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Loi sur le travail : quels sont les freins à l'accès à l'emploi des jeunes ?
Le projet de loi est justifié et légitimé comme une réforme des règles de fonctionnement du marché du travail nécessaire pour faciliter l’accès à l’emploi des jeunes. En quoi les résultats des enquêtes disponibles sur les processus d’insertion des jeunes sur les marchés du travail permettent-elles de mettre en évidence que les freins à l’accès à l’emploi rencontrés par une partie des jeunes arrivant sur le marché du travail tiennent à d’autres facteurs qu’à la rigidité supposée du marché du travail et appelle d’autres solutions que la remise en cause des protections dont bénéficient les salariés plus âgés, employés sous forme de CDI ?
Les jeunes ne débutent pas souvent leur vie active par un CDI. Il leur faut, pour la plupart, du temps pour accéder à ce statut, ce temps pouvant être passé en partie au chômage, en partie dans d’autres formes d’emploi dites « atypiques ». De fait, l’insertion des jeunes sur le marché du travail est contrainte par des paramètres d’ordre à la fois conjoncturel et structurel.
Un accès à l’emploi rendu plus difficile par la contraction de l’emploi en temps de « crise »
Conjoncturels d’abord parce que dans les périodes de ralentissements (petits ou grands) de l’activité économique, les jeunes sont une variable d’ajustement importante dans les stratégies des entreprises : leur entrée sur le marché du travail est tout simplement rendue plus difficile par la diminution des emplois offerts par les entreprises, dès lors que ces dernières décident de ne plus recruter ou d’ajuster leurs effectifs à la baisse en raison du ralentissement de leur activité. De ce fait, le temps que les jeunes mettent pour accéder à leur premier emploi est très sensible à la conjoncture économique : plus le taux de chômage de la population juvénile est bas, moins ils mettent de temps à accéder à leur premier emploi. C’est donc d’abord la crise financière qui rend plus difficile l’entrée sur le marché du travail des jeunes puisque l'ajustement sur le volume de l’emploi dans une crise se porte d'abord sur les primo- entrants (notamment les jeunes) par réduction des flux d’embauches.
En outre, cette conjoncture économique dégradée a également des conséquences sur la qualité des emplois auxquels les jeunes (primo-entrants sur le marché du travail) ont accès. Elle contribue en effet à entraver d’autant leur capacité à accéder au noyau dur des emplois, entendu comme les emplois à durée indéterminée (EDI : CDI ou fonctionnaire) à temps plein.
La qualité des emplois des jeunes salariés contrainte par l’évolution de la structure des emplois
Mais si l’intégration des jeunes dans ce noyau dur est de plus en plus longue, c’est aussi du fait de l’évolution de la structure de l’emploi. En effet, l’écrasante majorité des recrutements en entreprise se fait aujourd’hui sous la forme de CDD, souvent très courts et bien souvent renouvelés au-delà des limites (deux fois depuis 2015) autorisées par la loi. Ces contrats de travail « atypiques » tendent ainsi à devenir la « norme » dans les politiques de recrutement des entreprises qui s’en servent comme d’un moyen d’accroître la flexibilité de leurs effectifs et d’allonger la période d’essai des salariés avant de leur proposer éventuellement un emploi plus pérenne.
En moyenne, depuis la fin des années 1990, à peine 30 % des jeunes salariés entrant sur le marché du travail accèdent à un CDI comme premier emploi, et 60 % après trois ans de vie active. Fait important à noter cependant, sur la période, cette proportion reste stable, indépendamment de l’état de la conjoncture économique. Autrement dit, si le ralentissement de l’activité économique contribue à faire augmenter le chômage juvénile, il ne produit en revanche pas d’effet visible sur l’opportunité qu’ont ceux qui occupe un emploi d’accéder à un EDI. Ce qui signifie que la tendance très dominante des employeurs à recruter les jeunes salariés d’abord sous la forme de CDD avant de leur proposer un CDI n’est pas liée à leur plus ou moins grande incertitude quant à l’activité future de leur entreprise. La précarité dans l’emploi subie par une partie de la jeunesse est d’abord le résultat d’une évolution structurelle des stratégies de recrutement des entreprises.
Des jeunesses inégalement précaires : l’enjeu de la formation pour faciliter l’accès à l’emploi
Enfin, si la situation de la jeunesse sur le front de l’emploi suscite une inquiétude légitime, la vision catastrophiste qui en est donnée pour mieux justifier la nécessité de flexibiliser davantage encore le marché du travail, nécessite cependant d’être nuancée.
En focalisant le débat autour de la catégorie « jeune », on court en effet le risque d’homogénéiser une classe d’âge qui regroupe en réalité des trajectoires d’emploi très diverses et d’attribuer à l’âge des effets de sélection sur le marché de l’emploi qui relèvent plutôt d’une problématique liée à l’acquisition d’expériences et de compétences. En effet, tous les jeunes ne sont pas également exposés au risque du chômage et de précarité. En effet, leur chance d’avoir accès à un emploi et à un CDI varie considérablement en fonction de leur niveau de diplôme. C’est surtout l’absence de diplôme qui réduit fortement les chances d’être en emploi ainsi que celles d’être en EDI à temps plein après plusieurs années d’expérience. L’absence de diplôme est devenue d’autant plus préjudiciable sur un marché du travail en tension, dans un contexte marqué par l’augmentation des taux de bacheliers et du nombre de diplômés du supérieur. L’absence de diplôme, devenue ainsi plus stigmatisante, renforce les hésitations des employeurs à faire appel à cette main d’œuvre.
Ce clivage entre « deux jeunesses », déterminé par les niveaux de formation initiale et/ou les origines sociales, mène ainsi à suggérer que l’insertion des jeunes qui sont durablement exclus du marché du travail passe d’abord par la nécessité de recentrer les dispositifs de formation initiale et professionnelle sur ce public.
Vanessa Di Paola et Stéphanie Moullet, MCF en sciences économiques, LEST
Vanessa di Paola, Stéphanie Moullet, Philippe Méhaut, Young French workers in the Great Recession: between increasing dualisation of the labour market and strength of its norms, document de travail disponible sur demande aux auteurs
Dans le prolongement de leur prise de position collective sur le projet de loi sur le travail, des économistes et des sociologues du Laboratoire d'économie et de sociologie du travail apportent des éléments d'analyse plus spécifiques des enjeux de ce projet de loi, à partir de leur domaine de recherche et d'expertise.
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