétences requises par le poste en mobilité et les compétences acquises par la personne. On « tutorise » et accompagne trop rarement.
Dans ces conditions, il convient de définir les bonnes méthodes pour une évolution sereine des situations de travail. La démarche doit être au maximum participative. La co-construction  permet d’éviter le piège « des gens qui pensent » et des « gens qui appliquent », ce qui résulte sur des « gens qui subissent ».

Second enseignement de ce drame : dans leur très grande majorité, les êtres humains ont tous la capacité à décider de leur avenir professionnel et à évoluer.

Dans un univers professionnel, la capacité sacrificielle d’un salarié est censée démontrer pour sa hiérarchie sa loyauté et son attachement. Quand il refuse une proposition, il peut se mettre en difficulté car, ce faisant, il transgresse les règles de la loyauté et de l’autorité. Ces règles sont peu écrites dans l’entreprise ou l’institution. Très souvent, en disant « non », on lui rétorque qu’il ne joue pas le jeu de l’entreprise ou du service public, qu’il ne joue pas collectif, qu’il complique les choses etc. Or, les salariés investissent dans les valeurs de l’entreprise ou de l’institution. Pas simplement ceux qui ont une formation élevée et ou un poste dans la hiérarchie. Les constats de notre cabinet montrent que les salariés les plus modestes dans l’échelle professionnelle (« ceux d’en bas » comme disent certains hommes politiques) investissent également fortement et attendent un retour dans ce contrat « psychologique » avec l’employeur.

La loyauté devrait imposer une réciprocité de considération et de traitement : c’est le troisième enseignement.

Toute la difficulté réside donc à permettre de dire « non »  sans pour autant créer de déception en raison d’une loyauté que la hiérarchie croit à tort mise à mal.  

En clair, toute la difficulté est de pouvoir se différencier du collectif sans subir une mise à l’écart du collectif.En clair, toute la difficulté est de pouvoir se différencier du collectif sans subir une mise à l’écart du collectif, sans donc faire exploser le collectif. De même « dire non » renvoie aussi  à la question de la revendication.

Comment peut-on revendiquer tout en restant loyal ?  

  • Cette attitude est complexe car très souvent, comme susdit, les règles de la loyauté sont tacites et non écrites. La difficulté résulte donc de la transgression de règles tacites.

Dernier enseignement : la solution demeure dans l’argumentation mais surtout dans le rappel et la démonstration de signes d’allégeance pour ne pas détruire les liens antérieurs et ne pas se mettre en danger.

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